Kerouac, 12 mars 1922

Monument Jack Kerouac, Lowell, Massachussetts

It was in Centralville I was born… On Lupine Road, March 1922, at five o’clock in the afternoon of a red-all-over suppertime, as drowsily beers were tapped in Moody and Lakeview salons and the river rushed with her cargoes of ice over reddened slick rocks… I remember that afternoon, I perceived it through beads hanging in a door and through lace curtains and glass of a universal sad lost redness of mortal damnation… the snow was melting.

Doctor Sax, 1952/1959, Mexico

Jean-Louis Kerouac est né à Lowell, Massachussetts, il y a cent ans aujourd’hui.

Aujourd’hui, on commémore l’événement dans sa ville natale. Il est devenu plus qu’une légende, un mythe, pas uniquement sur le plan littéraire. Encore aujourd’hui, c’est le personnage, plus que l’écrivain qu’on connait. Qui peut nommer plus qu’un livre qu’il a écrit, outre que On the Road.


Il y a deux ans, le 11 mars 2020, je présentais la dernière d’une série de trois conférences devant un auditoire de membres du programme d’Éducation 3è âge du Collège de Maisonneuve : neuf heures sur ses origines, son cheminement, son œuvre, son immense influence dans le monde entier.

Voici comment j’amorçais la première de cette série :

« La légende : le pape de la Beat Generation, un bourlingueur qui, animé par l’alcool et propulsé par des amphétamines, vagabondait avec ses amis à travers les États en courant la galipote, d’une ville à une autre.

Difficile de s’expliquer comment un dévoyé a pu composer une œuvre qui comprend presque trois dizaines de livres, des romans, des recueils de poésie, un essai sur le bouddhisme et un grand nombre d’articles publiés dans un grand nombre des revues américaines à grand tirage, le tout sur une période de guère plus d’un quart de siècle.

Encore plus difficile de s’expliquer comment cette œuvre a su retenir l’intérêt et l’attention de tant de lecteurs, dans des dizaines de langues et encore plus de pays à travers le monde entier. Il est impossible aujourd’hui, à moins d’y consacrer toute une vie, de tout lire, toutes les études, de visionner tous les documentaires, les reportages, d’écouter tous les témoignages, sur l’homme, sa vie et son œuvre.

Comment s’expliquer l’influence qu’il a exercé sur tant de créateurs ? Bob Dylan et Richard Séguin, Dany Laferrière et Patrice Desbiens, Herménégilde Chiasson et Walter Salles… Comment s’explique l’ascendant qu’il conserve, encore aujourd’hui, sur tant de gens, de toutes les générations?

On sait que Kerouac était d’origine canadienne-française. D’ailleurs, il le mentionne souvent dans plusieurs de ses écrits. Mais ce que peu reconnaissent, c’est comment et à quel point son identité canadienne-française a façonné son œuvre. »


Jean-Louis Kerouac s’est toujours identifié comme étant d’origine « canuck », c’est-à-dire canadienne-française. Il deviendra Jack Kerouac lorsqu’il commencera à s’intégrer dans la société américaine. Toute son œuvre sera une immense quête d’identité : un Canadien-français errant qui, se cherchant une identité, devient Franco-Américain, sans en être conscient. Et, quand on la lit attentivement, avec intelligence, on découvre que cette œuvre témoigne du passage de l’identité canadienne-française à celle franco-américaine au sein de son milieu d’origine.

Une grande majorité des œuvres de Kerouac peut être catégorisée comme étant de l’autofiction. Il s’inspirait de ses expériences vécues, dans son milieu familial, sa communauté d’origine, le cercle de ses amis, ses milieux de travail, pour créer des romans qui ont témoigné de l’état et de l’évolution de sa société et de son pays. Dès le début de son cheminement, il conçoit le projet d’écrire une série d’œuvres de nature autobiographique, qu’il intitule La légende de Duluoz.

Jean-Louis Kerouac, Jack Kerouac est un rhapsode contemporain — rhapsode, du terme grec rhapsein, tisser, tisser des odes, des poèmes chantés. Il cherchait sa voix, pour s’insérer dans les grands courants artistiques et littéraires de son pays, sans effacer son origine. Devenant un écrivain franco-américain, il trouve sa voix pour chanter ce qu’il vit et peindre ce qu’il observe dans son environnement.


This is a very important story because it deals with a man who was also named Jack Kerouac, and who was the father of my father…
Honest Jack was fearless. He dared God to strike him with a thunderbolt. Whenever there was a thunderstorm, he would stand on the large porch of his home and roar at the heavens, waving his bony fist at the lashing tempest...
He would use this enormous language against the storm.
The language called Canadian French is the strongest in the world when it come to words of power, such as blast and strike and others. It is too bad that one cannot study it in college, for it is one of the most languagey languages in the world. It is unwritten; it is the language of the tongue, and not of the pen. It grew from the lives of French people come to America. It is a huge language.

The Father of my Father (1941), Atop an Underwood

Jean-Louis Kerouac avait 19 ans lorsqu’il a écrit ce texte. Aurait-il pu écrire un texte semblable s’il avait évolué à Montréal par exemple, ou à Québec, à la même époque? Paradoxalement, c’est parce qu’il était canadien-français résidant en Nouvelle-Angleterre en 1941, que Kerouac a pu écrire le texte sur la langue de son grand-père et des ses ancêtres. Il faut reconnaître que s’il avait évolué dans les cercles académiques à Montréal, entre 1940 et 1960, il n’aurait jamais pu élaborer l’équivalent de ce qu’il allait accomplir au cours des années 50, ce qu’il a créé comme œuvre dans le cénacle de sa boy-gang des Beat.

Ce n’est que lorsque des Péloquin, Vanier, suivis de Charlebois ( l’Osstidcho ), mais surtout Michel Tremblay qui ont porté le parler canadien-français devenu québécois à un niveau littéraire.

Kerouac était conscient de ses limites quant à sa capacité d’écrire en français. Pierre Anctil, dans Jack Kerouac : un homme grand, explique que Kerouac n’était pas enraciné dans une véritable pratique littéraire française. Anctil ajoute que si Jacques Renaud ( Le Cassé, Parti Pris, 1964 ) et Victor-Lévy Beaulieu ( Jack Kerouac : un essai-poulet, Éditions du Jour, 1972 ) ont écrit des livres en joual, « … ce fut par ailleurs en plein possession de l’expression française classique dans le respect de ses formes grammaticales fondamentales. »

Kerouac ne parlait pas l’anglais lorsqu’il entre à l’école primaire ; il ne maîtrise pas l’anglais alors qu’il est admis à l’école intermédiaire à 11 ans. Pour la première fois, il ressent les effets des différences de classe sociale et ethnique. Il ne maîtrisait toujours pas très bien l’anglais parlé à la fin du secondaire. Néanmoins, il brille tant sur le plan académique que sur le plan sportif à l’école secondaire.

Il se vante d’avoir sécher régulièrement ses classes au niveau secondaire. Ses enseignants le savaient ; ils savait aussi qu’il passait tout son temps à la bibliothèque municipale, toujours dans le même coin, à lire les classiques, à feuilleter des livres de références, les encyclopédies.

Dans sa biographie littéraire de Kerouac, The Voice Is All : The Lonely Victory of Jack Kerouac ( Penguin Group, 2012 ), Joyce Johnson signale que si le trajet en train entre Lowell et New York durait une demie journée, le trajet psychique était autrement immense.

