Le jour du Souvenir

Il faisait si beau ce matin…

ArboretumLe jour du Souvenir ne nous aveugle-t-il pas à l’enfer qui nous guette au prochain détour de la roue du temps ?

Il y aurait lieu de s’interroger : le parti de la guerre au cœur de l’Empire militaro-industriel de l’Occident serait-il en train de se préparer à déclencher une troisième guerre mondiale ?


 

Il y a un an, on rappelait à notre mémoire collective le centenaire du déclenchement de la Première Grande Guerre mondiale en Europe — la Grande guerre. Tout au long de l’année, on a abondamment publié des articles dans les journaux et les revues, et diffusé de nombreux documentaires à la télévision sur le sujet.

Au Musée des beaux-arts de Montréal, c’est indirectement qu’on y a touché, dans le cadre de l’exposition sur l’art des avant-gardes française et allemande qui se sont manifestées au début du siècle dernier ( De l‘impressionnisme à l’expressionnisme, 1900-1914 ). On a consacré la dernière partie de cette exposition au déclenchement de la Grande guerre, cette guerre qui, en érigeant une barrière entre les artistes de ces deux pays, a mis fin à une période intense d’échanges créatifs.

À cette occasion, une dimension du déclenchement d’une guerre, qui m’avait échappé jusqu’alors, avait retenu mon attention : j’ai pris conscience de la fragilité du monde, à quel point on peut glisser, individuellement et collectivement, dans une espèce d’état irrationnel de fascination hypnotique, pratiquement sans s’en rendre compte, vers l’apocalypse ; comment on refuse de reconnaître qu’on se laisse emporter par des sirènes intoxiquées par la haine, qu’on se convainc qu’on est impuissant à résister à cette torpeur… que tout semble normal, que le quotidien coule comme une rivière tranquille, que tout cela se passe si loin, que cela ne peut pas nous toucher, jusqu’au matin, où comme Aragon l’a si bien exprimé ( et si bien interprété par Marc Ogeret ) …

… Sans oreilles à ces paroles
L’ombre fait le maître d’école
Devant la cuvette et le broc
Et leur dit comme un fait vulgaire
Qu’à l’aurore aujourd’hui la guerre
A levé son front de taureau

Il faut recommencer qu’on meurt
Des gens dormaient dans leurs demeures
Comme ici dort cet enfant-là …

Aragon, Il faisait si beau ce matin

Il y a cent ans, tous voyaient venir les cavaliers de l’Apocalypse. Les rois, les empereurs, les présidents, les premiers ministres et autres « leaders » se rassemblaient régulièrement pour conférer, dans des châteaux et autres lieux bien protégés, afin de préserver la paix, d’éviter l’inévitable. Dès le lendemain de ces réunions, tous retournaient dans leurs terres pour préparer la guerre, constituer des stocks d’armes, construire des flottes de guerre, habiller leurs armées et leur fournir assez de munitions pour écraser l’adversaire à venir. On suscitait, de part et d’autre des frontières, de sentiments « patriotiques » tout en dévalorisant les autres, les méchants adversaires qu’il fallait apprendre à détester, à haïr…

Puis, un jour, un « jeune anarchiste serbe » tira un coup de feu en direction d’un archiduc et de son épouse : ce fut l’étincelle qu’il fallu pour déclencher le carnage.


Tous les jours, je fais le tour des actualités : je lis les reportages, en ligne et dans le journal, les chroniques, les analyses, de toutes provenances, de tous les points de vue : de l’extrême droite à la gauche, autant les médias de masse que les médias qu’on qualifie d’alternatifs, le point de vue nord-américain tout autant que les points de vue exprimés ailleurs dans le monde, y compris en Russie, au Moyen-Orient et en Orient. C’est difficile de partager, de dégager du sens, dans toute cette masse de renseignements contradictoires ; les non-dits, les omissions de l’un, qui sont tout aussi significatifs que les renseignements des autres, qui teintent notre vision du monde.

L’an dernier, notre attention se portait sur la situation en Ukraine. Présentement, la tension est moindre dans cette région du monde. Il n’est pas dit qu’on ne déterrera pas à nouveau les haches de guerre dans un avenir plus ou moins proche.

Prenons plutôt le cas de la guerre civile en Syrie. C’est un des lieux où on mène une guerre mondiale par procuration depuis plus de quatre ans. Une guerre qui risque de dégénérer à tout moment, de se répandre partout ailleurs, dans le monde entier.

