Poussée dans le coin, la Russie ne lâchera pas…

Selon la revue The New Yorker, le professeur de science politique John Mearsheimer est l’un des critiques les plus avertis de la politique extérieure des États-Unis depuis la fin de la Guerre froide du siècle dernier.

Dans une conférence qu’il a prononcée il y a sept ans, Mearsheimer avait prophétisé ce qui se passe aujourd’hui. Dès 2015, il avait suggéré qu’il serait mieux pour l’Ukraine de reconnaître la perte de la Crimée et d’entreprendre les démarches visant d’une part à se neutraliser et de s’entendre d’autre part avec la Russie. Il prévoyait que, faute de se diriger sur ce sentier, le pays se disloquerait : https://www.youtube.com/watch?v=JrMiSQAGOS4. Il n’est pas nécessaire d’écouter toute sa présentation ; on peut sauter jusqu’à sa conclusion, à la 45è minute et surtout, poursuivre l’écoute jusqu’à sa réponse à la première question de l’auditoire qui en suit.

Selon Mearsheimer, l’oligarchie qui dirige l’Amérique, qu’elle soit de tendance républicaine ou démocrate, est homogène. La gang de Washington, comme il la qualifie, poursuit une politique aveugle, qui se refuse à reconnaître que le monde a évolué.

Ce n’est pas encourageant. Ainsi, nous, l’Occident et le monde par extension, sommes présentement dans un cul-de-sac.

Ce qui est encore plus inquiétant, c’est que parfois, on suit les bulletins de nouvelles comme s’il s’agit d’un film d’Hollywood. Il y a des bons et des méchants ; on applaudit les bons qui sont en train de gagner, et les méchants, qu’il faut haïr, et qui sont en train de s’enfoncer vers une défaite. En réalité, des observateurs plus indépendants qui ne sont pas inféodés aux gouvernants comme les « professionnels » des médias de masse traditionnels, soutiennent que la vérité ne correspond pas nécessairement à ce qui se passe sur le terrain. C’est plus compliqué qu’on veut nous le laisser croire — Patrick Armstrong, un ancien militaire et diplomate canadien : https://patrickarmstrong.ca/2022/03/04/russia-ukraine-2/, ainsi que Tom Luongo, un analyste américain de tendance de droite : https://tomluongo.me/2022/03/02/opening-salvos-tossed-putin-next-moves-ukraine/.

Ce qui complique la situation, c’est la dynamique interne à l’Ukraine. La présence d’organisations militaires dirigées par des militants fascistes est réelle au sein du gouvernement ukrainien. Au cours de sa campagne présidentielle il y presque trois ans, le président de l’Ukraine a promis de dés-escalader la tension avec la Russie et de proposer aux « séparatistes » du Donbass d’organiser un référendum sur leur statut au sein du pays. Comme l’expliquent les chroniqueurs Alexander Rubinstein and Max Blumenthal, une fois élu, le nouveau président, Vladimir Zelensky, un néophyte de l’exercice du pouvoir politique, a appris très tôt qu’il devait tenir compte du pouvoir des éléments fascistes au sein de son gouvernement : https://thegrayzone.com/2022/03/04/nazis-ukrainian-war-russia/. Ces derniers lui ont fait comprendre clairement qu’il n’était pas question de capituler devant l’ennemi russe. Zelensky a les mains menottées. Il n’a aucune marge pour négocier avec la Russie.

Dans cette situation, la Russie n’avait d’autre option que de commander à ses militaires de démilitariser l’Ukraine et d’éliminer les forces fascistes au sein du pouvoir au sein de l’Ukraine… quel que soit le coût à payer.

Le professeur d’économie de l’Université du Missouri à Kansas City, Michael Hudson, nous offre une perspective d’un autre angle. Il compare les intérêts spécifiques des trois groupes d’oligarques américains à ceux de la Russie et s’interroge à savoir si les stratèges de l’OTAN ont bien jauger les conséquences de la guerre qu’ils ont provoquée : https://mronline.org/2022/02/28/america-defeats-germany-for-the-third-time-in-a-century/.

L’histoire se répète. L’Occident, dont nous faisons partie, devra un jour accepter de partager plus équitablement les richesses de notre planète ; que nousne pourrons pas toujours jouir de notre confort au dépend du reste du monde. Et cela devrait commencer au sein même de nos communautés. Nous ne sommes pas sortis du bois. Et la Chine, ainsi que l’Inde, l’Iran, le Brésil et l’Afrique du Nord, observent ce qui se passe attentivement.

Plus ça change…

Encore une fois, on se retrouve coincé entre le marteau et l’enclume.

Au sujet de la sécurité mutuelle des peuples de l’Europe, l’historien américain H. Bruce Franklin n’hésite pas à comparer la confrontation entre la Russie et les États-Unis ces jours-ci à la crise de Cuba il y a soixante ans. D’ailleurs, il y a quelques jours, un diplomate russe a refusé de se prononcer sur la possibilité de fournir des armes militaires au Venezuela, au Cuba ou au Nicaragua. Plusieurs observateurs s’interrogent, non seulement des spécialistes des relations internationales, mais aussi des personnes qui se sont toujours intéressés à ces questions ; comment sommes-nous encore une fois face à la menace d’une nouvelle guerre mondiale?

Pendant toute la deuxième moitié du siècle précédent, le Canada a pratiqué une politique relativement neutre dans le monde. Depuis un peu plus une décennie, le Canada a modifié sa politique internationales. Des voix s’élèvent pour remettre en question la position du Canada dans ce conflit ; L’aut’journal publie aujourd’hui une déclaration de groupes de paix et organismes de la société civile qui s’expriment « … très inquiets du rôle militaire canadien qui fomente une escalade du conflit en Ukraine entre l’Organisation du Traité d’Atlantique-Nord (OTAN) et le gouvernement de la Fédération Russe ». Entre autres, ils demandent au gouvernement canadien de retirer toutes les forces armées canadiennes de l’Europe de l’Est.

Nous sommes nombreux à nous inquiéter de l’évolution de ce conflit. J’ai déjà témoigné de mes hantises au cours des années : « On a parfois l’impression de vivre à une époque spéciale, un tournant dans l’histoire. La noosphère prend conscience d’elle-même. Mais cette conscience de soi deviendra-t-elle assez vive pour nous inciter à adopter les mesures nécessaires afin d’éviter de nous autodétruire ? » Et voici que les cauchemars qui nous hantaient depuis notre enfance reviennent nous inquiéter aujourd’hui.


Chronique de mes cauchemars : mise à jour

Janvier 2022

J’ai l’impression d’avoir vécu toute ma vie sous la menace d’un événement ou d’un accident qui déclencherait une tempête parfaite, à l’échelle mondiale.

Dans l’ambiance de la Guerre froide, particulièrement au cours des années 50 et 60, la menace d’une guerre nucléaire faisait partie de la normalité dans notre environnement. Au cours de la décennie des années 50, on nous faisait faire des exercices dans les écoles pour nous préparer à l’éventualité d’une attaque nucléaire, en nous faisant s’accroupir sous nos pupitres, en attendant l’horreur.

J’avais presque neuf ans, au mois de novembre 1956. Nous habitions sur la base d’aviation de Saint-Hubert, en banlieue de Montréal. Chaque jour, la télévision monopolisait notre attention dans le salon familial en début de soirée. Je me souviens vivement des images des chars d’assaut soviétiques qui ont paradé dans les rues de Budapest, en Hongrie ; je me souviens aussi des images des avions de chasse et des bombardiers qui survolaient le Canal de Suez.

À cette époque, j’écoutais attentivement l’émission hebdomadaire Point de mire, animée par René Lévesque. Je ne comprenais pas toutes ses analyses sur les enjeux de ces conflits. Toutefois, la grande attention et l’inquiétude palpable des adultes qui l’écoutaient et qui s’en parlaient, me faisaient saisir que l’heure était grave. Je me demandais ce qu’il arriverait si l’un de ces conflits dégénérait. Intuitivement, je comprenais déjà que la guerre n’était pas uniquement une activité glorieuse, comme le cinéma nous le contait.

Au début des années 60, la guerre froide atteint un sommet : nous avons collectivement retenu notre souffle, pendant plusieurs jours, au moment de la Crise de Cuba.