Avant d’être admis à Columbia, Kerouac doit passer une année complète dans une école préparatoire, la Horace Mann School. Kerouac arrive d’une ville essentiellement ouvrière. Il se retrouve dans une école où la majorité des étudiants proviennent de parents très riches. Plusieurs étudiants arrivent à l’école en automobile conduite par le chauffeur de la famille. Le choc culturel entre la petite ville industrielle et la grande métropole de New York est énorme.

Le coin de Kerouac à la bibliothèque municipale de Lowell

… during all this time I used to cut classes at least once a week, just so I could go to the Lowell Public Library and study by myself at leisure, to investigate other fragrant old books such as Goethe, Hugo…
… loving books and the smell of the old library and always reading in the rotunda part of the back where there was a bust of Caesar in the bright morning sun…

Vanity of Duluoz, Book Two, 1

Kerouac a été, toute sa vie, un lecteur boulimique. Il cherche, étudie et trouve des modèles qui s’écartent des modes classiques d’expression. Il expérimente pour arriver à exprimer une voix américaine, distincte de l’européenne. Chez Whitman et Thoreau, cette aspiration le mène vers une éthique de l’authenticité, de l’individualité, et d’une relation avec le milieu naturel ; chez Melville : la quête intense de l’absolu dans toutes ses manifestations ; chez Thomas Wolfe : l’autofiction, sa vision de la poésie de l’Amérique ; chez Proust : la chronique d’une vie, comme témoignage d’une époque ; chez Céline : une langue qui reproduit le discours, la parole orale, et le sentiment de la futilité de la vie qui se termine inéluctablement dans la mort.

Sur la base de cet héritage littéraire, et s’appuyant sur sa propre parlure canadienne, il parvient à articuler sa propre voix, son style. Joyce Johnson est peut être la personne qui a le mieux reconnu qui était l’écrivain Kerouac et surtout l’importance de sa culture canadienne dans la genèse de son style.

Elle a été témoin au jour le jour de cette démarche. Dans sa biographie littéraire de Kerouac, elle a décrit, étape par étape le cheminement de la découverte de sa voix, comment ce fut un développement ardu, intense.

Au moment de la parution de On the Road et de la critique élogieuse originale du NY Times, Kerouac est devenu, bien malgré lui, une vedette. Le livre est si populaire que, quelques semaines après le lancement, on imprime une deuxième, puis une troisième édition de son livre, pour répondre à la demande.

Ses collègues de la Beat Generation étaient, en septembre 1957, partis à Tanger, puis à Paris. Il était le seul de sa bande à être disponible pour des entrevues.

Johnson l’a accompagné au cours de la période de la sortie du roman au cours de l’automne 1957. Elle décrit dans sa biographie littéraire comment ce fut le début de la fin pour lui. Il n’était pas prêt à faire face à cette situation. Il a été incapable de s’ajuster à la notoriété. Johnson a vu, jour après jour, comment cette expérience l’a assommé, détruit.


Une partie de la collection des livres des écrivains de la Beat Generation à la Bibliothèque municipale de Lowell, Massachussetts

L’œuvre entière de Kerouac a exercé une influence énorme à travers le monde entier. Plusieurs de ses livres ont été publiés dans un grand nombre de pays, et dans plusieurs langues.

Pendant longtemps, son œuvre n’a pas été appréciée à sa juste valeur, dans les milieux littéraires de la critique et de l’édition, et encore moins dans les réseaux intellectuels et académiques. Ce n’est que tout récemment qu’on reconnait ce qu’il a accompli, son innovation sur le plan littéraire, ainsi que la profondeur de son œuvre. Toutefois, plusieurs persistent à déprécier, à remettre en question sa valeur – d’aucuns valorisent l’innovation sur le plan du style tout en dépréciant le message, ou inversement.

À l’époque actuelle, où on examine, on reconsidère ce qu’on appelle le corpus historique des œuvres qui définissent une culture, soit d’un pays ou d’une civilisation, on a commencé à y intégrer l’œuvre de Kerouac. Pas uniquement parce que tant de monde l’ont lu, en ont été marqués, mais parce qu’il fait désormais partie de cet ensemble d’œuvres qu’ont considèrent comme étant des piliers de la culture. Des œuvres ont été créées qui se réfèrent à celle de Kerouac, qui n’aurait pas créées autrement. Il fait partie désormais, dans le corpus américain à tout le moins, de cet aréopage, ce cénacle sélect de ces écrivains qu’on étudie dans les universités, en compagnie des Emerson, Twain, Melville, Thoreau, Whitman, Faulkner, Fitzgerald.


Et pour nous Québécois et nous autres descendants des premiers Canayens dispersés sur tout le territoire de l’Amérique du Nord… que représente-t-il ? Comme tant d’intellectuels, je rumine les réponses à cette question depuis quelques décennies.

Déjà, il y a plus d’un demi-siècle, Michel Euvrard posait ce questionnement dans la revue Parti Pris : beat, battus, béat, Parti pris, page 65, avril 1966.

Kerouac repose la vieille question, celle qu’inlassablement la littérature américaine n’a cessé de poser depuis ses balbutiements, et que nulle réponse ne peut empêcher une réplique, ques­tion qui par le fait même qu’il est besoin de la poser, reste nécessairement sans ré­ponse ; une question à laquelle il ne serait possible de répondre que lorsqu’elle aura cessé de se poser, et la réponse alors n’aura plus beau­coup d’importance, « Qu’est-ce que ça veut dire, être Américain ; qu’est- ce que c’est, l’Amérique? »

Il faut reconnaître qu’il y a toujours eu méfiance entre d’une part, ceux qui « trippaient » dans le courant apolitique de la contreculture, ceux qui aspiraient à une transformation graduelle de la société, par une prise de conscience de soi, par opposition d’autre part, à ceux qui étaient plus systématiques, ou méthodiques, qui souhaitaient un renversement de la société ; ces deux courants n’avaient de commun que leur désir de contester, de changer de société. Ce qui est intéressant, c’est que dans ce numéro de parti pris, il y avait la critique de Euvrard, et d’autres textes, une entrevue avec Claude Gauvreau, un poème de Denis Vanier, et une entrevue de Paul Chambeland avec Claude Péloquin. Le tout en référence à des textes des Beat, Kerouac, Corso, entre autres.

Dans Une certaine Amérique à lire : la Beat Generation et la littérature québécoise ( Édition Nota Bene, 2014 ), Jean-Sébastien Ménard identifie trois tendances au Québec, quant à l’héritage de Kerouac chez nous :

  • être beat au Québec : Claude Péloquin, Raoul Duguay, Lucien Francoeur qui, avec Denis Vanier, Patrick Straram et autres, revendiquent une filiation avec le continent tout entier ;
  • ceux qui se servent de Kerouac comme d’un miroir pour mieux parler d’eux-mêmes : Victor-Lévy Beaulieu, Jack Kerouac : essai poulet, Gilles Archambault, Le Voyageur distrait, et Jean–Noël Pontbriand, Jack Kerouac Blues ;
  • ceux pour qui Kerouac sert de relais à l’américanité québécoise : Jacques Poulin, Volkswagen Blues, Réjean Ducharme, Dévadé, Dany Laferrière, Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer, Louis Hamelin, Le joueur de flûte, et Michel Vézina, Entre asphalte et vodka.