Le prétexte : déposer un tyran qu’on qualifie de despotique, dont un politicien français a même dit qu’il ne mérite plus de vivre. L’Occident a décidé, pour le bien-être des Syriens, qu’il leur faut un changement de gouvernement, que leur président ne peut plus les représenter.

Ce prétexte en masque beaucoup d’autres, beaucoup moins désintéressés : celui, entre autres de « libérer » le territoire, comme on l’a fait en Lybie par exemple. Dans le cas de la Syrie, on veut créer une zone où faire passer un pipeline qui servirait à acheminer les ressources énergétiques de la péninsule arabique, du Qatar et d’Arabie saoudite, vers l’Europe ; pour briser l’alliance entre le Hezbollah, la Syrie et l’Iran, qui nuit aux intérêts de l’OTAN et d’Israël ; pour détruire le seul régime laïc et pluriethnique qui reste dans la région ; et, pour soustraire à la Russie la seule base militaire qu’elle détient à l’extérieur de son territoire.

Plus que toute autre, la population syrienne en paie le prix.

Il y a deux ans, les puissances occidentales s’étaient hâtées de condamner le gouvernement syrien d’avoir utiliser des armes chimiques contre sa population, sans prendre le soin de vérifier les faits. Quelques mois plus tard, dans un article publié dans le London Review of Books, Seymour Hersh a levé une partie du voile sur ce qui s’est réellement passé dans la banlieue de la Ghouta à Damas — note : Seymour Hersh est ce journaliste américain qui avait révélé au monde le crime commis par des soldats américains à My Lai au Vietnam ; le même qui a aussi révélé le scandale des abus commis encore une fois par les Américains dans la prison d’Abu Ghraib en Irak .

Hersh avait révélé que le gaz sarin qui avait été utilisé provenait de source turque, et qu’il avait été utilisé par des groupes de rebelles qui s’opposent au gouvernement syrien — ceux qu’on qualifie aujourd’hui de « modérés ».

C’est en se servant de renseignements erronés que les Américains et leurs alliés avaient voulu utiliser ce prétexte pour amorcer des manœuvres militaires destinées à renverser le gouvernement syrien. La première étape qui avait été prévue était de déclarer une zone d’interdiction de vol militaire syrien sur son propre territoire, sous prétexte de protéger la population. Pour ce faire, on avait lancé des missiles pour s’attaquer aux installations de défenses anti-aériennes en Syrie. Ces missiles ont été abattus par la marine russe. Ce dernier incident s’était déroulé sans que rien ne soit révélé en public. La Russie avait réussi à utiliser ses ressources diplomatiques pour obtenir du gouvernement syrien qu’il élimine tout son arsenal d’armes chimiques.

Ce matin, on nous informe comment la Russie s’y était prise, il y a deux ans, pour s’ériger comme bouclier pour protéger la Syrie : le Kremlin avait averti l’Occident que toute attaque contre la Syrie équivaudrait à une attaque contre la Russie.

La situation a néanmoins continué à se dégrader. Il y a quelques semaines, la Russie a encore une fois jugé opportun de s’interposer pour contrecarrer les intentions des Américains et de leurs alliés et de forcer toutes les parties en cause de se réunir pour discuter des façons de dénouer paisiblement le conflit.


C’est dans ce contexte que survient l’attentat contre un avion qui ramenaient des touristes russes et ukrainiens suite à leurs vacances en Égypte. Les renseignements sur les circonstances de cet attentat indiquent que l’avion n’a pas été touché par un missile ; qu’il n’y a aucune trace d’explosif de quelque sorte sur aucun des débris qui ont été retrouvés sur la scène de l’attentat. L’hypothèse qu’on examine est celle d’un dysfonctionnement ou d’une attaque cybernétique, c’est-à-dire d’une prise en charge de l’avion par des pirates informatiques via Internet, qui ont fait subir à l’appareil un stress tel que celui-ci s’est désagrégé en plein vol.

Qui aurait pu commettre un tel acte ? Il faut une expertise peu commune pour réussir un tel coup. Et, si tel s’avère le cas, les autorités de l’aviation civile, tant les régulateurs que les compagnies aéronautiques, devront en prendre note. On ne se sentira jamais plus en sécurité lorsqu’on voudra prendre un vol.


