L’attente et l’arrivée de l’hiver

Lundi, 21 décembre, 2015 – Journée du solstice d’hiver

Début de l’hiver astronomique au Québec, tard en soirée, quelques minutes avant minuit… la journée la plus courte de l’année, le solstice d’hiver.

Contrairement à l’habitude, je n’y porte pas attention. Je ne me suis même pas renseigné sur la date et l’heure exacte de cet événement au cours des jours qui ont précédé.

Il n’y a aucune trace de l’hiver dans les parages. Depuis presque le début du mois, la température se maintient au-dessus du point de congélation. On bat des records de chaleur régulièrement.

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Jeudi, 24 décembre 2015 – La veille de Noël

Je marche d’un pas vif sur les trottoirs de la ville, au rythme monotone du passage des voitures. Les pneus ffrrroulent sur la chaussée mouillée, s’harmonisant au ruissellement des rigoles qui coulent vers les caniveaux.

Une pluie drue arrose la ville en ce matin de la veille de Noël. L’air, très humide, est extrêmement doux par rapport à la moyenne de ce temps-ci de l’année : 20 C au-dessus de la moyenne, un record… un record exceptionnel, pas loin d’une dizaine de degrés de plus que l’ancien record.

Culturellement, Noël et l’hiver sont associés à la neige au Québec. Ce n’est pas Noël ici, ni l’hiver, tant que la neige ne s’est pas déposée sur les toits, les trottoirs, les branches des arbres, les parcs… que la neige n’a pas couvert le pays en entier. Mon pays, c’est l’hiver, comme le clame si bien notre poète national, Vigneault, et tel que l’a si bien chanté Monique Leyrac :

Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver
Mon jardin ce n’est pas un jardin, c’est la plaine
Mon chemin ce n’est pas un chemin, c’est la neige
Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver

La publicité sur les sites Internet… les vitrines et les étals des magasins… les chansons qui hantent les corridors des centres d’achat… les émissions spéciales à la télévision… On n’y échappe pas ; tout focalise notre attention sur la saison des fêtes. Mais je demeure distrait : quelque chose nous manque… la neige…

On se résigne enfin à ne plus l’attendre, à s’en passer. Le réveillon commence dans quelques heures.

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Montréal, le 25 décembre 2015

Vendredi, 25 décembre 2015 – Noël

On parlera probablement longtemps de l’année du Noël sans neige à Montréal, comme on parle des événements climatiques exceptionnels qui ont marqué nos vies.

Ceux qui se se promènent aujourd’hui dans les parcs raconteront qu’ils s’étaient baladés lentement, savourant l’air, qui n’est pas aussi doux que la veille certes, mais qui demeure néanmoins confortablement au-dessus du point de congélation ; ils se souviendront que les joggeurs et les cyclistes avaient profité de l’extension exceptionnelle d’un automne qui n’en finissait plus pour faire un circuit supplémentaire autour du parc, que les écureuils, plus nombreux que d’habitude, s’énervaient et sautaient tout autour, ne s’écartant des sentiers que lorsque des promeneurs ou des chiens les dérangeaient en passant.

Si les augures ont raison, si le climat se réchauffe au cours des années à venir, on s’en souviendra comme de la toute la première circonstance de ce qui deviendra éventuellement peut-être la norme.

Souvenirs du printemps

Je ressasse, tout en me promenant, mes souvenirs des Noël passés.

Depuis deux ou trois décennies, les premières neiges qui restent au sol arrivent de plus en plus tardivement… d’abord à la fin de novembre, puis en décembre. Immanquablement toutefois, quelques jours avant le solstice, la neige s’amène ; qu’importe que la couverture soit mince, presque symbolique, voire qu’elle fonde quelques jours plus tard, l’important, c’est qu’elle décore le paysage de façon appropriée pour la fête de Noël.

Mes pas se maintiennent en mode de pilotage automatique sur les sentiers du parc alors que mes neurones cheminent dans les labyrinthes de la mémoire… : c’est la première fois depuis plus de quarante ans que je passe une journée de Noël sans aucune trace de neige.

Je me souviens de cette journée unique, où jeune adulte, je m’étais échoué sur l’ile de Patmos, en Grèce pour y passer la fête de Noël : je revois mentalement le paysage devant moi.. Tout était tranquille. Seuls les coqs persistaient à vouloir animer la vie des villages.

Au cours de mon exploration des environs ce matin-là, j’avais fait une pause pour m’asseoir sur un petit quai de béton. Me prélassant sous un soleil qui tardait à percer la brume, au fond d’une grande crique s’échappant entre deux collines dénudées, jusque sur la mer Égée, je m’étais déchaussé pour baigner mes pieds parmi les écrevisses, au son des clapotis de l’eau calme.

Puis, après le déjeuner, j’avais fait une longue marche solitaire sur les hauteurs au sud de l’ile : un paysage sec, rocailleux, quasi désertique, et la mer qui s’étend, bleue, à chaque tournant des sentiers, tout autour.

Le temps devenait de plus en plus frais, à mesure que le soleil s’abaissait à l’horizon. Je suis retourné à l’hôtel.

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Dimanche, le 27 décembre 2015 – Première neige

Amorce de l'hiver

Enfin ! une première neige saupoudre le paysage de Montréal ce matin : un mince tapis couvre la ville — quelques centimètres tout au plus, pas assez pour le ski, mais trop pour le vélo.

Je retourne encore une fois, d’abord au Parc Maisonneuve ( ci-haut ), et ensuite, maintenant que la neige est arrivée, au Jardin botanique ( ci-bas ).

Jardin japonais
L’étang du Jardin japonais n’est toujours pas complètement gelé
Retour au jardin alpin
Jardin alpin

De retour chez-moi, en attendant la tempête qu’on nous annonce pour le lendemain, je fouille dans mes archives photographiques.

Il y a trois ans, à la même date, les Montréalais s’étaient encabanés chez-eux pour laisser passer une tempête. J’avais allumé un feu dans le foyer, pour mieux climatiser le spectacle derrière chez-moi : des bourrasques de vent fouettaient les branches des arbres, soufflaient la neige parfois presque à l’horizontale, l’étalaient sur les rues, et sculptaient des arabesques autour des obstacles. La visibilité était très limitée. Vingt-quatre heures plus tard, une couverture épaisse de 45 centimètres de neige s’était déposée sur la ville.

Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver
Mon refrain ce n’est pas un refrain, c’est rafale
Ma maison ce n’est pas ma maison, c’est froidure
Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver

De mon grand pays solitaire
Je crie avant que de me taire
À tous les hommes de la terre
Ma maison c’est votre maison
Entre mes quatre murs de glace
Je mets mon temps et mon espace
À préparer le feu, la place
Pour les humains de l’horizon
Et les humains sont de ma race

27 décembre 2012Je me suis aussi souvenu d’une autre tempête, toujours entre Noël et le Jour de l’an. Je n’habitais pas Montréal à l’époque.Tout avait débuté le lendemain de Noël, en 1969.

Mais un ami m’avait prêté son appartement, face au Parc Lafontaine. Une amie était passée m’y rendre visite au tout début de la tempête. Isolés du reste du monde, nous avions perdu le temps, à contempler la neige virevolter, à parler, à écouter de la musique, à lire, à boire et manger, et à se gaver et s’ennivrer l’un de l’autre, pendant trois jours. Lorsque nous sommes sortis, à la fin de la tempête, le paysage était féérique ; il y a avait une soixantaine de centimètres de plus sur le sol.

Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’envers
D’un pays qui n’était ni pays ni patrie
Ma chanson ce n’est pas une chanson, c’est ma vie
C’est pour toi que je veux posséder mes hivers

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Mercredi, le 31 décembre, 2015

L’hiver est arrivé pour de bon. On nous annonce un temps polaire pour les jours qui viennent.

Les amateurs de ski sont heureux. Les enfants sortent leurs toboggans et leurs tapis de glisse et envahissent la moindre pente ; ils entreprennent de construire des châteaux et des forts de neige.

Il n’y a plus de joggeur, ni de cyclistes dans les parcs de la ville.

Parc Maisonneuve - Dernier jour de l'année en nb

Montréal l'hiver en nb
Montréal s’est vêtue d’un manteau de neige
Belle journée pour le ski
Belle journée pour le ski

Quelques pensées au sujet d’être Paris…

Je suis Paris, tout comme j’ai été Beyrouth, et Metrojet, et … tant d’autres : le Yemen, tous les jours depuis des semaines et des mois …

Je fouille ma mémoire … je récite intérieurement une liste de drames qui s’allonge, dans le temps, et dans l’espace …

La frustration, la colère, toute la gamme des émotions, au cours de cette soirée du 13 novembre, et à chaque fois que cela se produit …

Je me souviens …

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« Non », c’est non !

C’était le son des instruments désaccordés d’une fanfare d’amateurs qui réveilla les coqs, et les chiens du village de Ierapetra, ce matin-là.

Ce matin là, ce bruit étrange me tira progressivement de mon sommeil, bien avant l’heure à laquelle je me réveillais à cette époque. La couleur du ciel nous laissait deviner que le jour allait bientôt dissiper la nuit. Cette « musique » persistait ; je ne rêvais pas.

Saisi de curiosité, je me levai, m’habillai et, prenant soin de ne pas alerter mes colocataires, je sortis discrètement de l’appartement. Je me dirigeai lentement vers la source du bruit. Il n’y avait personne sur les rues, même pas les pêcheurs qui avaient déjà tiré leurs barques sur la plage bien avant l’aube, comme à tous les matins.

Enfin, je me retrouvai à la place centrale du village, devant le marché, face à la mairie : une dizaine de musiciens, tous habillés d’un uniforme qui semblait avoir reposé longtemps dans des tiroirs, et qu’ils semblaient avoir revêtu à la hâte, tentaient tant bien que mal de claironner des airs militaires. Je restai bouche bée à contempler le spectacle, m’attendant à ce que le concert provoque un attroupement des villageois… Il temps passa… Rien ne se passa… et les musiciens ne cessaient pas de se désâmer. Les chiens cessèrent de s’énerver, mais les coqs continuaient tout de même à rivaliser avec la fanfare pour nous annoncer, comme d’habitude, une autre journée ensoleillée. Au bout d’une trentaine de minutes, je décidai de retourner chez-moi.

J’avais besoin d’un café. Passant devant la taverne, face à la plage, devant la Méditerranée, je constatai que la porte était ouverte. J’entrai.
La vieille dame derrière le comptoir me sourit et me souhaita « kalimera », bonne journée. Je commandai un café, grec, bien entendu… comme d’habitude, moyennement sucré. Me retournant pour m’assoir à une table, je remarquai qu’un homme était déjà installé à une table, contre un mur : c’était un vieux au visage raviné de rides, et orné d’une belle moustache blanche. Au bout d’un moment, il brisa le silence : je devinai qu’il voulait savoir d’où je venais. Je lui répondit que je venais du Québec, de Montréal. Ses yeux s’éclairèrent un peu : « De Gaule… Vive le Québec Libre », rajouta-t-il, avec une tonalité de point d’interrogation dans sa voix. J’ai acquiescé, avec un grand sourire. La déclamation du Général sur le balcon de l’hôtel de ville de Montréal avait fait des vagues, dans tous les recoins du monde entier, quatre ans plus tôt, lors de l’Expo 67.

Il n’y avait que nous deux, et la dame au comptoir dans l’établissement. Il ne parlait pas l’anglais ni le français. Je ne parlais pas le grec. Cela ne nous empêcha pas d’entamer une conversation animée, ponctuée de gestes, d’onomatopées, de bruits mimant des objets — le son de moteurs d’avions, de mitraillettes…

Le pays était toujours soumis sous la dictature fasciste des Colonels : je savais qu’on ne devait jamais parler ouvertement de politique en public. Avec précautions, nous nous sommes graduellement apprivoisés l’un l’autre… nous partagions une même langue, celle de la résistance.

C’est ainsi qu’il m’éclaira sur la signification de la « cérémonie » qui avait lieu sur la place centrale du village, et dont on entendait toujours les échos en arrière-plan : on célébrait ce jour-là une des deux fêtes nationales de la Grèce, le Jour du « Non ».

Au début de la Seconde Guerre mondiale, le dictateur italien Mussolini somma la Grèce de laisser son armée occuper des lieux stratégiques militaires sur son territoire. Le dictateur grec Metaxás répondit succinctement « Non », ce qui provoqua l’entrée en guerre de la Grèce. Les Allemands durent prêter main forte à l’Italie pour parvenir à maîtriser le pays.
J’ai aussi appris qu’il était un vieux socialiste ; qu’il avait participé à la résistance contre les Allemands. Il me décrivit, de façon très imagée, avec forces détails, comment les Allemands éprouvèrent beaucoup de difficulté à envahir la Crète ; et comment ils résistèrent à l’occupation étrangère.