En octobre 1962, ma famille était installée sur la base d’aviation de North Bay : à cette époque, j’étudiais au Petit Séminaire d’Ottawa. Un soir, à la fin de la période d’étude en soirée, le préfet de discipline nous annonce que les Soviétiques avaient installé des missiles nucléaires à Cuba et que le gouvernement américain avait décrété un blocus autour de ce pays. Il nous enjoignait de nous recueillir afin de prier pour une résolution du conflit.

Mon père travaillait dans le complexe souterrain canado-américain du NORAD, quelque part sous la base d’aviation. C’est de ce lieu qu’on aurait déclenché le lancement des missiles nucléaires en riposte à une attaque nucléaire soviétique au-dessus du territoire du continent nord-américain. Nous savions que ces missiles, des Bomarc, étaient situés près de la base militaire de North Bay, mais nous ne savions pas où exactement. J’appréhendais ce qui pouvait arriver si mon père se trouvait isolé au fond du « trou », comme on le qualifiait, alors que ma mère et mes frères et sœur demeureraient à la surface, au centre d’une des cibles probables d’un missile intercontinental venant du nord.    


Kansas City, Missouri, 8 juin 2016

Traversant Kansas City sur l’autoroute I-70, juin 2016

Deux décennies plus tard, le président américain Ronald Reagan avive à nouveau les tensions en lançant un programme d’armement nucléaire de guerre spatiale.

En novembre 1983, au moment où la tension est la plus vive entre les États-Unis et l’Union soviétique, le réseau de télévision ABC diffuse un téléfilm, The Day After ( Le Jour après ), qui met en scène, de façon très réaliste ce qui se passerait si la situation dégénérait et qu’un échange nucléaire avait lieu. La description des événements est très réaliste.

La panique s’empare de la population. Dans les campagnes, les gens assistent au lancement des missiles qui surgissent des silos sous terre au milieu des grandes plaines américaines. Toute la population quitte les milieux de travail pour rentrer à la maison le plus rapidement possible ; tous se ruent dans les supermarchés pour s’approvisionner ; les gens se trouvent emprisonnés dans des embouteillages monstres lorsque les missiles venus de l’URSS commencent à exploser. La diffusion de ce téléfilm a un impact immense.

L’action du film a été filmée dans les environs des villes de Lawrence au Kansas et à Kansas City, Missouri. Environ trente années plus tard, en juin 2016, lorsque je roulais sur l’autoroute I-70 à travers la ville de Kansas City et que je contournais la ville de Lawrence quelques minutes plus tard au mois de juin 2016, mon regard s’échappait à l’horizon à scruter les grandes étendues des plaines de chaque côté de l’autoroute, pour tenter de deviner où pourraient se situer les silos souterrains… détecter de la vapeur qui s’échapperait soudainement du sol, un couvercle qui s’ouvrirait, un missile balistique qui s’élèverait tranquillement pour se dégager, et prendre son élan vers le ciel, vers le continent de l’Eurasie, au nord, au-delà de l’océan arctique.

Je me souvenais des images du visionnement et de l’impact que ce téléfilm avait eu sur moi. Nous n’avions pas encore célébré le premier anniversaire de notre fille lors de cet événement médiatique.

Souvent, au cours des années suivantes, lorsque j’étais pris dans un bouchon de circulation au moment de retourner chez-moi, à la fin d’une journée de travail, il m’arrivait parfois d’être hanté par les images du téléfilm : comment m’y prendrais-je pour traverser une ville paniquée, afin de rejoindre ma famille en banlieue, avant que des missiles intercontinentaux à têtes multiples déversent leurs charges au-dessus de nos têtes. Et même si je parvenais à me rendre à temps, je savais néanmoins que nous ne pourrions pas échapper à l’inévitable…


Même si le rapport entre le peuple américain et ses militaires m’intrigue depuis longtemps, je n’y avais jamais accordé autant d’attention qu’au cours de mes trois longs voyages aux États-Unis, en 2011, 2014 et 2016. Ce n’est pas que j’avais prévu de le faire, mais plutôt qu’une série d’observations me l’y ont incité.

Mon père a passé la plus grande partie de sa vie active comme commis dans la Royal Canadian Air Force et subséquemment, au ministère de la Défense nationale. J’ai vécu une partie de mon enfance sur des bases d’aviation, dans les quartiers résidentiels réservés aux familles des militaires ; ainsi, j’ai mariné dans un bain de culture militaire au sein du foyer familial.

Même si, comme un très grand nombre des membres de ma génération, je sois devenu pacifiste, opposé aux guerres impériales et colonisatrices, je ne suis pas pour autant forcément rétif à toute forme d’institution militaire. Tous ceux qui ont le moindrement étudié l’histoire savent que toute société le moindrement organisée doit prévoir d’avoir à parer aux ambitions psychopathes de ses voisins plus ou moins proches ou lointains.

Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, le Canada a développé une expertise dans le domaine de la résolution des conflits armés, en se déployant comme force d’interposition, au nom de l’ONU, entre belligérants un peu partout dans le monde. Depuis le début du siècle, le gouvernement canadien a modifié sa politique internationale, et c’est dommage : il est en train de créer une nouvelle image des militaires, sur le modèle de celle des Américains.

Il y a toujours eu un courant pacifiste aux États-Unis. Ce courant a été très actif il y a une cinquantaine d’années, lorsqu’il s’est manifesté pour s’opposer à la guerre au Vietnam. À la fin des années 60, mes colocataires et moi-même avions hébergé un objecteur de conscience américain.

Dans la deuxième moitié des années 60, lorsque j’ai amorcé mes études en philosophie à l’Université, j’ai commencé à me renseigner sur les mouvements de luttes de libération nationale à travers le monde, sur les mouvements étudiants inspirés par la lutte pour les droits civiques des Noirs américains, sur les tactiques de désobéissance civile, sur l’histoire des mouvements progressistes en Amérique du nord… En 1966-1967, nous étions peu nombreux à nous intéresser à ces mouvements. C’est dans le sillage de cette évolution que je suis devenu pacifiste.

À cette époque, associée à la lecture de nombreux essais philosophiques et de romans, ceux de Herbert Marcuse, de John Steinbeck, et d’André Malraux parmi d’autres, la lecture du manifeste du Port Huron Statement de la Student for Democratic Society avait beaucoup contribué à former ma vision du monde. Ce manifeste me donnait une piste de réflexion pour guider les formes de mon engagement social.

We are people of this generation, bred in at least modest comfort, housed now in universities, looking uncomfortably to the world we inherit

We had questionned the unrestrained materialism of our parents’ generation. We had somehow sensed that such wanton consumerism was wasteful and on the long-term ruinous. It took more than a decade before energy conservation became the norm, at least in principle…

When we were kids the United States was the wealthiest and strongest country in the world: the only one with the atom bomb, the least scarred by modern war, an initiator of the United Nations that we thought would distribute Western influence throughout the world. Freedom and equality for each individual, government of, by, and for the people – these American values we found good, principles by which we could live as men. Many of us began maturing in complacency.  

SDS, Port Huron Statement, 1962


Il y a une trentaine d’années, à la veille de mon quarantième anniversaire, j’ai commencé à rédiger un journal personnel en anglais dans le cadre d’un cours de perfectionnement en rédaction dans cette langue. Quatre mois plus tard, je remettais un « essai » d’une dizaine de pages. Ce texte s’intitulait « On the Eve of Turning Forty ».

C’était le bilan d’un homme, encore jeune, qui avait vécu le Flower Power une vingtaine d’années plus tôt, qui avait participé activement aux mouvements sociaux et politiques de son époque… et qui prenait acte de l’embourgeoisement de sa génération, celle qui avait contesté non seulement les guerres impériales et la course aux armements nucléaires, mais qui avaient aussi remis en question le matérialisme ambiant de notre société.

Time has taught me that we may not yet be any wiser than our precedessors in managing our world, or any part of it.

… et ainsi de suite. Quelques lignes plus loin, je reconnaissais que le « mouvement » avait ralenti, qu’il s’était essoufflé. J’affirmais que je croyais que l’esprit de ce mouvement demeurait latent, prêt à ressurgir au moment opportun.

Une trentaine d’ans plus tard, je constate que ma génération n’a pas mieux fait que la précédente.

Je serais mal placé pour lancer la première pierre de blâme à qui que ce soit. Nous faisons tous partie d’un troupeau qui se lance aveuglément devant la falaise, prêts à se lancer dans le vide… Nous sommes en crise certes. Mais ce n’est pas uniquement une crise économique ou diplomatique/militaire, voire écologique : c’est toujours, comme ce l’était dans le passé, une crise de valeurs… de valeurs morales.