Selon Ménard, le thème de l’américanité devient incontournable pour analyser la quête d’identité des Québécois au cours des années 80. Le rapport à l’Amérique et particulièrement aux États-Unis, devient le centre du questionnement identitaire. Il souligne que, comme le remarque Yvan Lamonde, l’élite intellectuelle est tournée intellectuellement vers la France et est éloignée d’une culture populaire et de masse québécoise foncièrement américaine. Pour ces écrivains, être d’Amérique ne signifie pas d’oublier d’où l’on vient, au contraire, mais bien d’être tout ce que l’on est, sans pourtant effacer l’européanité de l’origine.

Ménard souligne que, contrairement à Kerouac et les Beats qui recherchent un autre mode de vie, Jacques Poulin est, dans son roman Volkswagen Blues, à la recherche de traces d’une présence française en Amérique. Il traverse l’Amérique, de Gaspé ( Jacques Cartier ) jusqu’à San Francisco ( Jack Kerouac ), sautillant d’un lieu à un autre, en se servant de documents écrits pour se guider.

Pour Laferrière, que Ménard a rencontré pour les fins de sa recherche, lorsqu’on prend la route, on n’en revient pas. Ménard estime que Laferrière et Kerouac ont beaucoup de points en commun. Le projet d’autobiographie, sous forme d’autofiction ; l’écriture qui alterne entre le passé et le présent ; l’importance du rythme de la langue, de la musique des mots et des phrases ; Kerouac aime jouer avec le langage comme un jazzman joue de son instrument. Laferrière avoue qu’il pense en créole tout en écrivant en français. L’un est fils d’immigrant, l’autre est immigrant. Il est d’avis que Kerouac aurait dû être traduit par un québécois plutôt que par des français.

Le personnage de Kerouac et des auteurs de la Beat Generation apparaissent dans plusieurs romans de Louis Hamelin. Dans Le joueur de flûte, Hamelin met en scène un personnage, Ti-Luc, dans une démarche de quête d’identité – la recherche de son père. De fil en aiguille, les aventures de Ti-Luc l’aide à trouver son identité. Ménard souligne que la Beat Generation a souvent été associée à une quête d’identité. La lecture de Howl, d’Allen Ginsberg, a permis à plusieurs personnes d’assumer leur identité sexuelle par exemple. Il donne aussi l’exemple de Johnny Depp, pour qui la lecture de On the Road a marqué sa vie et l’a aidé à se lancer comme artiste. En ce sens, la Beat Generation a joué le rôle de joueur de flûte pour toute une génération.

Le roman de Michel Vézina, Entre asphalte et vodka est le récit de la rencontre entre deux hommes. Jean, qui se lie d’amitié avec Charles, qui pourrait être son grand-père, et de leur odyssée qui les mène à leurs sources communes, en Gaspésie. Dans ce roman, il y a la présence de la figure d’un père, Victor-Lévy Beaulieu, et celle du grand-père, Kerouac, incarné dans le personnage de Charles, devenu Carl à la suite d’un exil aux États-Unis. Chemin faisant, les deux personnages se retrouvent dans leurs origines.

Ménard mentionne le franco-ontarien, Daniel Poliquin, Visions de Jude, pour étaler l’étendue des œuvres qui témoignent de cette filiation avec le courant beat, sans pour autant copier ce qui se fait aux États-Unis. Pour ma part, j’aimerais signaler l’œuvre d’un poète franco-ontarien, Patrice Desbiens, que j’ai connu il y a quelques décennies, lorsque je travaillais comme journaliste en Ontario-français. Son recueil de poésie, L’homme invisible, est innovateur… ce recueil témoigne très bien de la situation des descendants des canadiens-français qui sont nés à l’extérieur du Québec, pas uniquement en Ontario ou au Manitoba, mais aussi ceux qui écrivent en anglais, en Nouvelle-Angleterre.

L’essai de Victor-Lévy Beaulieu est écrit sous la forme d’un journal intime de sa lecture de Kerouac : pourquoi passer des heures dans un roman si jamais les mots ne vous renvoient pas à vous même? Selon VLB, qu’on le veuille ou non, Kerouac, ce « meilleur romancier de l’impuissance » comme il le qualifie, nous offre un miroir de nous-même. C’est ce qui hantait Beaulieu, lorsqu’il cherchait la conclusion à son essai : « Car le vieux mythe de l’Amérique est un serpent lové en soi, inexpugnable – cette force têtue que n’a su vaincre Jack et qui s’est vengée de façon superbe, dans le bon vin et la mauvaise bière de la Nouvelle-Angleterre. »


Après ça…

Quelques semaines avant de me lancer à nouveau dans une autre exploration de l’Amérique au printemps et à l’été 2016, les Éditions Boréal publiaient un recueil de textes inédits rédigés en français par Jack Kerouac — La vie est d’hommage.

Ces textes, qui dormaient dans les archives de Kerouac à la New York Public Library, ont été établis et présentés par le chercheur Jean-Christophe Cloutier. Ce dernier a épluché et étudié attentivement ces textes surprenants. Dans la préface au recueil, Avant Propos : Les travaux de Jean-Louis Kerouac, le chercheur nous révèle ce qu’il qualifie, avec raison, de véritable trésor.

J’ai trimbalé ce livre tout au long de ma longue virée jusqu’au Sud-Ouest, en filant sur les autoroutes et les routes de campagne de la Vallée de l’Ohio, en suivant le parcours de la légendaire Piste de Santa Fe et, enfin, en retournant vers l’est jusqu’à domicile ( https://fernancarriere.com/category/une-boucle-americaine-2016/ ).

De retour chez-moi, en poursuivant la lecture de ces textes qui m’ont fasciné et m’ont dérangé à la fois, j’ai prolongé le voyage, dans tous les sens du terme, tout en relisant et en complétant mon journal de voyage.

Ce qui m’a fasciné le plus de la lecture de ce recueil de textes rédigés en français par Kerouac, c’est la dimension identitaire de ce Franco-Américain de deuxième génération. Cette question m’a hanté tout au long du voyage que je continue en esprit, chez-moi.

En étudiant attentivement les manuscrits de Kerouac, tant les manuscrits rédigés en anglais qu’en français, Cloutier découvre que l’œuvre maîtresse de Kerouac, On the Road, dérive de premières ébauches qui ont été rédigées d’abord en français ; qu’il serait plus juste de parler de cheminement pour traduire le sens véritable de l’expression On the Road : que la véritable version française du titre devrait être Sur le chemin, plutôt que Sur la route.

Laissons Cloutier décrire ce qu’il a découvert en lisant ces manuscrits en français :

« Les textes réunis ici permettront au public de retracer l’évolution de la relation que Kerouac a entretenue avec ses origines canadiennes-françaises — son sentiment d’assimilation, de colonisé invisible en terre étrangère, son dédoublement intérieur, cette dialectique infernale entre la honte et la fierté qui le hante sans cesse de son enfance jusqu’à sa mort en 1969 — tout en mettant en évidence l’influence déterminante que le français a eue sur son développement littéraire, et conséquemment sur la littérature mondiale d’après-guerre. ( page 48 ) »

Sur le chemin de la vie, de la naissance à la mort…

Kerouac savait qu’il était un grand écrivain. Il a réussi à se positionner dans l’élysée des grands écrivains du monde. Chacun y trouve un miroir de soi… ou non.