Ces histoires, qui étaient toujours vives il y a une quarantaine d’années en Grèce, ont été transmises d’une génération à l’autre. On était disposé à passer l’éponge après la guerre. Mais le souvenir n’en est pas moins demeuré vivace.

Ce n’est pas par hasard que, dans le cadre du référendum qui a eu lieu la semaine dernière, le gouvernement grec a formulé la question de façon à obtenir un « non » ferme. La plupart des peuples ne se soumettent aux ultimatums « étrangers » que si on le leur impose par la force, que cette force soit de nature militaire, ou non moins subtilement, de nature financière.

Renouveler la pédagogie

Une carrière d'écriture, Marcel Trudel, Marcel Trudel (1917 - 2011), Mythes et réalités dans l'histoire du Québec, tome 3, 2006 Éditions Hurtubise HMH, Montréal
Une carrière d’écriture : de l’ardoise à l’ordinateur, Marcel Trudel : le livre, une écriture appliquée par un crayon d’ardoise sur une tablette d’ardoise, les crayons d’ardoise, un crayon à mine, deux crayons mécaniques à la mine, un porte-plume muni d’une plume métallique, et un stylo-plume, ou plume-à-réservoir ( plume Waterman Crusader, 1947 – début 1950 ). Cliquez sur la photo pour lire des extraits du texte et examiner les éléments.

Pour les auteurs du manifeste, «l’école occidentale, par son refus obstiné d’évoluer avec elle, n’est plus le reflet de la société qui lui a donné naissance». Une critique forte qui s’accompagne d’une réalité que l’école ne peut certainement plus ignorer : «Selon le Département du Travail des États-Unis, peut-on lire, 65 % des enfants actuellement sur nos bancs d’école une fois diplômés, pratiqueront des métiers qui n’ont pas encore été inventés au moment d’écrire ces lignes». Là-dedans, il va sans doute y avoir un emploi qui pourrait bien ressembler à quelque chose comme un enseignant.

Mais pour en arriver là, «l’école contemporaine se doit de développer des adultes qui se démarqueront par leur degré d’ouverture à la nouveauté, leur aptitude à gérer le changement et à s’y adapter ainsi que par leur capacité à tirer profit de l’incertitude que tout cela génère», poursuivent les auteurs du manifeste. Incertitude qui pour le moment dans certains milieux semble paralyser plus qu’elle ne met en mouvement.

Fabien Deglise, Les mutations tranquilles, Le Devoir, 1 juin 2015

Dans sa chronique du 1er juin, Fabien Deglise rend compte d’un Manifeste pour une pédagogie renouvelée, active et contemporaine, qui a été publié, sur le Web bien entendu, par un groupe d’enseignants et de pédagogues qui préconisent un renouvellement de la pédagogie afin de l’adapter aux nouvelles réalités du monde moderne.

Convenons, pour les fins de discussion, qu’une telle démarche soit nécessaire. Toutefois, connaissons-nous suffisamment la nature des mutations que nous sommes en train d’éprouver, tel que nous pourrions répondre adéquatement aux défis qu’elles soulèvent, pour inventer une nouvelle pédagogie ?

Je lis cette chronique et je ne peux m’empêcher de m’interroger. Depuis plus de deux siècles, soit depuis le début de la révolution industrielle, chaque génération apprend à s’adapter aux nouveaux systèmes technologiques qui surgissent et se succèdent les uns après les autres : machine à vapeur, électricité, électronique, …

Ma génération, comme les précédentes, a évolué dans un contexte où les métiers et les professions, ainsi que l’exercice de celles-ci, ont changé de plus en plus, à un rythme frénétique, d’une décennie à l’autre.

Il y a un siècle, on a troqué les chevaux pour les automobiles, les camions et les tracteurs. Les forgerons ont dû se convertir.

Un demi-siècle plus tard, la télévision faisait son entrée dans les foyers : j’avais quatre ans quand on lui a fait une place dans le salon chez-moi. Dans le sillage de la fascination qu’elle exerce sur nos vies et de sa pénétration dans la société, on n’a pas tardé pour soutenir qu’il fallait renouveler la pédagogie, en soutenant qu’il fallait introduire la radio, puis la télévision, dans les classes ; on soulignait que l’enseignant devait désormais faire concurrence à la télévision dans l’exercice de sa profession.

Bateau à vapeur, radio, avion : ce ne sont là que des objets, des outils, des instruments, des artefacts. Le développement de ces objets découlent d’une évolution de découvertes scientifiques… de l’évolution, aussi, des idées, de théories, d’innovations les plans social et politique aussi, tel que le développement de sociétés plus égalitaires, et démocratiques.

Qu’y a-t-il de neuf, en réalité ?

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Chronique de mes hantises

On a parfois l’impression de vivre à une époque spéciale, un tournant dans l’histoire. La noosphère prend conscience d’elle-même.

Mais cette conscience de soi deviendra-t-elle assez vive pour nous inciter à adopter les mesures nécessaires afin d’éviter de s’autodétruire ?


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Je suis scribe…

Je suis scribe, fils d’un scribe.

Rien ne me prédestinait à cet état professionnel.

Mon père, certes, a été « scribe », c’est-à-dire, commis, fonctionnaire au service de l’état — j’ai hérité de l’ensemble de stylo-plume et de crayon mécanique qu’on lui avait remis, en témoignage de reconnaissance, au moment où il a quitté une des unités où il a travaillé.

Mes grands-pères toutefois, ainsi que tous mes ancêtres avant eux, tant du côté paternel que maternel, ont été des cultivateurs.

Je ne sais pas d’où me vient cette passion de lire et d’écrire.

Je me souviens qu’enfant, avant même qu’on m’inscrive au jardin d’enfance, allongé sur le ventre à terre au centre du salon, je m’appliquais à tenter de percer les secrets de ces longues colonnes de signes sur le journal. Je voulais apprendre à lire.

