R.I.P. Michèle Lalonde – Speak White — L’envers des jours

Michèle Lalonde a exprimé si bien ce qui nous rognait le cœur lorsque elle a déclamé son poème Speak White en public, il y a un demi-siècle.

Je l’ai écoutée, encore une fois, aujourd’hui…

Ce texte est aussi important pour nous, que l’a été d’autres discours, d’autres allocutions qui ont fait vibrer d’autres peuples, d’autres communautés, dans un passé plus ou moins lontain… I have a dream, de Martin Luther King, ou Howl, de Allen Ginsberg…

C’est un texte qui assomme, qui nous coupe toujours le souffle, suscitant des souvenirs que ceux qui se définissent aujourd’hui comme étant éveillés ne comprendraient pas, obnubilés dans les brouillards de leur honte de soi. On nous fait toujours comprendre que notre langue n’a pas le même statut que la langue de l’Empire, dont nous sommes toujours les sujets.

Je partage ce pincement de cœur que Francine Hamelin décrit si bien… Comme elle le soutient, plus ça change, plus c’est pareil.


C’est avec un pincement au coeur que j’ai appris le décès de Michèle Lalonde, grande écrivaine québécoise qui a toujours défendu notre langue avec force et conviction. Speak White («parlez blanc») est d’abord et avant tout une injonction raciste empruntée aux esclavagistes du sud des USA, lancée par les Canadiens anglophones à celles et ceux […]

R.I.P. Michèle Lalonde – Speak White — L’envers des jours

Cheminant vers les Îles… le Village historique acadien

 

Le 25 août 2017

Ce matin-là, avant même de sortir du lit, ressentant la chaleur dans le motorisé, puis jetant un coup d’œil à l’extérieur, on devinait que l’air était déjà clément.

Avant de décamper, je flâne autour, je parle avec d’autres voyageurs qui s’apprêtent, eux aussi, à partir. Je prends le temps d’arpenter le camping ( Le Héron bleu à Charlo ), de passer devant l’accueil, de m’entretenir avec les propriétaires du camping de choses et d’autres… du temps qu’il fait, d’où nous venons et où nous nous dirigeons, et du chemin à prendre pour se rendre vers Caraquet et Shippagan ; où mène la route qui passe entre le camping et la Baie des Chaleurs qu’on peut contempler devant nous ? Il y a une route sur ce qui semble être une digue devant… c’est l’ancienne route, la 134, qui longe la côte jusqu’à Caraquet, en passant par Bathurst.

C’est celle que nous avions prise il y a quarante ans quand nous étions venu visiter les environs la première fois. C’est celle que nous prenons, encore une fois, au lieu de la nouvelle route, la 11, plus rapide, qui passe par l’intérieur des terres jusqu’à Miramichi, Shediac, vers le Pont de la Confédération qui nous mène vers le traversier jusqu’aux Îles-de-la-Madeleine.

Chemin faisant, avant d’aller s’installer à Shippagan pour quelques jours, nous retournons au Village Acadien, que nous avions visité lors des cérémonies de son inauguration, en 1976.

Nous y arrivons à la fin de la matinée.

Le Centre d’accueil est plus récent. On reconnait la plupart des édifices du Village original, leur aspect, leur disposition. On l’a agrandi, amélioré. On lui a ajouté une nouvelle section, qui reproduit une époque plus récente. L’atmosphère, l’Acadie chaleureuse est la même. Les interprètes qui animent les lieux évoquent la fin de la saison qui approche. On sent l’automne dans l’air.

Nous choisissons de dîner à la Table des ancêtres, à la Maison Dugas, avant d’entreprendre notre visite du Village.

Un point de vue sur le Village acadien.

 

Après avoir très bien mangé autour d’une table que nous avons partagée en bonne compagnie, des gens venus du Québec comme nous, mais dont certains ont des racines locales, je me dirige vers l’imprimerie ( 1880 ), juste en face, de l’autre côté de la route.