R.I.P. Michèle Lalonde – Speak White — L’envers des jours

Michèle Lalonde a exprimé si bien ce qui nous rognait le cœur lorsque elle a déclamé son poème Speak White en public, il y a un demi-siècle.

Je l’ai écoutée, encore une fois, aujourd’hui…

Ce texte est aussi important pour nous, que l’a été d’autres discours, d’autres allocutions qui ont fait vibrer d’autres peuples, d’autres communautés, dans un passé plus ou moins lontain… I have a dream, de Martin Luther King, ou Howl, de Allen Ginsberg…

C’est un texte qui assomme, qui nous coupe toujours le souffle, suscitant des souvenirs que ceux qui se définissent aujourd’hui comme étant éveillés ne comprendraient pas, obnubilés dans les brouillards de leur honte de soi. On nous fait toujours comprendre que notre langue n’a pas le même statut que la langue de l’Empire, dont nous sommes toujours les sujets.

Je partage ce pincement de cœur que Francine Hamelin décrit si bien… Comme elle le soutient, plus ça change, plus c’est pareil.


C’est avec un pincement au coeur que j’ai appris le décès de Michèle Lalonde, grande écrivaine québécoise qui a toujours défendu notre langue avec force et conviction. Speak White («parlez blanc») est d’abord et avant tout une injonction raciste empruntée aux esclavagistes du sud des USA, lancée par les Canadiens anglophones à celles et ceux […]

R.I.P. Michèle Lalonde – Speak White — L’envers des jours

Les demi-civilisés, 1934

Quelques glanures en lisant Les demi-civilisés,
par Jean-Charles Harvey

Inconsciemment, la comparaison se faisait en moi, entre l’élégance et le raffinement des citadins, et la simple rusticité des gens de chez nous. J’estimais ceux-ci, je m’étonnais des autres. Je sentais vaguement qu’il y avait, chez nos campagnards, plus de solidité, de bonté, de jugement et d’intégrité ; mais les cheveux bouclés, les lèvres peintes, les cils taillés, les doigts fins et les ongles polis de Marthe m’avaient séduit. Déjà, le sens de l’art se faisait jour en moi aux dépens du cœur et de la conscience. (p. 28, Éditions Typo, 2016)

Me voici parmi les descendants de ce peuple que je trouve terriblement domestiqué. Une fois la conquête faite par les Anglais et les sauvages exterminés par les vices de l’Europe, nos blancs, vaincus, ignorants et rudes, nullement préparés au repos et à la discipline, n’eurent rien à faire qu’à se grouper en petits clans bourgeois, cancaniers, pour organiser la vie commune. On eût dit des fauves domptés, parqués en des jardins zoologiques, bien logés, bien nourris, pour devenir l’objet de curiosité des autres nations. (p.43)

Je lui confiai rapidement mon désir de me livrer au professorat, à l’université.
— Je veux bien vous appuyer, dit-il. Si jamais vous entrez là, ne soyez pas trop frondeur, pas trop indépendant. Tout ce qui peut ressembler à l’indépendance de caractère, à l’émancipation de certains principes, est banni de l’université, gardienne de la tradition… et de la vérité. (p. 52)

Poussé par la pitié et la curiosité, je poursuivis ma route et arrivai devant un magasin très bas, très long et très étroit — touchant symbole! — d’où sortaient une foule de personnes chétives, qui emportaient avec elles des fioles coloriées et scellées de timbres officiels.

Je hélai un passant et lui demandai ce que signifiait cette sinistre procession.

— Ce n’est pas une procession, répondit-il, mais le pèlerinage quotidien de la population aux sources de la pensée humaine. L’immeuble que voici appartient à un monopole qui jouit du privilège exclusif de vendre en bouteilles l’esprit pur. Une loi renforcée par des sanctions sévères prohibe absolument l’usage de produits intellectuels autres que ceux-là.

… Aussitôt qu’une intoxication par l’idée ou par l’influence de génie se manifeste quelque part, nos espions nous renseignent et nous administrons aux coupables un astringent qui guérit le cerveau de tout danger de création. (p. 57-58)


En 1966, soit trois décennies après la publication original de Les demi-civilisés, voici ce que l’auteur relatait dans l’introduction de la première réédition de son roman.

Ce roman, paru en mars 1934, s’efforçait de peindre certaines milieux petits-bourgeois de Québec et autres lieux.

Vers la fin d’avril, son Éminence le cardinal Villeneuve, archevêque, interdisait Les demi-civilisés. Son décret… défendait aux fidèles, sous peine de péché mortel, de lire ce livre, de le garder, prêter, acheter, vendre, imprimer ou diffuser de quelque façon. … C’était le temps où l’Église, encore plus que de nos jours, jouissait d’une autorité et d’un prestige incontestés aussi bien auprès du pouvoir civil que dans la masse des croyants.


1948 — Publication du manifeste du Refus global, qui irrite les autorités ecclésiales et politiques canadiennes-françaises.
1967 — Publication des Nègres blancs d’Amérique, de Pierre Vallières. Cette fois, c’est le gouvernement canadien qui tente de censurer le livre.

La censure a une longue histoire, dans le monde entier.

Aujourd’hui, elle prend de nouvelles formes, tout aussi menaçantes à l’égard de notre liberté de penser et d’expression. Tant au sein des institutions académiques que dans les réseaux sociaux, on masque, on efface, on « annule »… ceux qui s’investissent comme gardiens de ce qui est convenu d’exprimer et de diffuser, écartent ceux qui les dérangent, les importunent, les contestent.

Un temps chaotique

 

Lundi après-midi, le 17 juillet 2017

Au moment où j’écris ces lignes, un nuage passe. Fait-il partie de ce système qui pourrait nous déverser d’autres ondées, sous forme d’orage, plus tard, comme les météorologues l’anticipent ? C’est à voir. Tout ce que je constate, pour l’instant, c’est que le temps est redevenu gris, après un intermède ensoleillé de quelques heures.

Ce matin, le temps était à la pluie… toute la matinée… ce ne fut pas une surprise lorsque l’averse est tombée, drue. Le fond de l’air était frais… puis, dès que le rideau des nuages s’est ouvert, en début d’après-midi, pour laisser place au soleil, l’air s’est réchauffé… humide…

Voici, je regarde le faîte des arbres derrière chez-moi. Les rayons du soleil éclaircissent à nouveau le tableau.

 

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Le Musée d’anthropologie et d’histoire de Pointe-à-Callière. au cœur historique de Montréal. C’est ici qu’il y a 375 ans, qu’on a posé les fondements de ce qui deviendra une aventure…

 

Vendredi dernier, ce fut le contraire : soleil le matin, suivie d’une couverture nuageuse progressive de plus en plus sombre autour de l’heure du midi, et d’une pluie intense dès le début de l’après-midi.

Je ne m’y étais pas préparé. Je n’avais pas apporté mon parapluie pour notre sortie au Musée de Pointe-à-Callière, au cœur du Vieux-Montréal.

Bon… on en prend notre partie et on prolonge notre visite du musée pour passer le temps, en espérant que la pluie cesse.

On visite l’exposition en cours sur l’évolution des communications téléphoniques à Montréal depuis un siècle… une visite d’autant plus agréable qu’elle est agrémentée de la présence de ma petite fille qui faisait la découverte d’une époque qu’elle n’aura jamais connue, en compagnie de sa mère, ma fille qui, comme moi, se promenait dans la mémoire de sa propre expérience du passé…. Ensuite, on passe quelques minutes à explorer, dans une autre salle, l’Amazonie et l’univers des chamanes qui se l’ont apprivoisée… un autre voyage dans le temps…

Enfin, il faut bien se résigner à retourner chacun chez soi, quitte à se faire mouiller en se lançant d’un pas alerte sous une véritable douche, vers la station de métro la plus près…

 

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Et c’est ainsi depuis des mois.

La terre est gorgée d’eau dans ma région. Je le constate chaque fois que je traverse le boisé derrière chez-moi ou en flânant dans les parcs et les rues. C’est inhabituel à ce temps-ci de l’année.

Quel contraste avec ce qui se passe à l’autre bout du continent, en Colombie-britannique. C’est très sec là bas et les vents forts et chauds soufflent sans relâche. Quarante mille personnes doivent, ou ont dû abandonner leur logis et trouver refuge en fuyant les quelque 150 feux de forêts qui ravagent la province. L’épaisse fumée devient nocive pour la santé. Les autorités sont débordées. L’an dernier, c’était les habitants de Fort McMurtry, dans la région des sables bitumineux de l’Alberta, qui avaient dû fuir les feux qui ont détruit toute la ville.