***

Les demi-civilisés, 1934

Quelques glanures en lisant Les demi-civilisés,
par Jean-Charles Harvey

Inconsciemment, la comparaison se faisait en moi, entre l’élégance et le raffinement des citadins, et la simple rusticité des gens de chez nous. J’estimais ceux-ci, je m’étonnais des autres. Je sentais vaguement qu’il y avait, chez nos campagnards, plus de solidité, de bonté, de jugement et d’intégrité ; mais les cheveux bouclés, les lèvres peintes, les cils taillés, les doigts fins et les ongles polis de Marthe m’avaient séduit. Déjà, le sens de l’art se faisait jour en moi aux dépens du cœur et de la conscience. (p. 28, Éditions Typo, 2016)

Me voici parmi les descendants de ce peuple que je trouve terriblement domestiqué. Une fois la conquête faite par les Anglais et les sauvages exterminés par les vices de l’Europe, nos blancs, vaincus, ignorants et rudes, nullement préparés au repos et à la discipline, n’eurent rien à faire qu’à se grouper en petits clans bourgeois, cancaniers, pour organiser la vie commune. On eût dit des fauves domptés, parqués en des jardins zoologiques, bien logés, bien nourris, pour devenir l’objet de curiosité des autres nations. (p.43)

Je lui confiai rapidement mon désir de me livrer au professorat, à l’université.
— Je veux bien vous appuyer, dit-il. Si jamais vous entrez là, ne soyez pas trop frondeur, pas trop indépendant. Tout ce qui peut ressembler à l’indépendance de caractère, à l’émancipation de certains principes, est banni de l’université, gardienne de la tradition… et de la vérité. (p. 52)

Poussé par la pitié et la curiosité, je poursuivis ma route et arrivai devant un magasin très bas, très long et très étroit — touchant symbole! — d’où sortaient une foule de personnes chétives, qui emportaient avec elles des fioles coloriées et scellées de timbres officiels.

Je hélai un passant et lui demandai ce que signifiait cette sinistre procession.

— Ce n’est pas une procession, répondit-il, mais le pèlerinage quotidien de la population aux sources de la pensée humaine. L’immeuble que voici appartient à un monopole qui jouit du privilège exclusif de vendre en bouteilles l’esprit pur. Une loi renforcée par des sanctions sévères prohibe absolument l’usage de produits intellectuels autres que ceux-là.

… Aussitôt qu’une intoxication par l’idée ou par l’influence de génie se manifeste quelque part, nos espions nous renseignent et nous administrons aux coupables un astringent qui guérit le cerveau de tout danger de création. (p. 57-58)


En 1966, soit trois décennies après la publication original de Les demi-civilisés, voici ce que l’auteur relatait dans l’introduction de la première réédition de son roman.

Ce roman, paru en mars 1934, s’efforçait de peindre certaines milieux petits-bourgeois de Québec et autres lieux.

Vers la fin d’avril, son Éminence le cardinal Villeneuve, archevêque, interdisait Les demi-civilisés. Son décret… défendait aux fidèles, sous peine de péché mortel, de lire ce livre, de le garder, prêter, acheter, vendre, imprimer ou diffuser de quelque façon. … C’était le temps où l’Église, encore plus que de nos jours, jouissait d’une autorité et d’un prestige incontestés aussi bien auprès du pouvoir civil que dans la masse des croyants.


1948 — Publication du manifeste du Refus global, qui irrite les autorités ecclésiales et politiques canadiennes-françaises.
1967 — Publication des Nègres blancs d’Amérique, de Pierre Vallières. Cette fois, c’est le gouvernement canadien qui tente de censurer le livre.

La censure a une longue histoire, dans le monde entier.

Aujourd’hui, elle prend de nouvelles formes, tout aussi menaçantes à l’égard de notre liberté de penser et d’expression. Tant au sein des institutions académiques que dans les réseaux sociaux, on masque, on efface, on « annule »… ceux qui s’investissent comme gardiens de ce qui est convenu d’exprimer et de diffuser, écartent ceux qui les dérangent, les importunent, les contestent.

Cheminant vers les Îles – Au pays de la Sagouine

 

Sur l’île aux puces, au Pays de la Sagouine… Bouctouche en arrière-plan

Bouctouche, le 27 août 2017

À Bouctouche, laissez-vous guider par le phare sur l’Ïle-aux-puces. C’est là qu’on peut trouver la dactylo d’Antonine Maillet, et un étalage d’exemplaires d’un grand nombre des éditions originales de ses œuvres.

Profitez-en pour voir une représentation d’un spectacle mettant en vedette des personnages auxquels l’écrivaine a donné vie.

 

La Sagouine

 

 

Au café

le café est servi…

bien installé devant la table, je peux commencer à matérialiser mes pensées…

… bâillonner le bavard électronique, ouvrir mon carnet, décapuchonner ma plume, laisser mon regard s’absenter, puis concentrer mon attention…

… clarifier mes réflexions sur le sujet, laisser venir l’inspiration, les observations… puis les noter…

… écarter celles qui sont intéressantes, certes parfois connexes au sujet, mais néanmoins non pertinentes…

… rassembler les autres, les ordonner, les tisser progressivement dans une trame…

… laisser aller

 

 

 

American Notes : le parcours d’un livre

American Notes, de Charles Dickens. Exemplaire imprimé chez T. B. Peterson & Brothers, Philadelphie. Date de publication estimée : 1857

Pour poursuivre ma lecture de American Notes, de Charles Dickens, ce récit du voyage de six mois que le grand écrivain anglais a effectué, de janvier à juin 1842, en Amérique du Nord, je dois me rendre, sur place, à la Grande Bibliothèque.

Examinez les photos du livre, ci-haut et dans le billet précédent. C’est un vieux livre. Je tourne les pages avec précaution ; elles sont raides, comme du carton ; la reliure du livre est fragile.

Cet exemplaire du livre m’intrigue. La page titre nous informe que le livre a été imprimé aux États-Unis, à Philadelphie. Il n’y a pas de date, ni de mention de droit d’auteur, uniquement le nom et l’adresse de l’imprimeur. Au milieu du 19è siècle, les auteurs, dont Dickens, luttaient toujours pour faire valoir leurs droits sur leurs œuvres. Les Américains notamment, refusaient de reconnaître l’institution du copyright international. L’exemplaire que j’ai en main est forcément une publication piratée.

Je voulais en savoir plus, connaître le parcours de cet exemplaire spécifique.

Il y a quelques jours, une bibliothécaire de la Grande Bibliothèque m’a aimablement guidé dans ma recherche sur le parcours de ce livre. Elle m’a signalé d’abord que le livre avait fait partie de la Collection Gagnon, une collection d’une grande importance que je ne connaissais pas. Ensuite, naviguant dans l’Internet d’une source de renseignements à une autre, elle a réussi à retracer l’année de la publication de l’édition américaine de American Notes : cet exemplaire du livre a été publié aux États-Unis par T. B.  Peterson & Brothers, à Philadelphie, en 1857, il y a 160 ans.

***

La Collection Gagnon

La Grande Bibliothèque est l’une des constituantes de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Elle est devenue dépositaire de diverses collections de documents lors de la fusion des activités de la Grande Bibliothèque et de la  Bibliothèque nationale du Québec il y a une quinzaine d’années, et de la fusion subséquente de la Bibliothèque nationale et des Archives nationales du Québec il y a douze ans.