À l’école, j’ai aimé manier le porte-plume qu’on trempait dans l’encrier, tracer de longues gammes de lettres sur des lignes dans un cahier d’écolier. De grandes, de grosses lettres… aussi belles et parfaites que le bras et la main d’un enfant pouvaient le faire. Bien entendu, je me tachais les mains d’encre et je tachais parfois, souvent, la page blanche du cahier de pratique … Il fallait bien casser les œufs pour faire une omelette, n’est-ce pas?

Un demi-siècle plus tard, après avoir entretemps appris à maîtriser l’écriture numérisée, j’ai renoué avec ce plaisir d’écrire à la main. J’ai commencé à consacrer pl us d’attention à mes outils d’écriture, aux instruments que j’ai utilisés pour écrire – porte-plume, stylo-plume, stylobille, crayon, crayon mécanique, crayon-feutre, craie, machine-à-écrire…

Peu avant de prendre ma retraite, j’ai fait restaurer ma vieille plume, celle qui m’avait si bien servi pour rédiger mes travaux au propre tout au long de mes études secondaires, collégiales et universitaires, et que j’avais négligée depuis des années.

Aussi, de fil en aiguille, porté par la curiosité, je me suis intéressé à l’histoire de ces instruments. Je me suis mis à explorer un territoire dont je reconnaissais les coordonnées, mais dont je me suis rendu compte que je ne le connaissais pas. J’ai découvert un nouvel univers, celui de la merveilleuse histoire de l’outil des civilisations, l’écriture, une des plus belles inventions de l’humanité.

Souvent, tout au long de ce voyage dans les siècles et les millénaires, je suspendais mes lectures, pour reculer un peu, me repérer, réfléchir, et parfois, je me laissais aller, à imaginer le quotidien de tous ces scribes qui m’ont précédé : le gestionnaire de projet que j’avais été admirait les comptables sumériens qui inscrivaient sur des tablettes d’argile les inventaires et les comptes des premiers empires ; l’élève curieux que j’avais été épiait les enfants, qu’on formait à devenir les scribes des pharaons, en train d’apprendre à dessiner des hiéroglyphes sur du papyrus ; j’écoutais Suétone raconter comment Néron composait ses poèmes avec un stylet sur une tablette de cire ; je priais avec les moines médiévaux, pliés sur leur écritoire à copier la parole de Dieu, sur du parchemin, sous la dictée d’un lecteur dans un scriptorium froid et humide ; j’accompagnais les grands explorateurs français Samuel de Champlain, Louis Jolliet et Jacques Marquette, en canot sur les rivières et les lacs d’un Nouveau monde, notant leurs observations et dessinant des cartes sur du papier, plumes d’oiseaux en main ; je me penchais au-dessus de l’épaule du jeune Gustave Flaubert, qui venait de terminer son baccalauréat, et qui, à la bibliothèque municipale de Bordeaux, manipule l’exemplaire des Essais annoté d’ajouts et de correction de la main même de Montaigne.

Tous ces scribes, copistes, notaires, secrétaires, chroniqueurs, rédacteurs, journalistes, écrivains, ont tissé, chacun à leur façon, la grande courtepointe de nos histoires.

( texte remanié et amélioré, le 14 décembre 2017 )

 

Réveil

Le ruisseau fleuri 5
… sur le cerisier qui surplombe le ruisseau.

Le jardin fleuri se réveille.

Pendant la nuit, des araignées ont tendu leurs pièges, qui scintillent aux effleurements délicats de la brise, comme autant d’éclairs entre les astilbes. Des libellules zigzaguent au dessus du territoire, avant de piquer dans les talles d’hémérocalles et de lys à la poursuite de points lumineux qui s’esquivent en saccades. Humant les odeurs et les parfums comme des clients distraits, des papillons folâtrent allègrement avant de se poser, pendant que, butinant d’une fleur à l’autre, les abeilles bourdonnent, méthodiques et appliquées à recueillir du pollen. Enfin, les cigales s’installent dans l’orchestre et commencent à s’accorder aux oiseaux, prélude au concert du matin. Une volière de jaseurs des cèdres se relaient, un après l’autre, pour récolter des fruits sur le cerisier qui surplombe le ruisseau.

À distance, on entend les camions qui roulent sur les boulevards qui ceinturent le Jardin botanique : la ville aussi, se réveille.

Le spectacle des villes qui s’animent à l’aube me fascine depuis toujours… surtout les villes où on débarque pour la première fois…

Suis-je venu au monde une deuxième fois à Paris, à moins que ce ne soit à Athènes ?

… Athènes, telle que la chante Mélina Mercouri…

Ma ville,
c’est bon
ne plus te voir
en rêve

Ma ville,
regarde le soleil se lève…

Ma ville
que c’est un joli jour pour naître…


Athènes… au lever du jour…

Ce matin-là, je me suis réveillé très tôt.

La lumière du jour, si faible fut-elle, s’était introduite à travers mes pupilles, aussi opaques qu’une dentelle. J’entendais déjà le bruit sourd de la ville qui perçait à travers les fenêtres de l’hôtel. Je me suis levé discrètement, pour ne pas réveiller mes compagnons de voyage. Et je suis sorti sur le trottoir.

J’ai eu l’impression qu’Athènes s’était faite splendide pour m’accueillir : une douce lumière matinale, tamisée ; les ombres encore longues ; un temps frais, calme.

Nous étions arrivés la veille, en fin de soirée, par autobus. Il faisait noir : difficile d’observer, de distinguer quoi que ce soit. La journée avait été longue : plus de quinze heures de route. Nous avions traversé toute la Grèce, du port d’Igoumenitsa, au nord-ouest,  face à l’ile de Corfou, tout près de la frontière de l’Albanie, jusqu’à la capitale, Athènes. Rendus à destination, notre priorité avait été de trouver une chambre pour dormir. Que m’importait que la nuit fut courte ; le lendemain ne viendrait jamais assez tôt !

Je m’étais endormi en laissant défiler les images de la journée qui se terminait : le débarquement dans le port, après une traversée orageuse depuis l’Italie sur la Mer Adriatique ; le voyage en autobus, sur une route sinueuse, étroite, qui, serpentant entre la falaise et le ravin, souvent donnait le vertige ; un chauffeur intrépide, aux réflexes nerveux, mais prestes, capable néanmoins de maintenir une conversation intense avec des passagers ; les voyageurs, toujours animés, qui parlaient une langue que je ne connaissais pas, hommes, femmes, enfants, vieillards, il m’apparaissait que tous avaient quelque chose à réclamer, une opinion à exprimer, des conseils à prodiguer ; les paysages, montagneux, dénudés, ravinés, parfois un lac ou un ruisseau au fond d’une gorge escarpée, puis, tout à coup, au loin, la mer, le Golfe de Patras ; les noms des lieux qui sonnaient familiers, Missolonghi, où Byron a rendu l’âme, suivi de Corinthe, puis de Megara, qui nous annonçait, enfin, Athènes.