Il y a quelques mois, il a plu à presque tous les jours, pendant six semaines en avril et mai. Des milliers de résidences ont été inondées le long des cours d’eau qui ceinturent la grande région de Montréal.

Ailleurs dans le monde, un immense iceberg — douze fois la surface de l’île de Montréal — se détache d’une des banquises de l’Antarctique. Outre Atlantique, un déluge sur Paris provoque des inondations qui s’infiltrent dans le Louvre, menaçant des toiles et des objets d’antiquité.

Ces événements climatiques deviennent non seulement de plus en plus fréquents, mais aussi de plus en plus intenses.  C’est ce que les scientifiques avaient prévu il y a plus d’un quart de siècle : des variations climatiques d’une plus grande amplitude.

Il y a deux mois, je relisais mon journal personnel du voyage que nous avons fait à travers les grandes plaines des États-Unis il y a six ans. Tout le bassin du Missouri avait été inondé tout au long du printemps jusqu’au mois de juillet. À un moment donné, nous avions été obligés de modifier notre itinéraire pour tenir compte des risques d’une catastrophe qui planait dans la région de la capitale du Dakota du sud. Quelques semaines plus tard, nous nous étions installés dans un camping au Montana, à quelques enjambées d’une rivière remplie à ras bord.

À quelques enjambées de la Clark Fork River, à Deer Lodge, Montana, le 2 juillet 2011

 

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On commence à reconnaître qu’il y aurait un rapport entre tous ces drames qui nous affligent et le réchauffement climatique de la planète… que ce sont là des manifestations du changement climatique. C’est notre absence collective de conscience planétaire qui nous empêche de « voir »…

Dans un monde de plus en plus interconnecté, où nous sommes littéralement « inondés » d’information, omniprésente, en continu, on refuse toujours de contempler l’avenir qui s’annonce pourtant si clairement. Il n’est plus suffisant de se contenter de petits gestes personnels, individuels, d’initiatives personnelles, « agir localement » chacun dans notre cour. Il faut aussi complètement repenser collectivement nos manières de vivre.


Quelques pistes de solutions :
  • apprendre à vivre plus simplement ; ralentir notre rythme de vie ; militer pour une réduction universelle de la semaine de travail ; transiter d’une économie et d’une société axée sur la consommation à une société de loisir — cultiver nos jardins, enjoliver notre environnement, apprendre à flâner…
  • réduire radicalement notre consommation, notamment notre consommation d’énergie et corriger notre manie d’accumuler…
  • lutter activement contre l’obsolescence programmée, particulièrement dans le domaine de l’informatique ; résister aux incitations de remplacer nos appareils de communication et de traitement de l’information…
  • cesser de gaspiller, préférer les produits locaux surtout en alimentation ; recycler systématiquement…
  • réduire les dépenses militaires ; rétablir les contrôles sévères et la réglementation des institutions financières, particulièrement des banques — interdire le financement de l’état par les banques…
  • décentraliser nos institutions politiques ; recentrer la base de l’exercice démocratique au niveau local ; limiter le pouvoir des grands ensembles…

 

 

 

Lendemain de tempête

Toute la journée, pendant que des bourrasques occasionnelles saupoudraient toujours nos trottoirs, on ne parlait que de la tempête et de la catastrophe qui, heureusement, ne s’est pas transformée en tragédie humaine. Plusieurs centaines de personnes sont demeurées coincées dans leur véhicule, pendant toute la nuit, sur une autoroute, en pleine ville… Avec la surveillance, constante, de toutes les caméras, partout en ville… l’omniprésence de réseaux de communication téléphonique, alors que dès la fin de la soirée, toutes les stations de radio et de télévision rapportaient que l’autoroute était devenue un stationnement… comment les ministres responsables des transports publics et de la sécurité civile ont-ils pu dormir, et n’apprendre ce qui s’est passé qu’à leur réveil ce matin ?

Cette tempête nous a révélé l’ampleur de l’incompétence de ceux qui nous dirigent et pourtant, personne ne veut reconnaître que nous l’avons avons élu ce gouvernement… et que ceux qui l’ont porté au pouvoir l’ont fait, malgré sa faiblesse, malgré la corruption, parce qu’on préfère le conserver en place de peur de devenir souverain.

Entretemps, je me console en me promenant dans les rues et ruelles de ma ville en contemplant ses paysages urbains sous un manteau blanc… Les météorologues nous rappellent que le printemps arrivera bientôt… lundi prochain nous dit-on…

 

 

 

 

en attendant le printemps…

prêt pour l'été

Adieu Monsieur Cohen

So long Mister Cohen…

Dance me to your beauty with a burning violin
Dance me through the panic ’til I’m gathered safely in
Lift me like an olive branch and be my homeward dove
Dance me to the end of love

 

Un grand merci, Monsieur Cohen,

pour avoir rythmé nos vies, selon les marées de nos humeurs, de nos amours, de nos espoirs tout autant que de nos angoisses et de nos colères…

Si j’étais Américain…

Si j’étais Américain, j’irais annuler mon vote aujourd’hui.

Quel que soit le résultat des élections américaines aujourd’hui, que ce soit Trump ou Clinton, et lequel des deux principaux partis, des Républicains ou des Démocrates, contrôlera le Sénat et la Chambre des représentants, les Américains se retrouveront dans une situation instable. Les scénarios de l’avenir qui en découlera, tels qu’évoqués par les observateurs, tant de l’intérieur que de l’extérieur, sont nombreux et contradictoires. Aucun, toutefois, ne prévoit une résolution des aspirations et des volontés conflictuelles entre les diverses composantes des États de moins en moins unis.

Ceux qui y trouveront leur compte seront en minorité. La grande majorité de ceux qui auront voté l’auront fait non pas en faveur d’un candidat, d’un parti, d’une option, mais plutôt contre l’autre candidat, l’autre parti, l’autre option. Beaucoup de partisans républicains auront voté non pas pour Trump, mais contre Clinton, et inversement, un grand nombre de partisans démocrates iront voter contre Trump et non pas pour Clinton. Environ quinze pour cent de l’électorat voteront pour deux partis minoritaires, les Libertariens ou les Verts.

Au cours de ma virée à travers le Mid-Ouest et le Sud-Ouest américain au printemps dernier, j’ai sondé, de manière informelle, les Américains : la majorité des personnes avec lesquelles je me suis entretenu étaient indécises, désemparées incapables de se brancher, profondément inquiètes, découragées même. Les uns étaient incapables de s’imaginer Trump au pouvoir, tout en ne pouvant pas se convaincre de voter pour Clinton… et vice versa.

À plusieurs reprises, tant des partisans démocrates que républicains ont évoqué les noms de leaders du passé, Lincoln, Roosevelt, Kennedy, voire Reagan, qui avaient guidé le pays à travers des temps difficiles. On ne parvenait pas à s’expliquer pourquoi des candidats de valeur aient été incapables de se démarquer, de s’imposer au sein des deux grands partis, afin de les inspirer, leur proposer une façon de sortir de ce qu’ils considèrent comme une impasse. Ils s’interrogeaient sur les déficiences de leur système politique :  comment en étaient-ils arrivés là où ils se trouvaient ?

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In God We Trust

Il est impossible de cheminer sur les routes sans constater à quel point la religion est omniprésente dans la société américaine. Le sentiment religieux s’affiche littéralement partout dans le paysage.

On vous incite à la vertu ; on vous rappelle qu’il sera trop tard lorsque vous sonnerez à la porte du paradis ; et on souligne surtout que c’est Jésus qui est l’unique réponse aux écarts moraux qui affligent le pays.

Messages religieux 1
Citation au bas de l’affiche : « Quand les justes gouvernent, le peuple est en liesse ; quand les mauvais dominent, le peuple gémit. ( Proverbes 29, 2 ) » Traduction tirée de la version de la Bible de Jérusalem

Bien qu’un Américain sur cinq déclarent ne pas avoir de religion et qu’un grand nombre de croyants pratiquent peu, le sentiment religieux demeure une arcane importante dans tous les domaines de la vie sociale et politique américaine.

Dans son discours à la convention démocrate il y a quelques jours, Hillary Clinton a fait allusion à la devise du pays : E pluribus unum ( De plusieurs, nous faisons qu’un ). Hors, ce n’est pas la devise officielle du pays ; c’est plutôt In God We Trust ( En Dieu nous croyons ), et  cette devise est d’ailleurs présente sur tous les billets de banque américains.