Un fiche collée à l’intérieur de la couverture du livre nous informe que cet exemplaire fait partie de la Collection Gagnon. J’apprends que la Collection Gagnon est un véritable trésor bibliographique sur l’histoire de l’Amérique et particulièrement de l’Amérique française. Cette collection comporte des ouvrages et des documents très anciens, qui remontent jusqu’ au début des années 1500, soit jusqu’aux premiers récits des grandes explorations du continent américain. On y retrouve, entre autres, les écrits de Bartolomé de las Casas, qui a dénoncé dès le 16è siècle la barbarie des Conquistadors espagnols à l’égard des peuples amérindiens de l’Amérique. Cette collection contient aussi la première édition du récit des voyages de Jacques Cartier, les Voyages de Champlain, les Relations des Jésuites et d’autres récits de voyages et d’explorations.

Mais ce qui m’a le plus surpris, c’est l’origine de la Collection Gagnon.

La bibliothécaire m’informe que la Bibliothèque centrale de Montréal avait acquis cette Collection d’un certain Philéas Gagnon, un négociant de Québec, en 1910 ; que ce collectionneur avait assemblé sa collection sur une période de 35 ans, de 1875 jusqu’à 1910.

De retour chez-moi, je poursuis mes propres recherches. Le Dictionnaire bibliographique du Canada contient une notice biographique sur Philéas Gagnon. J’y apprends que Gagnon est un tailleur, qui a pignon sur rue à Québec. Ce négociant, dès le début de la vingtaine, commence à s’adonner à la collection de livres.

Malgré une formation scolaire relativement mince et de modestes revenus de tailleur, Gagnon réussit, par des achats judicieux dans les nombreuses ventes à l’encan locales, par l’utilisation d’encarts publicitaires dans des revues spécialisées même étrangères, et par la publication de ses propres catalogues de vente, dans lesquels il offrait le surplus de ses acquisitions, à se bâtir une collection que ses contemporains, historiens, chercheurs et littérateurs, à la fois plus scolarisés et mieux nantis, allaient reconnaître comme la meilleure et la plus complète au Canada.

En 1895, ce « modeste » tailleur publie, à compte d’auteur, un essai de bibliographie canadienne qui révèle la richesse de sa collection. Cette publication lui vaut une nomination au poste de conservateur des Archives judiciaires du District de Québec en 1898. Déjà, il travaillait à pérenniser son œuvre. Il cherche à vendre sa collection à des intérêts américains ; le gouvernement du Canada ne saisit pas l’occasion. Finalement, c’est la Bibliothèque de Montréal qui l’acquiert.

***

C’est dans un tout autre esprit, que je retournerai la semaine prochaine à la Grande Bibliothèque pour poursuivre ma consultation de ce livre. Je le manipulerai avec encore plus d’attention… avec un sentiment de reconnaissance à l’égard de ce modeste tailleur qui nous a légué un trésor.

… après ça …

après ça dans la Graham-Paige année 1927 d’Old Bull ils partirent vers le Nebraska… Des nuages géants des prairies s’amassaient et marchaient au-dessus de l’anxiété indescriptible de la surface de la terre où les hommes vivaient tandis que leur voiture se faisait petite dans l’immensité, rampaient vers l’est comme une bibitte à patates sur des routes qui n’aboutissaient à rien.

Jack Kerouac, La vie est d’hommage, Boréal, 2016
( page 142 )

I-80 Wyoming 2
L’autoroute I-80, s’enfonçant dans l’horizon vers l’est, du Wyoming vers le Nebraska…

Quelques semaines avant de me lancer à nouveau dans une autre exploration de l’Amérique, les Éditions Boréal publiaient un recueil de textes inédits rédigés en français par Jack Kerouac — La vie est d’hommage.

Je l’ai trimbalé tout au long de ma longue virée jusqu’au Sud-Ouest, en filant sur les autoroutes et les routes de campagne de la Vallée de l’Ohio, en suivant le parcours de la légendaire Piste de Santa Fe et, enfin, en retournant vers l’est jusqu’à domicile.

De retour chez-moi, en poursuivant la lecture de ces textes qui me fascinent et me dérangent à la fois, je prolonge le voyage, dans tous les sens du terme, tout en relisant et en complétant mon journal de voyage.

Ces textes, qui dormaient dans les archives de Kerouac à la New York Public Library, ont été établis et présentés par le chercheur Jean-Christophe Cloutier. Ce dernier a épluché et étudié attentivement ces textes surprenants. Dans la préface au recueil, Avant Propos : Les travaux de Jean-Louis Kerouac, le chercheur nous révèle ce qu’il qualifie, avec raison, de véritable trésor.

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… des légions aussi paperassières qu’une troupe moderne !

Des bataillons armés
… des armées de plumes au service des empires … On se servait de plumes métalliques, un produit de la Révolution industrielle du 19è siècle, dans toutes les grandes administrations, tant publiques que privées, jusqu’à la fin des années 40 au siècle dernier.

Le système technique et économique qui soutenait la production et la diffusion de l’écrit était déjà très élaboré à l’époque de l’Empire romain.

Un millénaire après le déclin de cet Empire, ces processus changent radicalement suite à l’avènement de l’imprimerie. Néanmoins, ses fondements subsistent : la plume d’oiseau demeure le pilier de l’écrit en Occident. Puis, l’évolution des systèmes techniques s’accélère à partir de la révolution industrielle ; celle-ci permet la constitution de grandes entreprises de presse et d’édition depuis deux derniers siècles.

À nouveau, depuis guère plus d’un quart de siècle, l’écrit est en train de muter. Une nouvelle révolution technologique suscite une autre transformation, aussi importante que celle qui a découlé du développement de l’alphabet, puis de celle de l’imprimerie.

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… il parle beaucoup !

Les lettres parlent

Il y a quelques jours, ma petite fille de quatre ans feuilletait, en compagnie de sa grand-mère, un livre sur le yoga destiné aux enfants. Bien entendu, ce livre contient beaucoup d’images ; mais il est toutefois précédé de quelques dizaines de pages d’introduction dépourvues d’images. Elles tournent ensemble les pages rapidement pour en arriver au sujet, c’est-à-dire, à la section illustrée. Ce faisant, la petite s’exclame : « Il parle beaucoup le livre. »

Ma petite fille ne sait pas encore lire, mais elle comprend déjà que ces lignes de signes « parlent ». Il faut dire que ses parents et ses grands-parents lisent des livres en sa compagnie depuis les premiers mois de sa vie. Un livre est, pour elle, l’équivalent d’un jouet. Elle est membre de la bibliothèque municipale, qu’elle fréquente régulièrement avec ses parents. Quand le temps viendra, elle voudra apprendre à lire et à écrire.

Apprendre à lire
Apprendre à lire commence à la maison, avec les amies…

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Une visite au Musée Champollion des écritures du monde

Transcriptions d’extraits de mon journal personnel sur l’écriture

Le 18 octobre 2010

Il y a un mois, j’ai eu le bonheur de visiter le Musée Champollion des écritures du monde à Figeac ( Lot, France ).

Malheureusement, je n’ai pas pris de notes sur cette visite le jour même ou au cours des jours qui ont suivi. Je dois recourir à mes souvenirs… Heureusement toutefois, j’ai pris quelques photographies à titre d’aide-mémoire dans certains cas.

J’ai été ravi de cette visite… impressionné par la qualité des expositions et de leur présentation des pièces qu’on peut y admirer.

