Quelques témoignages sur l’élection américaine

Piste de Santa Fe - Independence MI
Independence, Missouri

Je reviens d’un séjour de neuf semaines aux États-Unis ;  en mai, juin et au début du mois de juillet, dans toutes les régions que nous avons visitées, de la Pennsylvanie au Nouveau-Mexique, en passant par le Kansas et le Michigan, je me suis entretenu avec des Américains. J’ai aussi observé les traces visibles de la campagne électorale… notamment, j’ai constaté la présence des nombreuses affiches que les partisans de « Bernie » ( Sanders ) ont parsemées,  partout, dans les fenêtres, sur des parterres devant les maisons, sur les pare-chocs des automobiles, etc… quelques affiches de soutien à Trump, moins d’une demi-douzaine en tout, mais pas une seule affiche en faveur de Hillary Clinton.

Ce n’est pas en journaliste, mais bien en touriste que j’ai visité les États Unis au cours du printemps. Je ne me suis pas promené dans une quinzaine d’états en cherchant à rencontrer des porte-parole officiels des partis politiques, ou des spécialistes qui font métier d’analyser l’évolution de la société américaine. J’ai plutôt croisé des citoyens ordinaires, dans des campings et des restaurants, des sites touristiques, des commerces.

Lorsque je sentais que le contexte le permettait, j’ai pris l’initiative de soulever le sujet de la campagne électorale au cours de conversations. À quelques occasions, ce qui m’a surpris d’ailleurs, ce sont eux qui ont abordé la question.

Depuis deux décennies, j’ai effectué plusieurs séjours chez nos voisins du Sud, parfois pour des raisons professionnelles, parfois pour visiter le pays à titre personnel. Ce printemps, pour la première fois, j’ai perçu que les Américains étaient véritablement intéressés à connaître l’opinion d’étrangers sur « leurs » affaires, sur « leurs » enjeux sociaux, économiques, politiques, électoraux. Je les ai sentis soucieux de la perception que nous avons d’eux.

À chaque occasion, j’ai cherché à connaître comment ils percevaient leur situation politique. Je ne leur ai jamais demandé s’ils étaient partisans d’un parti plutôt que de l’autre : je leur ai toujours demandé lequel des candidats, à leur avis, était le plus susceptible d’être élu. Je tentais, autant que possible, de ne pas orienter leurs réponses. Ce qui m’a le plus surpris, c’est à quel point ils sont désemparés, souvent désabusés, tant chez ceux qui me semblaient être de tendance conservatrice que ceux qui semblaient être plutôt d’orientation progressiste.

Lorsque je soulevais la question du changement climatique, je sentais moins de certitude de la part de ceux qui, de toutes évidences, niaient cette réalité. On me répondait en s’appuyant sur l’argument de la nécessité : qu’il fallait toujours s’approvisionner en pétrole pour se déplacer, se rendre au travail, pour transporter le charbon jusqu’aux centrales électriques qui servent à faire ronronner les usines et les bureaux, ainsi que pour acheminer les produits manufacturés jusqu’aux commerces.

Lorsque, en présence de ceux qui m’apparaissaient plus progressistes, je soulevais la question des dépenses militaires, on me répondait qu’il fallait bien maintenir une capacité militaire pour jouer le rôle de gendarme du monde ; on manifestait même une attitude de surprise lorsque je leur demandais s’il n’était pas préférable de consacrer plus de ressources au maintien des infrastructures publiques, le réseau routier, les services urbains, l’éducation et la santé. On soutenait même qu’on avait assez réduit, voire même trop réduit le budget militaire du pays.

Conversation en fin de journée sur un terrain de camping – North Platte, Nebraska

Mi-mai, mon voisin de camping, un homme qui se présente comme étant à la retraite depuis quelques années, amorce la conversation en m’expliquant qu’il était en train de faire une tournée du pays pour visiter ses enfants dispersés dans plusieurs états ; il oriente la conversation pour parler de la campagne électorale en me révélant qu’il est membre du Parti républicain ; il me confie qu’aucun des candidats à l’investiture du Parti républicain ne l’inspirait ; il m’explique que la tendance à l’établissement de « dynasties politiques » est malsaine dans une démocratie et que les candidatures du frère de l’ancien président Bush du côté républicain et de la femme de l’ancien président Clinton du côté démocrate le dérangent ; qu’il votera probablement pour Trump, par défaut, et non pas par conviction.

Début juin, un propriétaire d’un commerce du centre du pays m’avouait qu’il ne parvenait pas à choisir entre les deux candidats majeurs. Quelques jours plus tard, au cours d’une conversation dans un événement public, je suis témoin d’une discussion entre des membres d’une même famille, qui témoigne de la confusion et de la division qui sévit au cœur même de la société américaine.