Lors de ma première visite, le journaliste que j’étais à cette époque y avait passé beaucoup de temps pour jaser métier avec l’interprète qui incarnait le rédacteur du Moniteur acadien, le journal de l’Acadie d’antan. J’en étais sorti avec une copie du journal fraîchement imprimée, sur place, avec une vieille presse, à la manière de l’ancien temps. Je l’ai conservée dans mes tiroirs. Il faudrait que je la récupère un de ces jours.

Le Moniteur Acadien, face à la Maison Dugas, où on trouvera une très bonne table… une cuisine à l’ancienne.

 

J’avais aussi conservé un bon souvenir de la Forge Léger ( 1874 ). Je raconte au forgeron que j’avais rapporté un clou, fabriqué dans cette même forge,  lors de notre première visite. Toutefois, j’avais négligé d’identifier l’origine de chacun des clous des nombreux villages historiques que j’ai visités au cours de mes nombreux voyages au cours des ans : parmi d’autres, Williamsburg, en Virginie, Upper Canada Village tout près de Cornwall, en Ontario, la reconstitution du premier établissement européen en Ontario, Sainte-Marie-chez-Hurons, à Penetanguishene… À la fin de notre conversation, le forgeron d’aujourd’hui me donne un autre clou, martelé sur les lieux mêmes, à la manière d’autrefois.

La vieille forge d’autrefois…

 

Je poursuis ma visite. Je constate que, comme dans le Village d’Antan de Drummondville au Québec, il y a des enfants dans le Village, habillés comme les enfants d’antan, qui ajoutent une note vivante, d’authenticité, à la visite de ces reconstitutions historiques. La petite fille tourne autour de sa mère, l’interprète qui travaille dans la Maison Thériault ( 1890 ).

La Maison Thériault se distingue, entre autres, en raison de son puits intérieur, rare à l’époque.

 

Une reconstition d’un pont couvert relie la partie originale du Village Acadien à la nouvelle section, qui rappelle un temps moins ancien, la première moitié du siècle dernier.

Cliquez sur la photo pour l’agrandir, et notez l’inscription au dessus de l’entrée du pont : il est interdit, sous peine d’une amende de $ 20, de conduire plus vite que le rythme de la marche humaine.

Le tonnelier avait beaucoup d’ouvrage il y a cent ans. Il fallait beaucoup de tonneaux pour acheminer des céréales, des salaisons, des pommes de terre, vers les marchés des villes distantes.

La tonnellerie ( 1937 )

 

La station Irving ( 1936 )

 

L’interprète de la Maison du Sénateur Onésime Turgeon était fière de son poêle et a été très émue lorsque je lui ai dit qu’elle m’a rappelé le souvenir de ma grand-mère.

 

C’est dans la cuisine d’été qu’on a retrouvé l’interprète de la maison de la Ferme Chiasson, en train de piquer une courtepointe. C’est la deuxième personne à me rappeler le souvenir de ma grande-mère paternelle, qui piquait des courtepointes. J’ai d’ailleurs conservé une courtepointe destinée à un enfant, qui a réconforté non seulement ma fille, mais aussi ma petite-fille.

 

C’est un voyage agréable que de se promener dans le passé au rythme lent de la marche, en jasant avec les interprètes et parfois même avec d’autres visiteurs, le temps d’une après-midi tranquille.

 

 

je chante selon cette voix

 

 

je chante selon cette voix qui me semble si près
il me semble qu’elle se cadence tout aussi près du chant

je chante selon cette voix qui chuchote à l’oreille
elle me semble quand je l’entends tout aussi près du chant

je chante selon cette voix qui bourdonne en silence
elle me semble à l’écran des couleurs tout aussi près du chant

je danse selon cette femme qui me semble si près
elle me semble aux parfums de ses bleus tout près du chant

je contemple selon cette voix qui m’envoûte à l’amour
elle me semble à la caresse des peaux tout près du chant

je danse selon cette guise qui me courbe les reins
elle me semble aux accents de ses aises tout près du chant

je chante selon cet air qui frissonne des lèvres
elle me semble quand je l’entends tout près du chant

je chante selon ce souffle qui me berce les paupières
il me semble que je m’endors tout aussi près du chant

je rêve selon cette voix qui me semble si loin

juillet 1973

 

fin de tempête

Ce matin, je ne m’attendais pas à ce que le camelot livre le journal. Un coup d’œil par la fenêtre m’indique qu’il a été fidèle, malgré la tempête qui a barouetté le pays depuis la veille.