D’entrée de jeu, dans la première salle d’exposition, on situe le visiteur : nous nous trouvons dans la maison natale de Champollion. On y évoque la vie et l’œuvre de ce savant qui a réussi à déchiffrer les hiéroglyphes, à les faire parler à nouveau après un silence de plusieurs siècles et qui, ce faisant, a créé et permis le développement de l’Égyptologie. Presque tout ce qu’on connaît de cette ancienne civilisation découle des lectures des écritures égyptiennes, qui ont dirigé et guidé les archéologues et les chercheurs depuis deux siècles.

Première d’une longue série de surprises, et l’une des plus émouvantes de cette journée : deux pages d’un des cahiers de notes de Champollion sur son étude comparative des écritures gravées dans la Pierre de Rosette. J’ai été ému en contemplant le manuscrit original, écrit de la main propre de Champollion.

Cahier de notes de recherches de Champollion

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Journal de mes réflexions sur l’écriture — Apprendre à écrire

Apprendre à écrire est un processus long et complexe, un des plus difficiles qui soit.. Quel que soit l’instrument que l’enfant apprend à utiliser, un crayon ou un clavier, cela n’a rien d’intuitif. On a tendance à penser que c’est un exercice intellectuel. Dans un premier temps, c’est d’abord un exercice physique.

On apprend à écrire comme on apprend à pratiquer une discipline artistique ou sportive. Dans tous les cas, que ce soit pour le piano, le tennis ou l’écriture, le processus d’apprentissage exige de la patience et de la détermination.

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Journal de mes réflexions sur l’écriture — extraits, automne 2008

Depuis sept ans, je poursuis un cheminement personnel de réflexion sur les dimensions matérielles de la pratique de l’écriture. Depuis le début, je tiens un journal manuscrit sur ce cheminement : notes de lectures, récits, observations, réflexions…

Je suis en train de relire ce journal dans le cadre de la préparation d’une série de conférences que je prononcerai dans quelques semaines au Collège Maisonneuve : qu’est-ce que l’histoire de l’évolution de l’écriture depuis 5 000 ans peut nous apprendre sur la transformation de l’écriture suscitée depuis l’avènement de la télématique ( numérisation ) il y a un peu plus d’un quart de siècle ?

Je vous livre ici des transcriptions de quelques extraits de mon journal.

La plume de mon père
La plume de mon père

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Renouveler la pédagogie

Une carrière d'écriture, Marcel Trudel, Marcel Trudel (1917 - 2011), Mythes et réalités dans l'histoire du Québec, tome 3, 2006 Éditions Hurtubise HMH, Montréal
Une carrière d’écriture : de l’ardoise à l’ordinateur, Marcel Trudel : le livre, une écriture appliquée par un crayon d’ardoise sur une tablette d’ardoise, les crayons d’ardoise, un crayon à mine, deux crayons mécaniques à la mine, un porte-plume muni d’une plume métallique, et un stylo-plume, ou plume-à-réservoir ( plume Waterman Crusader, 1947 – début 1950 ). Cliquez sur la photo pour lire des extraits du texte et examiner les éléments.

Pour les auteurs du manifeste, «l’école occidentale, par son refus obstiné d’évoluer avec elle, n’est plus le reflet de la société qui lui a donné naissance». Une critique forte qui s’accompagne d’une réalité que l’école ne peut certainement plus ignorer : «Selon le Département du Travail des États-Unis, peut-on lire, 65 % des enfants actuellement sur nos bancs d’école une fois diplômés, pratiqueront des métiers qui n’ont pas encore été inventés au moment d’écrire ces lignes». Là-dedans, il va sans doute y avoir un emploi qui pourrait bien ressembler à quelque chose comme un enseignant.

Mais pour en arriver là, «l’école contemporaine se doit de développer des adultes qui se démarqueront par leur degré d’ouverture à la nouveauté, leur aptitude à gérer le changement et à s’y adapter ainsi que par leur capacité à tirer profit de l’incertitude que tout cela génère», poursuivent les auteurs du manifeste. Incertitude qui pour le moment dans certains milieux semble paralyser plus qu’elle ne met en mouvement.

Fabien Deglise, Les mutations tranquilles, Le Devoir, 1 juin 2015

Dans sa chronique du 1er juin, Fabien Deglise rend compte d’un Manifeste pour une pédagogie renouvelée, active et contemporaine, qui a été publié, sur le Web bien entendu, par un groupe d’enseignants et de pédagogues qui préconisent un renouvellement de la pédagogie afin de l’adapter aux nouvelles réalités du monde moderne.

Convenons, pour les fins de discussion, qu’une telle démarche soit nécessaire. Toutefois, connaissons-nous suffisamment la nature des mutations que nous sommes en train d’éprouver, tel que nous pourrions répondre adéquatement aux défis qu’elles soulèvent, pour inventer une nouvelle pédagogie ?

Je lis cette chronique et je ne peux m’empêcher de m’interroger. Depuis plus de deux siècles, soit depuis le début de la révolution industrielle, chaque génération apprend à s’adapter aux nouveaux systèmes technologiques qui surgissent et se succèdent les uns après les autres : machine à vapeur, électricité, électronique, …

Ma génération, comme les précédentes, a évolué dans un contexte où les métiers et les professions, ainsi que l’exercice de celles-ci, ont changé de plus en plus, à un rythme frénétique, d’une décennie à l’autre.

Il y a un siècle, on a troqué les chevaux pour les automobiles, les camions et les tracteurs. Les forgerons ont dû se convertir.

Un demi-siècle plus tard, la télévision faisait son entrée dans les foyers : j’avais quatre ans quand on lui a fait une place dans le salon chez-moi. Dans le sillage de la fascination qu’elle exerce sur nos vies et de sa pénétration dans la société, on n’a pas tardé pour soutenir qu’il fallait renouveler la pédagogie, en soutenant qu’il fallait introduire la radio, puis la télévision, dans les classes ; on soulignait que l’enseignant devait désormais faire concurrence à la télévision dans l’exercice de sa profession.

Bateau à vapeur, radio, avion : ce ne sont là que des objets, des outils, des instruments, des artefacts. Le développement de ces objets découlent d’une évolution de découvertes scientifiques… de l’évolution, aussi, des idées, de théories, d’innovations les plans social et politique aussi, tel que le développement de sociétés plus égalitaires, et démocratiques.

Qu’y a-t-il de neuf, en réalité ?

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L’écriture est un acte physique

... une pensée rendue visible
… une parole ou une pensée rendue visible

Il y a cinq siècles, un abbé bénédictin, Johannes Trithemius, a rédigé un traité, De Laude Scriptorium ( L’Apologie des scribes ), où il s’évertuait à justifier pourquoi il fallait continuer à fabriquer des livres, en les copiant à la main, un par un, comme on le faisait dans les monastères depuis plus d’un millénaire. Les moines de sa congrégation résistaient à l’accomplissement de cette obligation de nature religieuse. Ils soutenaient que ce travail était devenu superflu, sinon insensé, depuis l’avènement de l’imprimerie un demi-siècle plus tôt.

Il est vrai que cette innovation était venue remettre en question le régime de vie des Bénédictins ; la règle de Saint-Benoît dicte aux moines de pratiquer un travail manuel quelques heures par jour. Trithemius le souligne ( traduction libre de ma part ) :

De tous les travaux manuels, rien n’est aussi en accord avec le statut des moines que de copier l’écriture sainte avec zèle.

L’exhortation d’un prêcheur est perdue avec le passage du temps ; le message du scribe demeure pendant des années.