Mi-juin, un avocat qui a vécu toute sa vie dans le Mid-Ouest, rencontré sur un site historique au milieu des Grandes Plaines du Kansas, me parle de ses inquiétudes quant aux enquêtes du FBI en cours sur la question de l’utilisation d’un système privé de communication par Clinton dans l’exercice de ses fonctions comme Secrétaire d’état ; cela minait, à son avis la crédibilité de la candidate à l’investiture, et témoignait de la vulnérabilité de celle qui peinait à obtenir une majorité d’appuis au sein de son parti.

Quelques jours plus tard, un jeune homme, guide dans un parc national, raconte qu’il possède une maîtrise en géologie et un diplôme de premier cycle en économie, qu’il est criblé de dettes d’études et que tout ce qu’il a pu trouvé, c’est cet emploi temporaire ; il votera pour Trump parce qu’il estime qu’il ne peut pas faire confiance à quelqu’un qui change d’opinion selon la tournure du vent et qu’il ne peut pas se convaincre que Clinton pourra redresser l’économie du pays.

Fin-juin, un Californien, retraité, qui vote normalement « démocrate », un partisan de Bernie, s’interroge à savoir si Clinton maintiendra le virage progressiste qu’elle a pris suite aux pressions qu’exercent les partisans de Sanders et de l’appui que celui-ci a recueillis depuis quelques mois.

Tous les Américains s’entendent toutefois sur l’importance de la conversation publique qui a cours présentement au sein du pays.
Quelles que soient leur orientations politiques, la plupart m’ont confié être inconfortables dans la conjoncture actuelle : on ne fait pas confiance à Trump et à Clinton. Curieusement, ceux qui ont affirmé qu’ils voteraient pour Trump étaient motivés par leur méfiance quasiment irrationnelle à l’égard de Clinton. Inversement, ceux qui penchaient vers Clinton avouaient avoir être angoissés par la perspective de l’élection de Trump. Je n’ai pas rencontré une seule personne qui avait l’intention de voter pour l’un ou l’autre candidat pour des raisons positives : on votera pour l’un plus par opposition à l’autre, et non pas parce qu’on sera convaincu que le choix qu’on exercera sera le bon choix.

Plusieurs s’inquiètent d’un système politique qu’ils estiment soumis aux intérêts d’une clique, un système pourri à un point tel qu’aucune personne d’envergure puisse se démarquer, pour inspirer la confiance et obtenir le respect de l’électorat, qu’on soit ou non d’accord avec ses positions. On estime que le système en place empêche l’éclosion d’un renouvellement du leadership.

Beaucoup de gens qui ont cru au message positif de Obama il y a huit ans — Yes, We Can ! –, qui ont voté pour l’espoir qu’il incarnait, l’espoir que les choses puissent se passer autrement, n’y croient plus. Ce sera plus difficile cette année de faire campagne en véhiculant un message de changement : Clinton est perçue comme étant la candidate du statu quo, alors que Trump se présente comme étant celui qui redressera le pays.

Toute la vague de changement et d’espoir que la candidature de Bernie Sanders a suscitée risque de s’écraser sur la falaise immuable que représente le statu quo incarné par la candidature de Clinton. Il est significatif que, au cours de la convention du Parti démocrate cette semaine, l’argument que Sanders a utilisé pour convaincre ses partisans de soutenir la candidature de sa rivale est celle de la peur que Donald Trump puisse être élu au mois de novembre… Il a enjoint ses partisans de réfléchir aux conséquences d’une abstention de leur part, ou d’un appui au Parti vert. J’ai l’impression que ceux qui ont tout miser sur « Bernie » ont l’impression d’avoir été manipulés. Toute une génération de jeunes, qui pourraient exercer leur droit de voter pour la première fois, pourraient être déçus au point de se désintéresser du processus.

Le pays est extrêmement fracturé, et déprimé. Ce n’est pas encourageant.

***

Je viens d’écouter le discours de Madame Clinton à la télévision.

C’était un discours inspirant, certes. J’ai été surpris. Je ne m’y attendais pas.

Ce discours était celui que Bernie Sanders aurait pu prononcer. Ce n’est pas le discours que Hillary Clinton aurait livré il y a quelques mois, si ce n’avait été de la campagne menée par Sanders.

On n’oubliera pas que c’est parce que son parti a favorisé sa campagne au dépens de celle de Sanders, que c’est en trichant qu’elle a obtenu l’appui du parti.