Il faut bien comprendre l’origine et le contexte au sein duquel cette devise a été adoptée il y a un demi-siècle. La constitution américaine a institué une séparation claire entre les Églises et l’État. Il ne s’agit pas de laïcité, mais bien plutôt d’une neutralité à l’égard de toutes les confessions religieuses.

Il y a certes un sentiment de méfiance à l’égard des Musulmans au sein de la société. Toutefois, même si on se questionne sur l’expression de certaines formes de croyances, on ne remet pas en question le principe même de la tolérance religieuse.

Rappel, sur le bord d’une autoroute I-80, au centre du pays : le seul chemin vers la vérité et le salut

Les Américains pourraient élire une femme à la présidence de leur pays. Mais je doute qu’un non-croyant pourrait être élu pour diriger le pays. Des études sociologiques démontrent qu’on se méfie toujours des non-croyants dans toutes les sphères de la société américaine.

Madame Clinton n’a pas manqué de souligner ses racines familiales et les enseignements inspirés des principes de la religion méthodiste que pratiquait sa mère. Elle a aussi dit que sa mère lui avait enseigné qu’il faut tenir tête aux brutes et aux harceleurs. Elle voulait montré qu’elle peut être ferme, et agressive si les circonstances l’imposent.

Je n’ai pas été surpris de lire ce matin dans le New York Times que des employés du Parti démocrate aient envisagé l’opportunité de suggérer à des journalistes d’interroger Bernie Sanders sur ses croyances religieuses, en sous-entendant que celui-ci serait incroyant.

La campagne électorale américaine a été virulente entre les candidats au sein des deux partis au cours des primaires. Imaginons ce que ce sera au cours des mois à venir. Les sentiments voleront bas… l’esprit ne sera pas très « chrétien », comme on le dit chez-nous.

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Quelques témoignages sur l’élection américaine

Piste de Santa Fe - Independence MI
Independence, Missouri

Je reviens d’un séjour de neuf semaines aux États-Unis ;  en mai, juin et au début du mois de juillet, dans toutes les régions que nous avons visitées, de la Pennsylvanie au Nouveau-Mexique, en passant par le Kansas et le Michigan, je me suis entretenu avec des Américains. J’ai aussi observé les traces visibles de la campagne électorale… notamment, j’ai constaté la présence des nombreuses affiches que les partisans de « Bernie » ( Sanders ) ont parsemées,  partout, dans les fenêtres, sur des parterres devant les maisons, sur les pare-chocs des automobiles, etc… quelques affiches de soutien à Trump, moins d’une demi-douzaine en tout, mais pas une seule affiche en faveur de Hillary Clinton.

Ce n’est pas en journaliste, mais bien en touriste que j’ai visité les États Unis au cours du printemps. Je ne me suis pas promené dans une quinzaine d’états en cherchant à rencontrer des porte-parole officiels des partis politiques, ou des spécialistes qui font métier d’analyser l’évolution de la société américaine. J’ai plutôt croisé des citoyens ordinaires, dans des campings et des restaurants, des sites touristiques, des commerces.

Lorsque je sentais que le contexte le permettait, j’ai pris l’initiative de soulever le sujet de la campagne électorale au cours de conversations. À quelques occasions, ce qui m’a surpris d’ailleurs, ce sont eux qui ont abordé la question.

Depuis deux décennies, j’ai effectué plusieurs séjours chez nos voisins du Sud, parfois pour des raisons professionnelles, parfois pour visiter le pays à titre personnel. Ce printemps, pour la première fois, j’ai perçu que les Américains étaient véritablement intéressés à connaître l’opinion d’étrangers sur « leurs » affaires, sur « leurs » enjeux sociaux, économiques, politiques, électoraux. Je les ai sentis soucieux de la perception que nous avons d’eux.

À chaque occasion, j’ai cherché à connaître comment ils percevaient leur situation politique. Je ne leur ai jamais demandé s’ils étaient partisans d’un parti plutôt que de l’autre : je leur ai toujours demandé lequel des candidats, à leur avis, était le plus susceptible d’être élu. Je tentais, autant que possible, de ne pas orienter leurs réponses. Ce qui m’a le plus surpris, c’est à quel point ils sont désemparés, souvent désabusés, tant chez ceux qui me semblaient être de tendance conservatrice que ceux qui semblaient être plutôt d’orientation progressiste.

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Ruminations au crépuscule

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Le Parc Maisonneuve à la fin du jour

Les journées raccourcissent de plus en plus chaque jour. Il faut sortir plus tôt en après-midi pour bénéficier des dernières lumières du jour.

Heureusement, la température est clémente, plus clémente qu’elle ne l’est d’habitude à cette période-ci de l’année. Normalement, selon les météorologues, nous devrions marcher sur une couverture de neige d’une épaisseur d’une dizaine de mm au début du mois de décembre dans la région de Montréal. De plus, on nous prédit aussi un hiver doux cette année.

Je ruminais mes souvenirs sur l’évolution du temps au cours de ma marche plus tôt en fin d’après-midi. Un souvenir précis me revient épisodiquement ces jours-ci.

C’était vers la fin des années 70, nous étions assis autour de la table familiale, mes parents, ma sœur, mes frères et nos conjointes. Ce devait être à l’occasion des fêtes de Noël puisque nous discutions de la température et des hivers d’antan. J’avais exprimé l’avis qu’il fallait se méfier de notre mémoire, qui avait tendance à magnifier nos réminiscences du passé. Ma mère, qui n’en avait pas l’habitude, était intervenue pour insister que les hivers de son enfance étaient effectivement plus sévères, plus longs et froids.

Aujourd’hui c’est à mon tour de me rappeler que les hivers de mon enfance commençaient plus tôt et se prolongeaient plus tard que ceux plus récents, qu’il tombait plus de neige et qu’il faisait plus froid.

Ce qui me surprend encore plus, c’est que les gens que je fréquente, surtout ceux qui sont, selon le point de vue, aussi vieux ou jeunes que moi, sont bien heureux du temps doux que nous éprouvons ces jours-ci. Néanmoins, succombant simultanément à des accès de nostalgie, nous souhaitons tous un Noël blanc ; nous nous en accommoderons d’autant plus facilement que rien ne nous oblige de sortir les jours où le verglas, ou une chute de neige nous incitera à passer la journée au chaud, dans une chaise berçante, avec un livre ( ou une tablette électronique ) et une boisson chaude à portée de la main.

Cet après-midi, à la fin de mes ruminations ambulatoires, je suis revenu à l’actualité : alors que les délégations de tous les pays du monde sont réunies ces jours-ci à Paris, je me suis demandé combien de fois nous avons refusé de reconnaître ces indices qui auraient dû nous porter à porter plus d’attention à cet enjeu du changement climatique. Nous nous sommes comportés comme ces grenouilles qui se baignent dans la marmite qui se réchauffe : c’était tiède, c’est chaud, ça deviendra bouillant, et nous persistons toujours à ne pas changer nos comportements pour éviter ce qui devient chaque jour de plus en plus inéluctable.

Quelques pensées au sujet d’être Paris…

Je suis Paris, tout comme j’ai été Beyrouth, et Metrojet, et … tant d’autres : le Yemen, tous les jours depuis des semaines et des mois …

Je fouille ma mémoire … je récite intérieurement une liste de drames qui s’allonge, dans le temps, et dans l’espace …

La frustration, la colère, toute la gamme des émotions, au cours de cette soirée du 13 novembre, et à chaque fois que cela se produit …

Je me souviens …

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Le jour du Souvenir

Il faisait si beau ce matin…

ArboretumLe jour du Souvenir ne nous aveugle-t-il pas à l’enfer qui nous guette au prochain détour de la roue du temps ?

Il y aurait lieu de s’interroger : le parti de la guerre au cœur de l’Empire militaro-industriel de l’Occident serait-il en train de se préparer à déclencher une troisième guerre mondiale ?


 

pour, si le cœur vous en dit, lire la suite de ce topo…

Qui prend pays, prend parti

L’observateur des scènes politiques canadienne et québécoise que je suis depuis presque un demi-siècle n’a pu qu’admirer comment le  Parti libéral du Canada a louvoyé entre tous les écueils tout au long de la campagne électorale qui se termine lundi prochain. Le parti, aujourd’hui dirigé par le fils de l’ancien premier ministre, Pierre Trudeau, semble avoir retrouvé la superbe qu’il avait perdue il y a plus d’une décennie, arrogance comprise. Ce n’est qu’à la toute fin que le naturel, revenant au galop, finit par transpirer.

