Mi-février, assis au chaud dans un café, je contemple, le regard vide, au-delà de la fenêtre givrée, le vent balayer la neige sur la rue. J’aperçois un passant quelconque : soufflant son haleine glacée au rythme de son pas alerte, le dos courbé contre le vent, les mains dans les poches, le cou enfoncé dans les épaules de son coupe-vent… Un instant saisi, figé, dans l’évolution de l’univers… sans retour.
devant le café
un jeudi matin d’hiver
l’éternité fige
Mi-mai, délesté des pelures vestimentaires hivernales sur ma peau, je prends du temps pour remuer la terre de mon jardin ; je fais une pause pour contempler mon travail ; je savoure de vieux souvenirs qui surgissent de mon enfance, lorsque je me perdais dans mon imagination, dans la cour derrière chez-moi ou dans un bosquet au parc.
ombres en dentelles
apparaissent les bourgeons
se déboutonner
les bourgeons s’éclatent
le temps glisse entre mes jambes
je danse au présent
***
les fleurs applaudissent
toutes couleurs éclatantes
sur voûte azurée
Au creux de l’été, je marche sur le trottoir dans mon quartier ; une chaleur humide flotte sur ma peau ; le long zizillement des zigales me distrait de ma rêverie éveillée ; je ralentis mon pas…
une brise chaude
molles caresses humides
seconde éternelle
suspension
un temps écrasant
poussière d’éternité
mon regard s’échappe
Octobre, novembre, les journées s’écourtent, je prépare le retour de l’hiver… Je range les bûches à côté de la cheminée. Je m’enfonce dans mon fauteuil…
feuilles retournantes
vif sursis éblouissant
rides automnales
ombres allongées
des branches dépareillées
bise pénétrante
Branches dépareillées
les souvenirs filent
tout comme l’eau sous les ponts
le temps passe vite
À l’automne de ma vie, je me promène sur le bord de la mer ; je contemple les vagues qui s’écrasent sur la plage, le temps qui passe ; j’observe les débris qui jonchent mon parcours, je contemple le chemin que j’ai tracé dans l’univers ; je ne regrette rien…
Enfin, même retraité de la vie active, je peine à me délester suffisamment l’esprit pour retrouver ces états de grâce dont j’ai conservé le souvenir… il y a si longtemps. Cette impression de trouver ma place dans l’univers.
… ce court sillage que nous traçons, chacun de nous, sur la surface de la terre. Certains d’entre nous laisseront des traces plus tangibles de leur passage dans notre infime repli de l’univers. Peu d’entre nous laisseront des marques durables.
Contrairement à toutes les autres espèces vivantes, l’humanité est probablement la seule qui puisse s’imaginer autre que ce qu’elle est. Nous nous sommes inventés des constellations de héros, de chimères, d’anges et de déesses, qui témoignent de cette orgueilleuse aspiration que nous portons en nous, sinon à l’éternité, du moins à l’immortalité.
Les marques indélébiles que la Vie, sous toutes ses formes et à travers toutes les époques, a laissées sur la surface de la terre, devraient pourtant nous porter à plus d’humilité. Des accidents astronomiques ou géologiques ont bien souvent failli en éliminer l’existence même, à plusieurs occasions depuis son apparition, en apparence miraculeuse, il y a environ trois milliards d’années et quelques secondes de plus. Il n’est pas dit qu’un sort semblable ne soit pas réservé à l’espèce humaine, tout comme aux dinosaures il y a peu, si peu, quelque 60 millions d’années.
Il faut toutefois le reconnaître : c’est cette prétention à l’immortalité qui nous propulse aujourd’hui jusqu’aux confins de notre système solaire. Et c’est cette volonté de dépassement qui nous incite à témoigner de notre présence dans l’univers, à dessiner des motifs sur des cavernes, à construire des pyramides, et à lancer des messages comme des cailloux sur la surface de notre galaxie.
C’est cette même prétention qui m’incite à évoquer le sillage que je trace dans l’univers sur les murs virtuels du réseau que l’humanité est en train de se créer depuis un peu plus d’une décennie…