Sa conversion est récente. Et il lui faudra convaincre ceux qui, comme moi, doutent toujours de la capacité d’une personne de renverser trente-six ans de politiques néo-libérales, y compris les législations et les politiques économiques prises au cours des administrations démocrates, dont celles de son mari. Ce qui m’inquiète le plus chez elle, c’est sa politique extérieure : est-ce qu’elle changera l’attitude impériale du pays à l’égard du reste du monde ?

Je souhaite qu’elle réussisse.

 

12 réflexions sur “Quelques témoignages sur l’élection américaine

  1. Bonjour Fernan,
    Je viens de me lever, lire tout ton billet pour un petit-déjeuner, je dois dire que ce fut plus que copieux !
     » Ce qui m’a le plus surpris, c’est à quel point ils sont désemparés, souvent désabusés, tant chez ceux qui me semblaient être de tendance conservatrice que ceux qui semblaient être plutôt d’orientation progressiste. »
    Je pense que dans cette phrase le monde entier se rassemble d’un bout à l’autre. Il n’y a plus d’Etat à proprement parler, mais un vaste marché dans lequel quelques « maîtres » tiennent boutique. Que reste-t-il des cultures propres à chacun, la finance impose partout la sienne.
    Je pense que nous sommes arrivé au règne de Machiavel.La désaffection citoyenne grossit partout où existe une démocratie affichée, ayant pour but de remettre en place des monarchies déguisées.
    On vote, si on va encore aux urnes pour ce qui semble avoir le plus de sauvegarde par rapport à des menaces de reconquêtes. Où la religion tient pouvoir avec l’appui de la finance.
    Ce qui va se passer aux Etats-Unis est tout aussi inquiétant que ce qui nous attend en 2017. Je crains tout autant Trump que Le Pen.
    Bonne journée à toi Fernan et merci.

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  2. Merci pour votre précieux témoignage . Je partage , en tant que française , votre inquiétude sur la ligne de politique extérieure que mènerait Mm Clinton si elle était élue. Elle a montré, comme secrétaire d’état , une ignorance coupable de la situation politique des pays du Moyen -Orient et une ambiguïté navrante envers les islamistes . Ses propos sur Poutine le comparant à Hitler , ( certes il n’est pas un ange) , étaient indignes, par leur excès , d’un responsable politique d’un pays comme les USA dont on attendrait plutôt mesure et raison.
    Je compatis avec les citoyens américains car le choix offert n’est guère enthousiasmant. Nous aurons aussi une élection en 2017 qui s’annonce bien peu pationnante.
    Les  » élites  » politiques sont coupées du peuple d’où ce désenchantement, pour ne pas écrire , ce rejet.
    Encore merci pour vos articles .

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  3. malheureusement, si souvent, un peu partout, on en vote plus « pour » mais « contre celui qui fait peur » aux uns comme aux autres..(ici, en Belgique, la peur de De Wever, en France le ras-le-bol de Sarkozy, maintenant le même ras-le-bol de Hollande….) manquerait-il tant de grands hommes politiques?
    merci pour cette réflexion…et belle journée à vous…

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  4. L’impérialisme américain à l’égard du reste du monde reste une question que se posent les Européens notamment. En France, nous sommes désemparés, comme vous. Notre élection présidentielle se déroulera au printemps 2017 et probablement que beaucoup de gens voteront « contre » un parti et non pas « pour » un autre. Qui a la solution ? Personne je le crains….
    En tous cas, merci Fernan, pour cet article édifiant.

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  5. Yes, I sympathise so much with this blog full of your thoughts about people’s often baffling reactions , the whole thing is very depressing both in the USA and here in the UK…very similar. I now feel like ignoring things as much as possible and create a little utopia around me as I do not understand anything anymore. xxx

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  6. Merci Fernan.
    Oui, ce discours de Hillary était surprenant, c’est le moins qu’on puisse dire.
    … J’ai rencontré un couple d’Américains la semaine dernière, des enseignants de New York qui étaient à Montréal pour y chercher une maison.
    … Je préfère bien sûr voir Hillary élue, mais quel que soit le résultat, il semble que tout un chacun a les bras baissés d’avance. L’espoir a mal, n’est-ce pas.
    … Trump incarne bien l’un des grands drames du moment, qui veut que le divertissement soit devenu un opium géant.
    C’était quelques réflexions à la volée. J’aurais pu aussi simplement dire qu’à regarder tout ça, j’ai parfois des frissons dans le dos.
    Merci encore de prendre le temps de dire.

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  7. Les américains que je connais à Paris ont le même état d’esprit. Ils se fient aux événements pour se décider. Jusqu’à présent même s’il y a des désaccords, c’est Hylar

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