On peut reconnaître l’habileté stratégique des bonzes qui gouvernent un parti politique ; cela ne veut pas dire qu’on reconnaisse la validité du message ou qu’on accepte de leur accorder sa confiance. Quelle qu’ait été l’évolution de la campagne, je demeure convaincu que le changement que les deux principaux partis d’opposition prétendent incarner n’est que superficiel. Je l’ai exprimé au début de la campagne électorale et rien de ce qui est survenu depuis lors ne me porte à modifier mon analyse de la conjoncture politique canadienne.

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… il parle beaucoup !

Les lettres parlent

Il y a quelques jours, ma petite fille de quatre ans feuilletait, en compagnie de sa grand-mère, un livre sur le yoga destiné aux enfants. Bien entendu, ce livre contient beaucoup d’images ; mais il est toutefois précédé de quelques dizaines de pages d’introduction dépourvues d’images. Elles tournent ensemble les pages rapidement pour en arriver au sujet, c’est-à-dire, à la section illustrée. Ce faisant, la petite s’exclame : « Il parle beaucoup le livre. »

Ma petite fille ne sait pas encore lire, mais elle comprend déjà que ces lignes de signes « parlent ». Il faut dire que ses parents et ses grands-parents lisent des livres en sa compagnie depuis les premiers mois de sa vie. Un livre est, pour elle, l’équivalent d’un jouet. Elle est membre de la bibliothèque municipale, qu’elle fréquente régulièrement avec ses parents. Quand le temps viendra, elle voudra apprendre à lire et à écrire.

Apprendre à lire
Apprendre à lire commence à la maison, avec les amies…

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Le spectacle de la démocrature canadienne

On nous convie, encore une fois, à participer au jeu de la réalité-spectacle de la démocrature.

J’emprunte ce mot démocrature à Lise Payette. Il y a un an, Madame Payette proposait ce néologisme pour décrire les régimes politiques ambiants, un peu partout dans le monde occidental : elle décrivait cette tendance qu’ont les élus d’en faire à leur guise, sans tenir compte de la dynamique de l’opinion publique ( et encore moins de l’intérêt public ).

La démocrature… Le mot est assez étrange. Il serait issu de l’union de « démocratie » et de « dictature », parce que, mine de rien, plein de pays dans le monde sont aux prises avec des chefs d’État qui jouent des deux instruments à la fois pour tenir leur peuple dans la soumission, la peur et l’ignorance, lesquels sont les ingrédients essentiels pour assurer leur pouvoir. Comment font-ils ?

Le Devoir, 1 août 2014, Glissons-nous vers la démocrature

Dans sa chronique hebdomadaire du Devoir, Madame Payette nous offrait l’exemple du premier ministre du Canada, Stephen Harper. Elle aurait pu nous offrir celui des dirigeants de la plupart des pays des démocratures européennes et nord-américaines. Les événements récents en Europe, notamment et spécialement en Grèce, nous ont fourni un témoignage des plus éloquents de cette tendance lourde.

Madame Payette nous enjoignait de nous en rappeler le temps venu :

Stephen Harper devra faire face à des élections en 2015. Peut-être pensez-vous qu’il est temps de cesser de rigoler ? Il faut y penser dès maintenant, car le choix sera difficile. Le menu de candidatures sera assez limité. Vous allez voter pour qui ? Parce que voter n’importe comment, c’est jouer avec le feu. La démocrature est si vite arrivée.

Ce temps est arrivé au Canada. Il y a quelques jours, le premier ministre du Canada a obtenu la « permission » du gouverneur général de dissoudre la Chambre des communes et de déclencher une élection générale.

Nous aurons amplement de temps pour examiner nos options : onze semaines, afin de choisir une personne, un député pour nous « représenter » au cours des quatre années qui suivront.

Nous nous retrouvons encore un fois pris au piège d’une mise en scène, qui a l’air d’une improvisation, où on tente de nous convaincre que nous avons le privilège de participer à titre d’acteurs dans une pièce de théâtre qui simulera un exercice de démocratie. Pourtant, l’expérience des dernières décennies nous montre que le résultat de l’exercice n’est pas important : les pouvoirs réels derrière les rideaux de scène ne changeront pas. Ceux qu’on aura choisi se plieront sous les menaces émises par les agences de crédit et ceux qui manipulent les capitaux qui veillent sur notre intérêt. Au mieux, nous pourrons croire que nous aurons collectivement choisi le moins pire parmi ceux qui se présentent.

Il se pourrait néanmoins, qu’il y ait des surprises. Il y a beaucoup d’insécurité, d’insatisfaction latente, d’indignation, de frustration, voire de cynisme dans l’air — comme en témoigne d’ailleurs cette chronique, ici comme ailleurs. La colère ne s’apaise pas, tout au contraire. Elle rumine, devient ressentiment. Il n’est pas nécessaire d’être sorcier pour se rendre compte que les tremblements de cette mouvance indignée peuvent être imprévisibles. Le Bloc québécois en a fait les frais il y a quatre ans. On voulait du changement au Québec. Le problème, c’est que l’électorat du reste du Canada n’était pas au même diapason que celui du Québec.

Dans cette conjoncture, il serait normal que les élites qui manipulent les marionnettes qui siègent à la Chambre des communes estiment que le moment serait propice pour changer les couleurs et les atours de leurs marionnettes. Dans cette optique, nos élites pourraient considérer que ce serait dans leur intérêt de mettre en selle une coalition qui pourrait canaliser l’insatisfaction : un chef libéral à la tête d’un parti qui se prétend social-démocrate pourrait faire l’affaire pour gouverner, surtout s’il pouvait compter sur l’appui du parti qui se présente comme étant libéral — ou vice-versa, selon les humeurs de l’opinion publique, selon les sondages au cours des semaines à venir. On laisserait faire cette nouvelle équipe de marionnettes pendant quatre ans : on les laisserait ajuster la fiscalité sans déranger la base du système, introduire de nouvelles mesures sociales pour apaiser les esprits, laisser construire un pipeline blindé des garanties nécessaires, ne rien modifier des ententes internationales…

Nous avons l’expérience de la démocrature au Québec. Nous nous accoutumons bien de la servitude volontaire. N’est-ce pas d’ailleurs ce chef libéral du parti fédéral qui se prétend social-démocrate qui nous a conseillé, il y a un an et demi, de choisir la démocrature en place présentement au Québec. C’est ce même chef libéral d’un parti qui se prétend démocratique, qui avait déclaré qu’il contesterait le projet de loi sur la laïcité que le gouvernement québécois précédent avait soumis au peuple, quel que soit le résultat de cette consultation démocratique.

L’essentiel, c’est que la plèbe puisse se conforter d’avoir l’impression de changer, comme on l’a fait en France récemment, avec l’élection du Parti qui se dit socialiste. L’échec de Syriza en Grèce l’a démontré : si la population se met à rêver de démocratie, il suffira de mettre le pays à genoux.

Pour ma part, je refuse de me mettre à genoux. Je jouerai le jeu. Je m’exprimerai en temps et lieu, selon ma conscience.

En regardant dans le rétroviseur de mes journaux…

C’est à pas feutrés, quasiment discrètement, que je me suis retiré du marché du travail, il y a quelques années.

Dans un premier temps, on m’avait expulsé d’un milieu de travail où j’avais œuvré pendant dix-sept ans. On avait considéré que mon profil ne correspondait plus à ce qu’on recherchait dans cette entreprise… que je ne m’emboîtais plus très bien dans aucune des cases et aucun des interstices de cette gigantesque organisation bureaucratique qui, bien qu’elle soit gouvernementale, s’était moulée, dans son fonctionnement, sur le modèle des bureaucraties de grandes entreprises privées. On avait certes atténué cette sortie en m’offrant des services pour faciliter la transition ainsi que des mesures incitatives financières avantageuses, à condition toutefois que je ne divulgue pas les termes de cette entente.

Ce n’est que beaucoup de mois, voire des années plus tard, que j’appris que je ne fus qu’un « cas », parmi les tout premiers d’une longue série de délestages corporatifs. Depuis quelques mois, au hasard de conversations avec d’autres personnes retraitées, je me rends compte que nous sommes très nombreux à avoir subi un traitement similaire dans plusieurs milieux de travail.