Athènes la mythique, celle de Périclès, d’Hérodote, de Socrate, de Platon, de Sophocle et de tant d’autres, qui avaient stimuler l’imagination et alimenter mes rêves d’adolescent, pendant les classes d’histoire ancienne…

Je me retrouve enfin à Athènes, debout sur le trottoir, au milieu de la ville, sans savoir vraiment où je suis… dans quelle direction me diriger ? Où est l’Acropole, comment s’y rendre, à quelle distance ? Il faut que je marque mes repères, pour revenir à ma chambre d’hôtel. Mais d’abord, où trouver des cigarettes, et du feu… quand on ne connait pas la langue, ni les marques de commerce ?

Les gens fourmillent dans toutes les directions, rapidement, louvoyant entre eux d’un pas décidé, volontaire ; les autobus passent, la circulation est déjà dense et saccadée ; personne ne flâne sur les bancs de la place publique, de l’autre côté de la rue.

Intuitivement, je pars à l’aventure en me dirigeant vers le sud. J’accoste un fumeur sur le coin d’une rue, une personne qui semble moins pressée que les autres, utilisant un amalgame de gestes et de mots anglais, français, pour demander où acheter des cigarettes ; d’un coup de tête souligné d’un sourire, il dirige mon regard vers un petit établissement à quelques pas de distance, tout en me souhaitant kalimera, bonne journée.

Je poursuis mon chemin, sans réussir à synchroniser mon pas à ceux de cette nuée de butineurs, jusqu’à ce que j’arrive, par hasard, au marché central. Il n’est pas encore sept heures du matin que déjà des ménagères font leur marché… tout le monde est affairé, les bouchers brandissent leurs couteaux, les maraîchers disposent leurs produits sur les étalages, les boulangers servent les clients … Je trouve un coin où on sert le café, un café grec bien entendu, que je commande comme on me l’avait appris la veille, mi-sucré, et que je sirote, du bout des lèvres et de la langue… Let It Be (ainsi soit-il) : comme un buvard, j’absorbe les sensations, chaque odeur, chaque regard… j’habite cette ruche qui m’enrobe de chaleur.

Souvenirs

Dimanche 29 juin

Journée chaude aujourd’hui… Souvenirs des étés de mon enfance, de mon adolescence…

… au cours de certaines journées chaudes de mon enfance, il m’arrivait souvent de vagabonder, le corps léger, tous les sens en alerte. Parfois, l’esprit se mettait à dériver. Sans que je m’en rende compte, je m’estompais dans l’espace du monde.  Je me retrouvais alors dans un état de ravissement devant un objet familier, un jouet par exemple, ou une plante…

L’émerveillement d’être… une extase naturelle.

On ne provoque pas ce genre d’expérience : cet état survient. Bien entendu, il faut du temps, une disponibilité, un détachement de soi… n’attendre rien.

Ce n’est que devenu jeune adulte que j’ai commencé à comprendre la nature de ces expériences… et encore… avec le temps, l’expérience, ai-je vraiment compris ce qu’il en est ?

Profondeur
… de boisés mystérieux à demi domestiqués.


 

Je suis en train de jouer avec ma modeste collection d’automobiles et de camions miniatures : avec une petite pelle en plastique, je trace un réseau de chemins sur la terre compactée, couverte de gravier, et parsemée ici et là de plantes qui poussent à l’état sauvage, dans la cour derrière chez-moi.

Je frôle une plante sauvage, de la mauvaise herbe selon les critères de ma grand-mère, qui était appuyée en cela de la très grande majorité des jardiniers. Pourtant, je l’aime cette mauvaise herbe, qui pousse dans les craquelures des trottoirs, qui ajoute de la couleur au ciment urbain de mon voisinage… Elle n’a pas d’allure cette plante dont je ne connais pas le nom (peut-être une matricaire odorante) : un petit bouton jaune au bout d’une tige, qui soutient un feuillage délicat, vert foncé. Dans mon imaginaire d’enfant, cette plante tient le rôle d’un arbre dans ce paysage que je compose.

Sans que je n’y prenne garde, la senteur qu’elle dégage lorsque je la frotte me subjugue et provoque graduellement mon étonnement, devant son existence même.


Quelques mois, quelques années plus tard, le jeune garçon commence à sortir de sa cour. Ses héros, les personnages de ses livres d’histoire et des romans de Jules Verne et de Robert Louis Stevenson, l’inspirent : il se découvre une âme d’explorateur.

Il part à la découverte de territoires de plus en plus vastes. Il habite désormais dans une banlieue, aux abords de vastes champs aux grandes herbes, de boisés mystérieux à demi domestiqués. Il s’y promène en écoutant attentivement le chœur des oiseaux, le crépitement des écureuils qui courent dans les arbres, les frottements et les bruissements au sol, les bourdonnements et les grésillements des insectes…

Les longs zizeillements lancinants des cigales l’enchantent surtout, et l’entraînent, à l’occasion, dans l’exubérance du cosmos.


Les ruisseaux, les rivières et les fleuves coulent se vider dans les océans. Le soleil les réchauffe ; des nuages se forment, et se déversent à nouveau dans les lacs et les ruisseaux, pour la suite du monde.

L’adolescent découvre la géométrie, la physique, la chimie, se passionne de sciences, s’enthousiasme à pérégriner dans l’infiniment grand tout autant que dans l’infiniment petit. Le savoir explique, mais ne se substitue pas à la fascination qu’il éprouve à l’égard du mystère de la matière, de la vie. Sans délaisser ses romans, il commence à fréquenter les philosophes ; non satisfait de s’engager dans les dédales de la noosphère des idées, il veut désormais participer, avec d’autres, à changer le monde. Les moments d’extase se raréfient.

Cimicifuga
… en prenant du temps pour remuer la terre de son propre jardin il fait une pause pour contempler son travail ; et il savoure de vieux souvenirs.