L’écriture est un travail manuel

Encore aujourd’hui, alors qu’on privilégie l’écriture au clavier et qu’on délaisse l’écriture au crayon, au stylo ou à la plume, on persiste à qualifier de « manuelle » l’écriture cursive par opposition à l’écriture sur clavier, comme si les doigts ne faisaient pas partie de la main. Quel que soit l’instrument dont on se sert, l’écriture demeure toujours une activité physique, un geste, un geste physique.

On comprend que cet abbé aimait écrire. Celui qui avait peu de tolérance pour les moines qui succombaient aux tentations induites par l’oisiveté, s’employait à trouver des arguments pour justifier son propre plaisir, au nom du service de son dieu :

… mon être entier est plein de ce désir et de ce plaisir d’écrire ( … in solo viget pectore desiderium et amor scriptoris. )

Que ce soit pénible ou plaisant, une corvée ou une jouissance, l’écriture est un travail physique. C’est ma main qui dirige cette plume qui trace son sillage d’encre sur une feuille de papier. Ce sont mes doigts qui dansent sur mon clavier.

Tous les scribes, écrivains ou commis, le savent : l’écriture est une parole ou une pensée rendue visible.

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Je suis scribe…

Je suis scribe, fils d’un scribe.

Rien ne me prédestinait à cet état professionnel.

Mon père, certes, a été « scribe », c’est-à-dire, commis, fonctionnaire au service de l’état — j’ai hérité de l’ensemble de stylo-plume et de crayon mécanique qu’on lui avait remis, en témoignage de reconnaissance, au moment où il a quitté une des unités où il a travaillé.

Mes grands-pères toutefois, ainsi que tous mes ancêtres avant eux, tant du côté paternel que maternel, ont été des cultivateurs.

Je ne sais pas d’où me vient cette passion de lire et d’écrire.

Je me souviens qu’enfant, avant même qu’on m’inscrive au jardin d’enfance, allongé sur le ventre à terre au centre du salon, je m’appliquais à tenter de percer les secrets de ces longues colonnes de signes sur le journal. Je voulais apprendre à lire.

À l’école, j’ai aimé manier le porte-plume qu’on trempait dans l’encrier, tracer de longues gammes de lettres sur des lignes dans un cahier d’écolier. De grandes, de grosses lettres… aussi belles et parfaites que le bras et la main d’un enfant pouvaient le faire. Bien entendu, je me tachais les mains d’encre et je tachais parfois, souvent, la page blanche du cahier de pratique … Il fallait bien casser les œufs pour faire une omelette, n’est-ce pas?

Un demi-siècle plus tard, après avoir entretemps appris à maîtriser l’écriture numérisée, j’ai renoué avec ce plaisir d’écrire à la main. J’ai commencé à consacrer pl us d’attention à mes outils d’écriture, aux instruments que j’ai utilisés pour écrire – porte-plume, stylo-plume, stylobille, crayon, crayon mécanique, crayon-feutre, craie, machine-à-écrire…

Peu avant de prendre ma retraite, j’ai fait restaurer ma vieille plume, celle qui m’avait si bien servi pour rédiger mes travaux au propre tout au long de mes études secondaires, collégiales et universitaires, et que j’avais négligée depuis des années.

Aussi, de fil en aiguille, porté par la curiosité, je me suis intéressé à l’histoire de ces instruments. Je me suis mis à explorer un territoire dont je reconnaissais les coordonnées, mais dont je me suis rendu compte que je ne le connaissais pas. J’ai découvert un nouvel univers, celui de la merveilleuse histoire de l’outil des civilisations, l’écriture, une des plus belles inventions de l’humanité.

Souvent, tout au long de ce voyage dans les siècles et les millénaires, je suspendais mes lectures, pour reculer un peu, me repérer, réfléchir, et parfois, je me laissais aller, à imaginer le quotidien de tous ces scribes qui m’ont précédé : le gestionnaire de projet que j’avais été admirait les comptables sumériens qui inscrivaient sur des tablettes d’argile les inventaires et les comptes des premiers empires ; l’élève curieux que j’avais été épiait les enfants, qu’on formait à devenir les scribes des pharaons, en train d’apprendre à dessiner des hiéroglyphes sur du papyrus ; j’écoutais Suétone raconter comment Néron composait ses poèmes avec un stylet sur une tablette de cire ; je priais avec les moines médiévaux, pliés sur leur écritoire à copier la parole de Dieu, sur du parchemin, sous la dictée d’un lecteur dans un scriptorium froid et humide ; j’accompagnais les grands explorateurs français Samuel de Champlain, Louis Jolliet et Jacques Marquette, en canot sur les rivières et les lacs d’un Nouveau monde, notant leurs observations et dessinant des cartes sur du papier, plumes d’oiseaux en main ; je me penchais au-dessus de l’épaule du jeune Gustave Flaubert, qui venait de terminer son baccalauréat, et qui, à la bibliothèque municipale de Bordeaux, manipule l’exemplaire des Essais annoté d’ajouts et de correction de la main même de Montaigne.

Tous ces scribes, copistes, notaires, secrétaires, chroniqueurs, rédacteurs, journalistes, écrivains, ont tissé, chacun à leur façon, la grande courtepointe de nos histoires.

( texte remanié et amélioré, le 14 décembre 2017 )

 

Évanescences

J’écris pour naître, encore, toujours. Par l’attention neuve, m’absenter de moi, de ce fouillis de tentatives d’être dans un absolu qui vous émiette et vous éparpille comme le vent, ce matin, fait avec les vieilles feuilles, les vieilles tiges de l’an passé.

… J’écris pour me perdre et me retrouver, dans l’effrayante surabondance du matin, ici parmi les vieux deuils et les ardeurs nouvelles…

Robert Lalonde, Le monde sur le flanc de la truite

Pourquoi écrire si ce n’est que pour se retrouver ? Et comment se retrouver, si ce n’est qu’en retraçant nos pas jusqu’à l’origine, suivre le fil du temps qu’on a déroulé dans le labyrinthe de toutes les saisons de notre vie, pour renaître encore une fois. Qu’importe, qu’on enroule ou qu’on déroule ce fil en répétant toujours et encore une fois le même parcours !

À l’automne de ma vie, je comprends mieux aujourd’hui, plus que jamais auparavant, que l’éternité est présente en moi à chaque instant ; qu’elle agit comme un levier, un point de bascule entre l’instant qui passe et celui qui s’apprête à venir. Et si j’écris, tout comme j’utilise ma caméra pour « prendre » des photos, n’est-ce pas pour vouloir saisir ne serait-ce qu’un moment d’éternité, ce présent qui nous échappe entre les doigts, comme autant de grains de sable qui « s’éparpillent comme le vent ».

Le temps s’écoule dans ma cour. Les feuilles de tremble virevoltent dans le vent. Alors qu’un merle se pose sur une branche, la chatte orange du voisin chemine interminablement le long de la clôture, indifférente à l’angoisse stridente de la sirène de l’ambulance qui file au loin sur le boulevard. Chacun de ces instants d’éternité, une éternité qui s’allonge depuis le début du temps, chacun de ces moments fixés pour l’éternité me renvoient une image de l’évanescence du temps. L’éternité n’engendre pas l’immortalité.

Depuis des jours, je feuillette les pages de mes vieux cahiers, de mes carnets, de mes journaux, où j’ai consigné mes réflexions, mes notes de recherches, de lectures, de voyages, mes observations sur l’actualité, mes ébauches d’articles.  Il y a beaucoup de présomption dans cette quête de vouloir capturer un présent qui se dissipe aussi rapidement que se tisse son devenir. Voire, à l’échelle de l’univers, nos vies ne sont-elles pas que des moments éphémères ?