Le modus operandi était le suivant : ces mises-à-pied se font sur une base individuelle, discrètement, cas par cas. L’entreprise évite ainsi la résistance, la controverse, et la mauvaise réputation suscitées par un congédiement
collectif. L’individu a tout intérêt, dans ce contexte, à rester coi, à se replier sur soi, afin de pouvoir se redresser,  pour entreprendre la tâche ardue de se trouver une nouvelle case dans un autre milieu de travail. Ce qui, pour une personne qui arrive en fin de parcours professionnel, ne constitue pas une démarche familière.

Ce matin-là de novembre, en me dirigeant vers le stationnement lorsque je suis sorti des portes de ce milieu de travail, j’ai éprouvé un sentiment de libération. Je me libérais d’un environnement malsain, à tous points de vue.

Je n’étais pas encore disposé à m’insérer dans une autre boîte, mais il était encore trop tôt pour me retirer du marché du travail. Quelques mois plus tard, j’ai rencontré une de mes anciennes collègues de travail. Celle-ci travaillait dans une autre unité que celle où je travaillais au moment où on m’a renvoyé chez-moi. Nous avons échangé des nouvelles.

Elle s’était interrogée à mon propos ; elle avait constaté qu’elle ne me croisait plus dans les corridors du labyrinthe où elle passait toujours ses journées. Lorsque je me suis informé de sa situation, elle m’a confié qu’elle se demandait si elle allait pouvoir se rendre jusqu’au bout… entre autres, si on allait la laisser travailler le temps qu’il lui fallait pour pouvoir prendre sa retraite sans pénalité.

On peut aimer la profession qu’on exerce, le travail qu’on fait, tout en détestant le milieu au sein duquel on l’exécute. J’ai constaté qu’on lui avait confisqué le plaisir qu’elle avait d’accomplir son travail. C’était comme si je parlais à une prisonnière qui se demandait si on allait lui permettre de demeurer dans sa prison jusqu’au terme de sa peine.

Entretemps, c’est avec enthousiasme que je m’étais relancé dans une nouvelle aventure. Malheureusement, j’avais déchanté très tôt.

Trois ans plus tard, c’est avec plaisir que je me suis retrouvé encore une fois sur le trottoir, pour une durée moins longue que la fois précédente. Pendant les deux années subséquentes, j’ai accepté une série de contrats de courte durée. Entre chacun d’eux, j’ai bénéficié de plusieurs semaines de « congé », parfois aussi longues que la durée des contrats que j’acceptais, ce qui m’a permis d’expérimenter et de m’accoutumer progressivement à un nouveau rythme de vie. Je me déconditionnais de l’atmosphère nocive de la vie dite « active », que j’avais connue depuis des décennies.

C’est au cours de cette dernière période que j’ai assisté à une conférence publique sur ce « monde du travail qui nous rend malade », sur « notre société malade de sa gestion », donnée par le sociologue français Vincent de Gauléjac. Cette conférence fut révélatrice : j’ai commencé à saisir et à comprendre ce que j’avais vécu toutes ces années.

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Depuis plus d’un an, le gouvernement du Québec procède, encore une fois, à une autre restructuration du système de santé — un autre
ministre, une autre réforme. On réforme les structures encore une fois, en croyant que cette nouvelle réforme résoudra les problèmes — une autre réforme coûteuse, qui ne réussira pas à accomplir ce qu’elle vise. Parce que l’analyse de la situation est fausse.

Il y aurait beaucoup moins de problèmes de santé, tant publique que personnelle, beaucoup moins de dépressions, beaucoup moins d’obésité, beaucoup moins d’accidents, si on portait notre attention à la résolution des problèmes sociaux qui sont des sources de maladie, de mal adaptation, d’anxiété : une atmosphère de travail tendue, un milieu de travail qui suscite l’insécurité, qui encourage la compétition ; une mauvaise répartition des revenus dans la société ; des attentes et des aspirations illusoires ; une pauvreté spirituelle et matérielle ; la malbouffe… et j’en passe. Les médecins, le premier ministre et le ministre de la santé qui nous dirigent, sont incompétents lorsqu’il s’agit de diagnostiquer les malaises sociaux.

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Je relis ces jours-ci le journal de ma démarche de réflexion et d’étude sur l’écriture.

Il faut bien admettre que l’adoption depuis quelques décennies, des nouveaux systèmes techniques de communication, de gestion de l’information, de partage de la connaissance, ont profondément modifié non seulement nos milieux de travail, mais aussi la société tout entière. Nous nous y sommes très mal adaptés. Et la richesse que nous croyons avoir créée est illusoire.

Voici ce que j’ai rédigé il y a sept ans :

Le 26 septembre 2008

J’ai rencontré à l’heure du midi, pour la dernière fois probablement, mes collègues du milieu de travail que je viens tout juste de quitter. Ce qui me frappe le plus, c’est à quel point ils sont esclaves de leur situation d’emploi. La technologie des télécommunications contemporaine les maintient en laisse, tout le temps. ( Pendant tout le repas, ils n’ont jamais cessé de répondre aux appels et aux messages sur leurs iPhone et leurs Blackberry. )

Ils perdent du temps à vouloir en gagner.

Il faut du temps pour réfléchir… voir… discuter, approfondir une démarche, baliser et maintenir ses repères.

Nous avons perdu nos repères. Nous avons été absorbés dans un tourbillon, en sachant fort bien que cela pouvait nous désorienter. Nous avons préféré nous embarquer dans cette course, en baissant la tête et les bras. Nous avons choisi de nous conformer. C’est la condition de la réussite… matérielle ! Qu’avons-nous récolté ? Avons-nous réussi ?

Incompréhension

Magasin Laliberté, Québec

J’aime la ville. J’aime les villes.

Prendre le train au centre d’une ville, comme celle de Québec, par exemple : le train quitte la Gare du Palais, traverse les banlieues au bas de la ville, vers le sud, pour faire ce grand détour qui lui permet de prendre graduellement suffisamment d’altitude pour aller jusqu’à la gare de Sainte-Foy ; là, le train s’arrête, prend d’autres passagers, avant d’enjamber le fleuve Saint-Laurent, pour se diriger à vive allure jusqu’à Montréal. Le contraste entre la traversée des zones résidentielles et industrielles du bas de la ville de Québec et celle des paysages époustouflants des falaises de Cap-Rouge est saisissant.

Ce qui m’étonne, chaque fois que je fais un trajet comme celui-là, c’est l’ampleur des réalisations humaines : comment l’humain a réussi à s’organiser pour rassembler toutes les ressources nécessaires à la construction de ses villes et villages… de ses civilisations.

Étonnement : comment l’humain a composé ces paysages urbains où loger, nourrir, soigner, éduquer, et rassembler des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants.

Combien de forêts ont été rasées ; combien de carrières de pierre et de gravier, combien de mines ont été creusées, afin d’extraire combien de tonnes de métaux, afin de construire des maisons, des usines, des ateliers, des bureaux, des églises et des monuments. Combien de champs cultivés, pour alimenter les marchés d’alimentation… Tous les réseaux de transport et de communications pour acheminer toutes ces matières premières, pour les transformer, et ensuite les distribuer dans combien de commerces…

Coin Jeanne d'Arc et Notre-Dame, l'usine Sucre Lantic
Coin Jeanne d’Arc et Notre-Dame, l’usine Sucre Lantic à Montréal

J’imagine, tant dans la durée que dans l’instant de chaque geste qu’il a fallu poser, la somme des activités qu’il faut accomplir pour animer cette fourmilière, tous les jours, à longueur d’années, de décennies, de siècles…

( Cahier de notes, 14 juillet 2014 )


Un an plus tard…

L’actualité me ramène les pieds à terre.

Toute cette richesse qu’on a créée, partout, sur toute la planète, et qu’on est pourtant incapable de distribuer adéquatement pour le bien-être de tous et chacun. L’ampleur des réalisations, qui résultent de la coordination des efforts de tous, est surpassée par la petitesse, la mesquinerie, la méchanceté et l’égoïsme d’aucuns. Pourquoi construire des civilisations et s’acharner à les détruire tout aussitôt ?

« Non », c’est non !

C’était le son des instruments désaccordés d’une fanfare d’amateurs qui réveilla les coqs, et les chiens du village de Ierapetra, ce matin-là.

Ce matin là, ce bruit étrange me tira progressivement de mon sommeil, bien avant l’heure à laquelle je me réveillais à cette époque. La couleur du ciel nous laissait deviner que le jour allait bientôt dissiper la nuit. Cette « musique » persistait ; je ne rêvais pas.