Des décennies plus tard, l’adolescent devenu adulte a cessé de vouloir changer le monde. Il reste peu de place pour des expériences de nature mystique, dans son esprit désormais meublé d’occupations tant domestiques que professionnelles. Durant ses heures de loisirs, il se métamorphose en déracineur de mauvaises herbes et en chasseur d’insectes présumés « nuisibles ». Parfois, lorsqu’il prend du temps pour le perdre à remuer la terre de son propre jardin, il fait une pause pour contempler son travail ; et il savoure de vieux souvenirs.


Enfin, même retraité de la vie active, il peine à se délester suffisamment l’esprit pour retrouver ces états de grâce dont il a conservé le souvenir… il y a si longtemps. Cette impression de trouver sa place dans l’univers.

Conjuguer ses histoires (2)

Il y a longtemps, lors de conversations avec des membres de ma famille, j’ai appris que mon aïeul en terre d’Amérique s’appelait Pierre Jamme, ou Gemme. J’ai retenu aussi qu’il était originaire du Calvados, en Normandie ; qu’il était arrivé avec un régiment militaire et qu’il s’était établi dans la région de Montréal ; que ses descendants avaient progressivement migré vers l’ouest en passant dans la région de Saint-Eustache avant de traverser la rivière des Outaouais il y a un peu plus d’un siècle. Ma connaissance de mon histoire familiale se résumait à ces quelques lignes.

J’ai voulu en savoir plus en revenant de mon dernier périple à Ottawa il y a quelques semaines. Depuis ce moment, je fouine sur Internet, voir ce que je pourrais y trouver.

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Surprise … une histoire digne d’un film romantique

Mon aïeul, Pierre Jamme est originaire de Lantheuil, tout près de Bayeux en Normandie. Il s’engage dans une des Compagnies franches de la Marine, qui avaient été dépêchées en Nouvelle France afin de protéger la colonie contre les Iroquois à la fin du 17ième siècle. La colonie française était englobée dans une lutte de pouvoir pour le contrôle du commerce des fourrures, entre les nations amérindiennes d’une part et les autres colonies européennes dans le nord-est de l’Amérique du Nord.

Pierre Jamme arrive à Montréal au début de l’été 1687, au moment où des troupes partent en campagne militaire contre les Iroquois. Le jeune homme est affecté à la garnison du Fort de La Présentation, dans l’ouest de Montréal. La carrière militaire qu’il projetait fut toutefois de brève durée, d’où le surnom de « Carrière » que ses camarades lui accordèrent et que ses descendants conservèrent pendant deux siècles.

Au moment où il arrive au pays, au cours des années 1680, les habitants sont tenus de loger les soldats. C’est ainsi que le jeune soldat se retrouve chez Pierre Barbary, lui-même un ancien militaire. C’est là qu’il fait la connaissance d’une des filles de son hôte, Marie-Madeleine. Un an plus tard, il demande à Monsieur Barbary la permission de marier sa fille. Le mariage a lieu quelques mois plus tard, au mois de février 1689.

Au cours de la nuit du 4 au 5 août 1689, Pierre Jamme dit La Carrière est de garde au Fort de La Présentation, tout près de la Lachine. C’était, selon les récits des événements, une nuit terrible, une nuit d’orage, de grands vents, de grêle… tout ce qui, dans un scénario de film, nous prédispose à un tragique événement. C’est exactement ce qui se passa tôt le matin du 5 août.

Durant la nuit, profitant du mauvais temps pour masquer leur arrivée, des centaines d’Iroquois traversent le Lac Saint-Louis et vont se poster aux abords de Lachine. Dès le lever du jour, ils attaquent le village : une véritable tragédie qui marqua la colonie entière de la Nouvelle-France.

Si Pierre Jamme n’avait pas passé la nuit à son poste, il se serait probablement retrouvé parmi les dizaines de victimes du Massacre de Lachine. Les beaux-parents de mon aïeul furent tués. Sa jeune épouse, Marie-Madeleine fut épargnée. Elle fut amenée en captivité avec son jeune frère et deux de ses jeunes sœurs en pays iroquois. Ce n’est qu’une douzaine d’années plus tard que Marie-Madeleine put retrouver son époux, Pierre, à l’occasion d’un échange de prisonniers entre Iroquois et Français. Cet échange servit de témoignage de bonne foi préliminaire à la signature de la Grande Paix de Montréal en 1701.

Au cours des années subséquentes, Pierre et Marie-Madeleine s’établirent dans l’ouest de l’ile de Montréal, où ils eurent plusieurs enfants, dont deux fils qui ont transmis leur patronyme aux générations suivantes : Thomas et Jean.

Les descendants de Thomas et Jean Jamme dit Carrière migrèrent progressivement vers l’ouest, s’établissant d’abord à Saint-Eustache et dans la région de Mirabel, le long de la rivière des Outaouais. Peu après la Rébellion des Patriotes de 1837-38, les membres de la famille cessèrent de s’appeler Jamme, pour adopter le nom de Carrière. La famille se dispersa, au cours des décennies suivantes, vers l’est et le nord-est ontarien. Un petit nombre iront s’installer dans l’ouest et le sud-ouest américain. Vers 1880, deux fils de Joachim Jamme (Gemme) dit Carrière, Basile et Joachim Carrière traversèrent la rivière des Outaouais. Joachim était le père de mon grand-père.

Questionnements

L’histoire que je raconte ici est un condensé de ce que j’ai pu glané de diverses sources, pour la plupart inscrites sur des serveurs dans le vaste réseau de l’Internet. Ces sources divergent quant aux détails de certaines dates et certains événements, mais elles convergent lorsqu’on examine d’un regard panoramique l’ensemble du tableau. Toutefois, l’esprit s’interroge lorsqu’on commence à étudier certaines perspectives de près. Des questions s’imposent : comment entremêler l’histoire personnelle à celle de la collectivité ? pourquoi les descendants de mes ancêtres ont-ils quitté leurs terres pourtant fertiles de l’ouest de l’ile de Montréal, pour migrer vers Saint-Eustache et recommencer à neuf ? qu’est-ce qui les aurait incités à laisser tomber leur nom, Jamme, pour adopter le surnom de Carrière ? d’autant plus qu’il semblerait que toutes les branches de la famille, déjà très touffues, semblent l’avoir fait simultanément, partout … Il reste très peu de Jamme dans les répertoires téléphoniques au Canada.