Dans La Mort de Philae, Pierre Loti se livre à une longue mélopée sur le passage du temps. Il décrit cette quête obsessive de l’Égypte ancienne de vaincre la mort : toutes ces momies ensevelies sous la pierre immuable dans les sables du désert. Il souligne l’ironie de cette quête. Les anciens pharaons, dont on a déterré les dépouilles pour les exposer dans des musées, ceux-là même qui imposaient autrefois le respect, qui effrayaient les vivants, sont aujourd’hui devenus des sujets d’exposition, des appâts touristiques.

« Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles », Paul Valéry
… Quand sur l’abîme un soleil se repose, Ouvrages purs d’une éternelle cause, Le Temps scintille et le Songe est savoir… Paul Valéry, Le cimetière marin

« Dans l’air du temps »

Printemps
… se bercer dans les apparences de la singularité …

Il est paradoxal qu’en cette ère où on valorise tant l’individualisme, la distinction, la différence, la liberté individuelle, on insiste tout autant à se maintenir dans le courant. Ne serait-ce pas qu’on se berce, en réalité, dans une illusion, dans une apparence de la singularité ?

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Le vent

Autoportrait - Juillet 2014 Jardin botanique Montréal
… un endroit où travailler, isolé, à l’ombre, sous un chêne …

Il y a quelques jours, j’ai participé au premier d’une série d’ateliers d’écriture animés par Diane Lambin et offerts par la Société des amis du Jardin botanique de Montréal. La température était clémente et le lieu enchanteur.

Dès le début de l’atelier, l’animatrice nous a proposé de choisir trois mots, des mots qui nous viennent « en tête », inspirés par le lieu et le moment. Suite à un exercice collectif de partage sur nos choix de mots, nous nous sommes dispersés tout autour pendant une heure, afin de rédiger quelques lignes sur nos choix de mots respectifs.

J’ai choisi un endroit où travailler, isolé, à l’ombre, sous un chêne, entouré de plates-bandes de pivoines. Je me suis concentré principalement sur un des trois mots que j’ai choisis : le vent. Pour la première fois, depuis très longtemps, je me suis efforcé de voir ce que je rédige. Je me suis appliqué à regarder le vent, à l’entendre chuchoter dans les feuilles des arbres et à le sentir sur ma peau certes, mais surtout, à le voir agir. À un moment donné, j’en suis venu à voir l’ombre des feuilles virevolter sur les pages de mon journal.

= — =

J’ai l’impression d’être en train de « dessiner », de tracer des ébauches de croquis littéraires. Il y a longtemps que je n’avais pas fait ça ; tellement longtemps, que je ne m’en souviens pas.

Depuis plusieurs mois, j’apprends à dessiner. À me plier régulièrement à cette discipline, je me rends compte que j’affine mon regard. Il faut beaucoup de concentration pour pratiquer le dessin ; il faut résister aux distractions… l’envie, entre autres, de saisir ma caméra… l’envie aussi de laisser dériver la pensée, la laisser s’échapper dans un sentier de travers…

= — =

Lorsque j’écris « … un nuage s’effiloche sur un ciel bleu … » dans mon carnet, le souvenir d’une lointaine conversation surgit…

Il y a un peu plus d’une quarantaine d’années, j’ai sautillé pendant plusieurs mois d’une ile à l’autre sur la mer Égée ; avant de partir, une connaissance m’avait suggéré, si cela me convenait et que si j’en avais l’occasion, d’aller saluer un de ses amis, qui s’était installé en Grèce depuis quelques années.

Par un beau matin de décembre, je débarque sur l’ile de Kalymnos. Je m’informe dans une taverne devant les quais du port s’ils connaissent un vieux poète, un Américain, qui s’appelle Robert Lax, et qui habiterait sur l’ile. Quelques heures plus tard, celui-ci se présente devant moi. Nous nous introduisons, la conversation s’engage sans plus de cérémonie. Sans que je l’aie recherché, à partir de cette première conversation, il m’accorde généreusement le privilège de passer de nombreuses heures en sa compagnie, pendant plusieurs jours, à jaser de choses et d’autres. Il me raconte des anecdotes sur les gens qu’il a fréquentés… il m’interroge… il répond à mes questions…

Au cours d’une de nos conversations, je lui fait part de ma difficulté à décrire la couleur du ciel méditerranéen, ce ciel grec si différent du ciel québécois que j’avais quitté quelques mois plus tôt. Il réfléchit quelques instants… de longues secondes s’écoulent lentement… enfin, il me dit : « Si tu écrivais tout simplement que « le ciel est bleu », ton lecteur ne comprendrait-il pas que ce « bleu » du ciel que tu perçois ici est différent de celui de ton pays ? »

J’ai compris que la longueur d’onde spécifique de la couleur que je voulais décrire était moins importante que l’impression que cette couleur me faisait. Et que la simplicité de l’écriture était ce qu’il y avait de plus approprié pour exprimer ce que je voulais communiquer.

= — =

Quelques heures plus tard, de retour chez-moi en fin d’après-midi, j’ai repris les ébauches que j’avais rédigées au cours de l’atelier. J’ai les ai retravaillées, recomposées. Depuis vendredi, ce texte me travaille… Ce matin, je me suis remis au travail : ce texte évolue. Il faudra bien que je le laisse aller à un moment donné…


Le vent

À l’ombre d’un chêne sur le bord du ruisseau fleuri, je dépose ma caméra. 

Mon regard se met à flâner…

J’observe les pivoines qui se balancent…

Je trace un courant de pollen qui dérive au-dessus d’une vague de roseaux.

J’aperçois des lavis d’encre grise se ballotter sur les pages de mon carnet.

Je contemple les nuages s’effilocher sur un ciel bleu …

Un frémissement scintille au loin sur l’étang, glisse soufflant sous ma chemise caresser ma peau :

à l’ombre du chêne sur le bord du ruisseau fleuri, j’écoute le vent ressusciter de vieux souvenirs.

L’art d’exprimer une voix intérieure…

La lettre évolue avec le temps…

Conservez-vous des lettres personnelles, que des membres de votre famille, des amis, amants ou amantes, ou même des ex-collègues vous ont envoyées, déjà, il y a plus ou moins longtemps ? Depuis combien de temps les conservez-vous ? Les conservez-vous dans un endroit secret, dans une boîte de carton ou un coffret, au fond d’un tiroir ?

Ce sont des souvenirs d’autant plus précieux que ces lettres ont été rédigées de la main propre de ceux qui les ont envoyées. Vous les relisez parfois ? Comment se comparent-elles, ces lettres que vous avez conservées, aux courriels que vous avez sauvegardés dans votre boîte électronique ?

Si vous conservez vos courriels, quelque part dans un disque rigide, les avez-vous imprimés ? Un courriel est-il équivalent à une lettre ? Ou s’agit-il de deux modes différents d’un même genre d’écrit ? Aujourd’hui, la fréquence, et la facilité avec laquelle on peut envoyer un bref message, un tweet, ou un courriel un peu plus long, ne réduisent-elles pas la valeur de la communication ?

D’autres questions surgissent : l’avènement de nouveaux modes de production et de transmission de la communication écrite entre personnes est-il en train de modifier l’art de la correspondance ? Et si, à votre avis, tel est le cas, qu’y gagnons-nous et qu’y perdons-nous au change ?

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