Saisi de curiosité, je me levai, m’habillai et, prenant soin de ne pas alerter mes colocataires, je sortis discrètement de l’appartement. Je me dirigeai lentement vers la source du bruit. Il n’y avait personne sur les rues, même pas les pêcheurs qui avaient déjà tiré leurs barques sur la plage bien avant l’aube, comme à tous les matins.

Enfin, je me retrouvai à la place centrale du village, devant le marché, face à la mairie : une dizaine de musiciens, tous habillés d’un uniforme qui semblait avoir reposé longtemps dans des tiroirs, et qu’ils semblaient avoir revêtu à la hâte, tentaient tant bien que mal de claironner des airs militaires. Je restai bouche bée à contempler le spectacle, m’attendant à ce que le concert provoque un attroupement des villageois… Il temps passa… Rien ne se passa… et les musiciens ne cessaient pas de se désâmer. Les chiens cessèrent de s’énerver, mais les coqs continuaient tout de même à rivaliser avec la fanfare pour nous annoncer, comme d’habitude, une autre journée ensoleillée. Au bout d’une trentaine de minutes, je décidai de retourner chez-moi.

J’avais besoin d’un café. Passant devant la taverne, face à la plage, devant la Méditerranée, je constatai que la porte était ouverte. J’entrai.
La vieille dame derrière le comptoir me sourit et me souhaita « kalimera », bonne journée. Je commandai un café, grec, bien entendu… comme d’habitude, moyennement sucré. Me retournant pour m’assoir à une table, je remarquai qu’un homme était déjà installé à une table, contre un mur : c’était un vieux au visage raviné de rides, et orné d’une belle moustache blanche. Au bout d’un moment, il brisa le silence : je devinai qu’il voulait savoir d’où je venais. Je lui répondit que je venais du Québec, de Montréal. Ses yeux s’éclairèrent un peu : « De Gaule… Vive le Québec Libre », rajouta-t-il, avec une tonalité de point d’interrogation dans sa voix. J’ai acquiescé, avec un grand sourire. La déclamation du Général sur le balcon de l’hôtel de ville de Montréal avait fait des vagues, dans tous les recoins du monde entier, quatre ans plus tôt, lors de l’Expo 67.

Il n’y avait que nous deux, et la dame au comptoir dans l’établissement. Il ne parlait pas l’anglais ni le français. Je ne parlais pas le grec. Cela ne nous empêcha pas d’entamer une conversation animée, ponctuée de gestes, d’onomatopées, de bruits mimant des objets — le son de moteurs d’avions, de mitraillettes…

Le pays était toujours soumis sous la dictature fasciste des Colonels : je savais qu’on ne devait jamais parler ouvertement de politique en public. Avec précautions, nous nous sommes graduellement apprivoisés l’un l’autre… nous partagions une même langue, celle de la résistance.

C’est ainsi qu’il m’éclaira sur la signification de la « cérémonie » qui avait lieu sur la place centrale du village, et dont on entendait toujours les échos en arrière-plan : on célébrait ce jour-là une des deux fêtes nationales de la Grèce, le Jour du « Non ».

Au début de la Seconde Guerre mondiale, le dictateur italien Mussolini somma la Grèce de laisser son armée occuper des lieux stratégiques militaires sur son territoire. Le dictateur grec Metaxás répondit succinctement « Non », ce qui provoqua l’entrée en guerre de la Grèce. Les Allemands durent prêter main forte à l’Italie pour parvenir à maîtriser le pays.
J’ai aussi appris qu’il était un vieux socialiste ; qu’il avait participé à la résistance contre les Allemands. Il me décrivit, de façon très imagée, avec forces détails, comment les Allemands éprouvèrent beaucoup de difficulté à envahir la Crète ; et comment ils résistèrent à l’occupation étrangère.

Ces histoires, qui étaient toujours vives il y a une quarantaine d’années en Grèce, ont été transmises d’une génération à l’autre. On était disposé à passer l’éponge après la guerre. Mais le souvenir n’en est pas moins demeuré vivace.

Ce n’est pas par hasard que, dans le cadre du référendum qui a eu lieu la semaine dernière, le gouvernement grec a formulé la question de façon à obtenir un « non » ferme. La plupart des peuples ne se soumettent aux ultimatums « étrangers » que si on le leur impose par la force, que cette force soit de nature militaire, ou non moins subtilement, de nature financière.

Renouveler la pédagogie

Une carrière d'écriture, Marcel Trudel, Marcel Trudel (1917 - 2011), Mythes et réalités dans l'histoire du Québec, tome 3, 2006 Éditions Hurtubise HMH, Montréal
Une carrière d’écriture : de l’ardoise à l’ordinateur, Marcel Trudel : le livre, une écriture appliquée par un crayon d’ardoise sur une tablette d’ardoise, les crayons d’ardoise, un crayon à mine, deux crayons mécaniques à la mine, un porte-plume muni d’une plume métallique, et un stylo-plume, ou plume-à-réservoir ( plume Waterman Crusader, 1947 – début 1950 ). Cliquez sur la photo pour lire des extraits du texte et examiner les éléments.

Pour les auteurs du manifeste, «l’école occidentale, par son refus obstiné d’évoluer avec elle, n’est plus le reflet de la société qui lui a donné naissance». Une critique forte qui s’accompagne d’une réalité que l’école ne peut certainement plus ignorer : «Selon le Département du Travail des États-Unis, peut-on lire, 65 % des enfants actuellement sur nos bancs d’école une fois diplômés, pratiqueront des métiers qui n’ont pas encore été inventés au moment d’écrire ces lignes». Là-dedans, il va sans doute y avoir un emploi qui pourrait bien ressembler à quelque chose comme un enseignant.

Mais pour en arriver là, «l’école contemporaine se doit de développer des adultes qui se démarqueront par leur degré d’ouverture à la nouveauté, leur aptitude à gérer le changement et à s’y adapter ainsi que par leur capacité à tirer profit de l’incertitude que tout cela génère», poursuivent les auteurs du manifeste. Incertitude qui pour le moment dans certains milieux semble paralyser plus qu’elle ne met en mouvement.

Fabien Deglise, Les mutations tranquilles, Le Devoir, 1 juin 2015

Dans sa chronique du 1er juin, Fabien Deglise rend compte d’un Manifeste pour une pédagogie renouvelée, active et contemporaine, qui a été publié, sur le Web bien entendu, par un groupe d’enseignants et de pédagogues qui préconisent un renouvellement de la pédagogie afin de l’adapter aux nouvelles réalités du monde moderne.

Convenons, pour les fins de discussion, qu’une telle démarche soit nécessaire. Toutefois, connaissons-nous suffisamment la nature des mutations que nous sommes en train d’éprouver, tel que nous pourrions répondre adéquatement aux défis qu’elles soulèvent, pour inventer une nouvelle pédagogie ?

Je lis cette chronique et je ne peux m’empêcher de m’interroger. Depuis plus de deux siècles, soit depuis le début de la révolution industrielle, chaque génération apprend à s’adapter aux nouveaux systèmes technologiques qui surgissent et se succèdent les uns après les autres : machine à vapeur, électricité, électronique, …

Ma génération, comme les précédentes, a évolué dans un contexte où les métiers et les professions, ainsi que l’exercice de celles-ci, ont changé de plus en plus, à un rythme frénétique, d’une décennie à l’autre.

Il y a un siècle, on a troqué les chevaux pour les automobiles, les camions et les tracteurs. Les forgerons ont dû se convertir.

Un demi-siècle plus tard, la télévision faisait son entrée dans les foyers : j’avais quatre ans quand on lui a fait une place dans le salon chez-moi. Dans le sillage de la fascination qu’elle exerce sur nos vies et de sa pénétration dans la société, on n’a pas tardé pour soutenir qu’il fallait renouveler la pédagogie, en soutenant qu’il fallait introduire la radio, puis la télévision, dans les classes ; on soulignait que l’enseignant devait désormais faire concurrence à la télévision dans l’exercice de sa profession.

Bateau à vapeur, radio, avion : ce ne sont là que des objets, des outils, des instruments, des artefacts. Le développement de ces objets découlent d’une évolution de découvertes scientifiques… de l’évolution, aussi, des idées, de théories, d’innovations les plans social et politique aussi, tel que le développement de sociétés plus égalitaires, et démocratiques.

Qu’y a-t-il de neuf, en réalité ?

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