Il y a quelques semaines, j’ai assisté à un rassemblement politique, en appui au projet de Charte des valeurs québécoises proposée par le gouvernement du Québec. J’ai rédigé quelques observations sur le déroulement du débat que ce projet suscite au sein de la population encore aujourd’hui, plus de deux mois plus tard. Le colloque auquel j’ai participé devait avoir lieu dans un amphithéâtre de l’Université du Québec à Montréal. Toutefois, pour des raisons qu’ils n’ont pas expliquées, les organisateurs ont dû modifier le lieu du rassemblement à la dernière minute.

La réunion a donc eu lieu à la Maison Ludger-Duvernay, rue Sherbrooke, à Montréal. La salle était trop petite eu égard au nombre des personnes qui se sont présentées pour y assister. Plusieurs d’entre nous ont dû écouter les discours dans une salle adjacente, sans voir les orateurs. Je me suis donc retrouvé devant un mur… où je pouvais contempler un grand tableau, une belle peinture montrant des Patriotes réfugiés derrière des fenêtres, tirant sur les troupes anglaises (loyalistes) au cours de la Bataille de Saint-Eustache (décembre 1837).

En attendant le début des discours, j’ai confié aux gens qui m’entouraient que j’avais appris, quelques jours plus tôt, que mes ancêtres se trouvaient dans la région de Saint-Eustache à l’époque de la Rébellion des Patriotes, tout en ajoutant que je souhaitais que ceux-ci aient appuyé la Rébellion.

Il y a quelques jours, j’ai découvert que des membres de la famille ont été arrêtés, accusés de haute trahison et emprisonnés pendant quelques années. L’Église officielle et les partis au pouvoir se méfiaient de ceux qui descendaient de parents qui avaient participé à la Rébellion. Dans ces circonstances, il ne serait pas surprenant que mes ancêtres aient décidé de modifier leur nom. C’est une hypothèse : un changement de nom peut alléger le fardeau qu’ont dû porter les membres de la famille au cours des décennies suivantes.

Toutes ces recherches suscitent beaucoup d’autres questions. Je n’ai pas de réponses à toutes ces questions, puisque mes recherches sont relativement récentes. Toutefois, ma démarche informe ma réflexion sur un autre débat de société qui a cours présentement au Québec, soit celui de l’enseignement de l’histoire dans nos écoles et collèges.

Conjuguer ses histoires… (1)

Racines familiales
Quatre générations – la continuité de la vie…

Un devoir de mémoire

Quelques années avant de mourir, ma mère m’avait donné plusieurs vieilles photos de famille. À l’occasion, au cours des années, elle m’avait raconté les histoires liées à certaines de ces photos. Malheureusement, je n’avais pas pris de notes lors de ces conversations. La mémoire ne retient en général que ce qu’on estime comme étant important dans l’immédiat. Les souvenirs se logent dans les replis du cerveau, puis la trace pour s’y retrouver se dissipe. C’est pour cette raison que je saisis toutes les occasions de sortir ces photos, et d’interroger les témoins toujours vivants qui pourraient me renseigner sur mes histoires.

Ainsi, il y a quelques semaines, je suis retourné à Ottawa, ma ville natale, pour accomplir des devoirs : des devoirs de famille, de reconnaissance, de mémoire.. pour lier le passé à l’avenir, pour retisser et reconjuguer mes histoires… pour les transmettre à ma petite-fille, pour qu’elle puisse à son tour, les retransmettre à ses petits-enfants… 

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Écrire en voyage

Depuis quelques années, je lis beaucoup de récits de voyages, rédigés par de grands écrivains, y compris ces classiques dont tous ont entendu parler mais que peu ont lu, tel L’Enquête d’Hérodote, ou le Livre des merveilles de Marco Polo. Le récit de voyage est un genre littéraire qu’on sous-estime, et qui devrait faire l’objet d’études plus formelles en soi. Ma bibliothèque comporte une section complète de ces récits.

Une partie de ma bibliothèque : la bibliothèque du voyageur
Une partie de ma bibliothèque : la bibliothèque du voyageur, d’Hérodote jusqu’à Lacarrière… en passant à travers les siècles de Polo à Montaigne, et de Stendhal et Flaubert jusqu’à David Thoreau, Jack Kerouak et Nicolas Bouvier, sans négliger les voyages imaginaires

Depuis quelques mois, mes lectures ont presque exclusivement porté sur ce genre de textes : le récit du voyage de Montaigne en Allemagne, en Suisse et en Italie ; les voyages de Gustave Flaubert, au Moyen-Orient, en Bretagne, dans le Sud de la France ; ceux de Stendhal en Italie ; Dos Passos en Espagne… des lectures fascinantes.

Certains passages sont émouvants : imaginez, en le lisant, le jeune Gustave Flaubert, qui vient de terminer ses études de baccalauréat, qui n’a donc encore rien publié, décrivant sa visite à la Bibliothèque de Bordeaux, où il feuillette un des manuscrits des Essais de Montaigne : il ne porte pas de gants, n’est pas encadré de conservateurs… Ou encore, la description que fait Stendhal, le 7 avril 1838, de sa visite de la Brède, le château de Montesquieu en Aquitaine (Voyage dans le Midi de la France, pages 97 à 107).

Il est intéressant de comparer les impressions de Montaigne et de Stendhal qui ont souvent visité les mêmes lieux en Italie, à deux siècles de distance l’un de l’autre. Il faut retenir, en lisant ces récits, quelles sont les conditions physiques que doivent endurer les voyageurs d’il y a plus d’un siècle ou deux. Les routes, même en Europe, ne sont pas toujours sécuritaires. Ce n’est que dans la deuxième moitié du XIXe siècle qu’on commence à créer les réseaux modernes de transport et d’hébergement, tels que les réseaux ferroviaires, les bateaux de croisière, les hôtels (tels qu’on les conçoit aujourd’hui), les circuits. On oublie que ce n’est qu’en 1869 que Thomas Cooke offre son premier voyage organisé en Égypte à une clientèle de touristes de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie anglaises surtout.

Plusieurs dimensions ont retenu mon attention au cours de toutes ces lectures depuis deux ans. J’en retiens une pour l’instant : la dimension matérielle de l’écriture en voyage.

D’abord, un peu de contexte… Sur le plan matériel, l’écriture est une combinaison de trois éléments : on écrit à l’aide d’un instrument qui dépose une marque ou une trace sur un support quelconque – par exemple, une plume qui glisse sur le papier en y traçant un sillage d’encre derrière soi.