Comme tous les matins, avant d’amorcer la préparation du déjeuner, j’ouvre donc la porte pour prendre le journal…

On ne voit qu’une partie des voitures qui circulent sur le boulevard, à quatre voies, devant chez-moi. D’ailleurs, conformément aux recommandations de toutes les autorités publiques, il n’y a pas beaucoup de circulation ce matin. La nature force la ville à ralentir… il n’y a pas d’école et, pour ceux qui le peuvent, journée de télétravail aujourd’hui.

Il y a quelques minutes, je suis allé dégager la porte de secours du bâtiment, qui donne sur la terrasse derrière chez-moi. La neige est légère, relativement sèche, quoique paquetée par le vent par endroit.

De vieux souvenirs reviennent à la surface …

***

Ce qui nous importune c’est l’instabilité du climat. Il y a tout juste trois semaines, nous avions reçu une belle chute de neige, d’un peu plus de 25 cm. Tout avait fondu dans les jours qui ont suivi. Nous n’avions même pas eu le temps d’en profiter.

Cet hiver a été frustrant sur ce plan. Un peu de neige mais beaucoup plus de pluie que de neige en janvier ; des périodes fréquentes et longues de redoux qui font fondre la neige, ponctuées par de courtes périodes de froid intense… pas moyen de profiter véritablement des avantages de la saison froide.

Les tempêtes de neige en mars ne sont pas rares. Ce qui est rare, c’est qu’elles soient aussi fortes que celle que nous avons connue depuis hier, pour ce temps-ci de l’année.

***

Je suis de cette génération qui se souvient d’une tempête, au début de mars 1971, qui nous avait confinés à l’intérieur pendant deux jours : nous nous étions retrouvés sous une couverture supplémentaire de cinquante cm de neige à la fin de l’hiver. Pour ceux qui, comme moi à l’époque, n’avaient pas d’obligations ou de contraintes professionnelles, qui ne possédaient pas de voiture et qui demeuraient à distance de marche de tout, une telle occurrence nous offrait tout simplement une pause, un arrêt dans un rythme de vie encore beaucoup plus lent que celui d’aujourd’hui, mais une pause tout de même bienvenue…

Après deux jours à l’intérieur, j’étais sorti, me rendre au petit restaurant à quelques pas de chez-moi, tenu par trois « tantes » d’un âge déjà respectable. La tempête avait transformé mon quartier, la Côte de sable, en parc silencieux, fraîchement revêtu de blanc…

l’après tempête est un parc tout blanc
trois vieilles enneigées y ont tout le temps

on entre chez les trois tantes
on y prend le temps de parler du temps

et avec le temps qui passe, deux œufs et un café
on savoure au rythme de la gentillesse ordinaire

Road Trip : Le Nebraska, de l’ouest vers l’est

Le 30 juin, nous entamons la dernière partie de notre virée à travers l’Amérique. Au cours d’une dizaine de jours, nous traversons quatre états américains et une province canadienne — le Nebraska, l’Iowa, l’Illinois, le Michigan et l’Ontario –, nous franchissons trois fuseaux-horaires — Mountain, Centre, et Est — et, sans nous en rendre compte, nous effectuons une longue descente progressive de plus de 5 500 mètres sur 3 000  kilomètres.

La route -I 80 au Wyoming 2
La I-80, peu avant de passer du Wyoming au Nebraska… toujours le relief plat des Grandes Plaines de l’Ouest américain… très peu d’arbres, mais on commence à observer des étendues de terres cultivées.