L’hiver dernier, l’ancien premier ministre du Canada est allé fanfaronné sur un bâtiment de marine militaire tout près des côtes de la Russie en mer Baltique. Quelques mois plus tôt, Harper avait agi de façon cavalière et peu diplomatique en insultant le Président de la Russie.

Il faudrait détendre les relations internationales, non pas jeter de l’huile sur le feu. Je souhaite que le nouveau Premier ministre du Canada se comporte de façon plus élégante et moins cavalière avec tous les autres chefs d’état à la prochaine réunion du G20 dans quelques jours.

C’est beaucoup demandé à un jeune chef d’état, qui vient tout juste d’entrer en fonction, d’agir en homme d’état plutôt qu’en politicien qui calcule ses gestes en veillant mesquinement sur ses appuis électoraux.

Mais l’Occident manque de tels leaders présentement. Ce n’est pas rassurant.

En cette journée du Souvenir, de l’Armistice, il faudrait plus que commémorer les morts. Il faudrait envisager l’avenir, ceux de nos enfants et de nos petits enfants. Il faudrait examiner comment on pourrait mener une autre politique sur le plan international : une politique de détente, de respect mutuel entre les peuples.

C’est la condition essentielle pour qu’on ne se réveille pas, par un beau matin ensoleillé, et qu’on entende dans les médias, tel un fait divers, que les cavaliers de l’Apocalypse sont partis en cavale pour semer le désordre et la terreur sur la planète entière.

18 réflexions sur “Le jour du Souvenir

  1. C’est beaucoup demander a un jeune chef d’etat qui comprend mieux les medias sociaux que la politique. Mais peut-etre est-ce que je sous-estime Justin. J’espere pour le Canada, qui vraiment n’est plus un pays dont on reve 🙂

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    1. Trudeau choisit ses conseillers et choisit de les écouter ou non. On verra… Pour l’instant, jusqu’à nouvel ordre, je porte toujours un passeport canadien quand je me promène à l’étranger. Au moins, je souhaite avoir moins honte de le présenter lorsqu’on l’exige.

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  2. ETK, cet empire militaro-industriel, comme vous le nommez, a généré une terre de pauvreté où un million d’enfants ne mange pas tous les jours, alors que les banques (et quelques individus) se plaignent de n’avoir que quelques milliards de profit annuel. Il a créé des foyers de conflits et de guerre partout dans le monde. Une forme nouvelle de 3e guerre mondiale? Justin ne peut être que meilleur en politique étrangère, ce n’est pas difficile. Mais on ne peut attendre de miracles d’une seule personne. La tâche revient à de nouveaux hommes politiques, non corrompus par le pouvoir, partout à travers le monde, qui sauraient relever le défi d’instaurer une justice et un partage de la Terre plus équitable. Je suis plutôt pessimiste; je crains qu’il ne faille encore plus de désordre social pour arriver à une paix sur terre.

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    1. C’est à chacun de nous, chacun à sa façon, de faire pression sur nos gouvernements, pour éviter ce qui paraît inévitable. Moi aussi, comme vous, je crains que nous ayons à traverser le pire dans les années à venir, sans nécessairement d’espoir de s’en sortir. Puis, je retourne dans mes livres d’histoire, et je me conforte en me disant que l’humanité a connu des périodes de désespoir tout aussi terrible dans le passé.

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      1. Un optimisme à la Hubert Reeves. Je sais que l’histoire en a long à raconter sur l’erreur (l’horreur) humaine. Je sais qu’il appartient à chacun de pousser vers le changement (radical). Mais «chacun» ne voit pas l’ampleur de la dévastation vers laquelle nous nous dirrigeons, la plupart est engagée dans la spirale de la consommation, avec les œillères nécessaires au maintien de cette société de consommation. Le seul moment d’optimisme que j’ai, c’est quand j’entends des jeunes s’exprimer sur ces questions de justice et de partage. Si on continue de sabrer dans l’éducation, il y en aura malheureusement de moins en moins.

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  3. L’exercice de la lucidité en est un souvent difficile, qui nous mène, semble-t-il, vers des constats de plus en plus attristants. Merci de rassembler ici des renseignements clairs, ainsi que des idées qui sont partagées, j’ose le croire, par la plupart d’entre nous.
    Personnellement, j’ai tendance à penser que tant que le pouvoir sera entre les mains de ceux qui en veulent, la danse planétaire, sur le plan politique et économique, prendra très souvent des allures funèbres.

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