Il n’est pas difficile de s’imaginer quelles contraintes cette technologie imposait aux rédacteurs de récits de voyage il y a plus de 150 ans. Gustave Flaubert et Maxime Du Camp doivent s’approvisionner de cahiers, d’encre et d’une réserve importante de plumes d’oiseaux avant de partir vers l’Égypte en 1849.  Flaubert mentionne dans son Voyage en Orient qu’il doit s’arrêter sur le bord du Nil pour demander de l’encre à un imam dans une madrassa. Rappelons qu’il n’y a guère plus de 125 ans qu’on a réussi enfin à procurer une relative autonomie à la bonne vieille plume d’oiseau, devenue une plume métallique, en lui joignant un réservoir. Et il n’y a que soixante ans seulement que le stylo-bille a réussi à s’imposer comme substitut au stylo-plume.

Bien entendu, on utilise aussi le crayon depuis guère un peu plus de deux siècles. Le crayon a le désavantage de ne pas laisser une marque permanente : on peut facilement effacer sa trace. C’est pour cette raison même que Stendhal, qui a conscience d’être perçu comme un espion ou un agitateur par les autorités dans les régions où il passe, s’en sert pour noter ses impressions de voyages et consigner ses souvenirs (Rome, Naple et Florence – lire l’édition de Diane de Selliers, 2002, qui a l’avantage d’être illustrée de tableaux d’artistes qui ont vécu à la même époque, et qui représentent les lieux décrits par Stendhal).

Quiconque a tenu un journal de voyage ressent une grande intimité en lisant les auteurs qui l’ont précédé. Il importe peu qu’on ait ou non publié ce récit. Il y a quelques semaines, j’ai relu en partie les carnets du voyage que j’avais rédigés il y a plus de quarante ans, lorsque j’ai traversé l’Europe, de Londres et Paris jusqu’à Athènes et les iles de la mer Égée. L’ordinateur personnel n’existait pas à l’époque et il n’aurait pas été plus pratique de traîner une dactylo portative sur mon dos à cette occasion.

Il y a deux ans, j’ai tenté d’évoquer le sentiment que j’éprouvais en rédigeant mon journal, à la lueur d’une lampe incandescente sur une petite table, dans une chambre d’hôtel, le soir…Voici la scène :

Écriture de la mémoire – Grèce, 12 décembre 1971

À la mi-décembre 1971, à Kos, le jeune homme que j’étais avait loué une moto pour aller visiter les ruines de l’hôpital qu’avait créé Hippocrate, le père de la médecine occidentale. Il faisait froid ce jour-là. Il y avait peu d’affluence ; comme les oiseaux migratoires, les touristes avaient quitté les lieux depuis des semaines, vers des contrées nordiques, pour la plupart.

Le jeune homme cherchait la trace des fantômes qui hantaient les lieux depuis 25 siècles. Il avait ressenti de vives émotions en visitant le site. Des émotions qui ont laissé des traces aussi profondes en lui que les écritures grecques et romaines gravées sur les stèles et les monuments qu’il a contemplés ce jour-là.

En reconstituant cette scène et en relisant le texte de cette journée, la mémoire s’est activée… les images des lieux se projetaient sur les écrans de son cerveau – la lumière fade d’un après-midi hivernal ; la conversation avec cet homme qui aurait pu être mon père, un gardien des lieux sans aucun doute, dont le grand-père avait participé à des fouilles archéologiques sur ce site même, plusieurs décennies plus tôt… J’ai senti le temps couler, comme du sable entre mes doigts, tel un sablier qu’on ne pourra jamais retourné.

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J’ai commencé à préparer un nouveau voyage, que j’accomplirai dans quelques mois. En réalité, j’ai amorcé ce voyage il y a quelques semaines déjà. Et pour la première fois, j’ai commencé à rédigé un nouveau journal de voyage, le journal de ce nouveau voyage… avant même le départ. Cette fois, en plus de mes stylo-plumes et de ma caméra, je traînerai des crayons pour tracer des croquis en cours de route.

Méditation sur le temps qui passe…

Il y a 23 ans, j’amorçais une nouvelle étape de ma carrière. J’avais obtenu un nouvel emploi qui m’obligeait à rehausser mes compétences en rédaction de textes dans ma deuxième langue, l’anglais. Je m’étais donc inscrit à un cours du soir, Essay Writing, à l’université.

Le 11 janvier 1988, à la veille de mon quarantième anniversaire, j’ai donc commencé à rédiger un journal en anglais. Quatre mois plus tard, je remettais un « essai » d’une dizaine de pages pour répondre aux exigences de ce cours. Ce texte s’intitulait « On the Eve of Turning Forty ». C’était le bilan d’un homme, encore jeune, qui avait vécu le Flower Power une vingtaine d’années plus tôt, qui avait participé activement aux mouvements sociaux et politiques de son époque… et qui prenait acte de l’embourgeoisement de sa génération, celle qui avait contesté non seulement les guerres impériales et la course aux armements nucléaires, mais qui avaient aussi remis en question le matérialisme ambiant de notre société.

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Je voulais tout simplement renouer avec le plaisir d’écrire à la main…

Reconstitution personnelle de vieux souvenirs de l'enfance... pupitre d'écolier, encrier, encre, plumes, porte-plume, papier buvard, coffre à crayons...
Reconstitution personnelle de vieux souvenirs de l’enfance… pupitre d’écolier, encrier, encre, plumes, porte-plume, papier buvard, coffre à crayons…

Rien n’est plus léger que de tenir une plume, ni plus heureux; les autres plaisirs sont éphémères, et leurs ravissements nocifs. La plume apporte la joie quand on la prend en main, et la satisfaction quand on la pose.

Pétrarque

Mes plus lointains souvenirs sont liés à l’écriture. J’ai toujours aimé écrire, tout comme j’ai toujours aimé lire. Néanmoins, le plus lointain souvenir que je puisse rappeler à la surface de la conscience est vague, imprécis : tracer des suites infinies de lettres sur des lignes dans un cahier d’écolier, avec une plume qu’on trempait dans l’encre. De grandes grosses lettres… aussi belles et parfaites que le bras et la main d’un enfant pouvaient le faire. Bien entendu, on tachait la page blanche du cahier de pratique et on se tachait les mains d’encre… Il fallait bien casser les œufs pour faire une omelette, n’est-ce pas?

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