Nous embobinons derrière nous, à 75 miles à l’heure ( 120 km/h ) et plus parfois, le ruban de béton des autoroutes, tout en étudiant le paysage qui défile sur l’immense étendue des grandes surfaces planes du centre du continent.

Nous nous offrons deux pauses : un premier arrêt de deux jours, au cours de la fin de semaine du Fourth of July, la fête nationale américaine, à mi-chemin, à Omaha, sur le bord du Missouri, là où l’Ouest bascule dans l’Est de l’Amérique ; puis, après trois jours consécutifs sur la route, un deuxième arrêt, de deux jours, à Leamington, dans l’extrême sud de l’Ontario, pour une réunion de famille.

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Union Terminal – Cincinnati

Union Terminal, Cincinnati
Union Terminal, Cincinnati

Il a fallu une quarantaine d’années pour que les dirigeants d’une demi-douzaine de compagnies de chemins de fer s’entendent pour construire une gare unique pour les passagers qui débarquaient ou transitaient à Cincinnati.

Cincinnati était, au début du 20è siècle, un centre majeur du réseau interurbain de transport ferroviaire des passagers entre les régions du Nord-Est, du Mid-Ouest et du Sud des États-Unis. Cinq gares différentes accueillaient les passagers et un grand nombre d’entre eux devaient transférer d’une compagnie de chemin de fer à une autre, et se déplacer d’une gare à une autre, pour poursuivre leur voyage.

Finalement, on entame les travaux à la fin des années 20. La nouvelle gare, un bijou d’architecture de style Art Déco, est inaugurée en 1933.

Une des deux fresques qui ornent le grand hall d'entrée de la gare.
Une des deux fresques qui ornent le grand hall d’entrée de la gare.

Malheureusement, le transport de passagers par les trains commençait déjà à décliner à cette époque. Le déclenchement de la Deuxième grande guerre ralentit le déclin. Mais aussitôt la guerre terminée, le déclin se poursuivit tout au long des années 50 et 60. Enfin, au début des années 70, il ne restait plus que deux trains par jour. Il fallut trouver une autre vocation pour la gare.

Le gouvernement municipal prend les choses en main. Des maires et des échevins ont le souci de préserver leur patrimoine architectural, dont fait partie cet édifice exceptionnel. Après plusieurs échecs, deux décennies plus tard, l’édifice reprend vie : six organismes s’y installent, dont quatre musées, une salle de projection de cinéma Imax, et un club d’amateurs de chemins de fer ; de plus, Amtrak rétablit son service ferroviaire de passagers à Cincinnati.

Toutefois, après des années de négligence, l’édifice a subi l’usure du temps. Au cours des mois qui viennent, on entreprendra des travaux pour le préserver. On fermera des sections entières de l’édifice pendant qu’on procédera aux travaux : on retirera des pièces des musées, on protégera d’autres éléments architecturaux, telle que la salle où on vendait des glaces, que je n’ai pas eu la chance de visiter.

Cincinnati - Intérieur de la Union Terminal
Une vue de l’intérieur de la façade et du toit de la grande rotonde à l’entrée de la gare Union Terminal

Un coup d’œil suffit : on est séduit. La façade impose l’attention et nous invite à s’approcher. L’intérieur ne déçoit pas. On en perd le souffle…

Nous choisissons de visiter un des musées, le musée d’histoire de la ville, et de visionner un film sur le centenaire des parcs nationaux des États-Unis au cinéma Imax.

Plusieurs pièces du musée d’histoire ont été retirées en prévision des travaux. Mais on peut toujours parcourir l’essentiel des expositions permanentes les plus importantes. Dans l’une de ces expositions, une des imposantes mosaïques qui décoraient originalement le passage qui menait aux quais d’embarquement des trains ; on la retirera du musée dans quelques semaines.

Une des mosaïques qui décoraient le passage qui menaient aux quais d'embarquement des passagers dans la gare Union Terminal
Une des mosaïques qui décoraient le passage qui menaient aux quais d’embarquement des passagers dans la gare Union Terminal

Enfin, au moment où nous y sommes passés, nous avons eu le plaisir de parcourir une exposition spéciale temporaire sur les collections d’objets-souvenirs que des citoyens de la ville ont rapportés de leurs voyages à travers le monde et qui ont été remis au musée d’histoire. Certaines de ces pièces sont exceptionnelles.

Ces citoyens ont eu l’occasion d’établir des liens personnels avec les gens dans les pays qu’ils visitaient. Ils ont voyagé dans plusieurs pays à des époques où il était encore possible de collectionner ces pièces. Ils ont légué leurs collections d’objets au Musée d’histoire de la ville.

Le voyageur qui passe à Cincinnati doit insérer quelques heures dans son programme pour visiter cette merveille architecturale… ne serait-ce que pour en retenir le souvenir de l’avoir admirée et de pouvoir le raconter à ses amis à son retour chez-lui.

 

L’attente et l’arrivée de l’hiver

Lundi, 21 décembre, 2015 – Journée du solstice d’hiver

Début de l’hiver astronomique au Québec, tard en soirée, quelques minutes avant minuit… la journée la plus courte de l’année, le solstice d’hiver.

Contrairement à l’habitude, je n’y porte pas attention. Je ne me suis même pas renseigné sur la date et l’heure exacte de cet événement au cours des jours qui ont précédé.

Il n’y a aucune trace de l’hiver dans les parages. Depuis presque le début du mois, la température se maintient au-dessus du point de congélation. On bat des records de chaleur régulièrement.

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Jeudi, 24 décembre 2015 – La veille de Noël

Je marche d’un pas vif sur les trottoirs de la ville, au rythme monotone du passage des voitures. Les pneus ffrrroulent sur la chaussée mouillée, s’harmonisant au ruissellement des rigoles qui coulent vers les caniveaux.

Une pluie drue arrose la ville en ce matin de la veille de Noël. L’air, très humide, est extrêmement doux par rapport à la moyenne de ce temps-ci de l’année : 20 C au-dessus de la moyenne, un record… un record exceptionnel, pas loin d’une dizaine de degrés de plus que l’ancien record.

Culturellement, Noël et l’hiver sont associés à la neige au Québec. Ce n’est pas Noël ici, ni l’hiver, tant que la neige ne s’est pas déposée sur les toits, les trottoirs, les branches des arbres, les parcs… que la neige n’a pas couvert le pays en entier. Mon pays, c’est l’hiver, comme le clame si bien notre poète national, Vigneault, et tel que l’a si bien chanté Monique Leyrac :

Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver
Mon jardin ce n’est pas un jardin, c’est la plaine
Mon chemin ce n’est pas un chemin, c’est la neige
Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver

La publicité sur les sites Internet… les vitrines et les étals des magasins… les chansons qui hantent les corridors des centres d’achat… les émissions spéciales à la télévision… On n’y échappe pas ; tout focalise notre attention sur la saison des fêtes. Mais je demeure distrait : quelque chose nous manque… la neige…

On se résigne enfin à ne plus l’attendre, à s’en passer. Le réveillon commence dans quelques heures.

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Montréal, le 25 décembre 2015

Vendredi, 25 décembre 2015 – Noël

On parlera probablement longtemps de l’année du Noël sans neige à Montréal, comme on parle des événements climatiques exceptionnels qui ont marqué nos vies.

Ceux qui se se promènent aujourd’hui dans les parcs raconteront qu’ils s’étaient baladés lentement, savourant l’air, qui n’est pas aussi doux que la veille certes, mais qui demeure néanmoins confortablement au-dessus du point de congélation ; ils se souviendront que les joggeurs et les cyclistes avaient profité de l’extension exceptionnelle d’un automne qui n’en finissait plus pour faire un circuit supplémentaire autour du parc, que les écureuils, plus nombreux que d’habitude, s’énervaient et sautaient tout autour, ne s’écartant des sentiers que lorsque des promeneurs ou des chiens les dérangeaient en passant.

Si les augures ont raison, si le climat se réchauffe au cours des années à venir, on s’en souviendra comme de la toute la première circonstance de ce qui deviendra éventuellement peut-être la norme.

Souvenirs du printemps

Je ressasse, tout en me promenant, mes souvenirs des Noël passés.

Depuis deux ou trois décennies, les premières neiges qui restent au sol arrivent de plus en plus tardivement… d’abord à la fin de novembre, puis en décembre. Immanquablement toutefois, quelques jours avant le solstice, la neige s’amène ; qu’importe que la couverture soit mince, presque symbolique, voire qu’elle fonde quelques jours plus tard, l’important, c’est qu’elle décore le paysage de façon appropriée pour la fête de Noël.

Mes pas se maintiennent en mode de pilotage automatique sur les sentiers du parc alors que mes neurones cheminent dans les labyrinthes de la mémoire… : c’est la première fois depuis plus de quarante ans que je passe une journée de Noël sans aucune trace de neige.

Je me souviens de cette journée unique, où jeune adulte, je m’étais échoué sur l’ile de Patmos, en Grèce pour y passer la fête de Noël : je revois mentalement le paysage devant moi.. Tout était tranquille. Seuls les coqs persistaient à vouloir animer la vie des villages.

Au cours de mon exploration des environs ce matin-là, j’avais fait une pause pour m’asseoir sur un petit quai de béton. Me prélassant sous un soleil qui tardait à percer la brume, au fond d’une grande crique s’échappant entre deux collines dénudées, jusque sur la mer Égée, je m’étais déchaussé pour baigner mes pieds parmi les écrevisses, au son des clapotis de l’eau calme.

Puis, après le déjeuner, j’avais fait une longue marche solitaire sur les hauteurs au sud de l’ile : un paysage sec, rocailleux, quasi désertique, et la mer qui s’étend, bleue, à chaque tournant des sentiers, tout autour.

Le temps devenait de plus en plus frais, à mesure que le soleil s’abaissait à l’horizon. Je suis retourné à l’hôtel.

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Dimanche, le 27 décembre 2015 – Première neige

Amorce de l'hiver

Enfin ! une première neige saupoudre le paysage de Montréal ce matin : un mince tapis couvre la ville — quelques centimètres tout au plus, pas assez pour le ski, mais trop pour le vélo.

Je retourne encore une fois, d’abord au Parc Maisonneuve ( ci-haut ), et ensuite, maintenant que la neige est arrivée, au Jardin botanique ( ci-bas ).

Jardin japonais
L’étang du Jardin japonais n’est toujours pas complètement gelé

Retour au jardin alpin
Jardin alpin

De retour chez-moi, en attendant la tempête qu’on nous annonce pour le lendemain, je fouille dans mes archives photographiques.

Il y a trois ans, à la même date, les Montréalais s’étaient encabanés chez-eux pour laisser passer une tempête. J’avais allumé un feu dans le foyer, pour mieux climatiser le spectacle derrière chez-moi : des bourrasques de vent fouettaient les branches des arbres, soufflaient la neige parfois presque à l’horizontale, l’étalaient sur les rues, et sculptaient des arabesques autour des obstacles. La visibilité était très limitée. Vingt-quatre heures plus tard, une couverture épaisse de 45 centimètres de neige s’était déposée sur la ville.

Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver
Mon refrain ce n’est pas un refrain, c’est rafale
Ma maison ce n’est pas ma maison, c’est froidure
Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver

De mon grand pays solitaire
Je crie avant que de me taire
À tous les hommes de la terre
Ma maison c’est votre maison
Entre mes quatre murs de glace
Je mets mon temps et mon espace
À préparer le feu, la place
Pour les humains de l’horizon
Et les humains sont de ma race

27 décembre 2012Je me suis aussi souvenu d’une autre tempête, toujours entre Noël et le Jour de l’an. Je n’habitais pas Montréal à l’époque.Tout avait débuté le lendemain de Noël, en 1969.

Mais un ami m’avait prêté son appartement, face au Parc Lafontaine. Une amie était passée m’y rendre visite au tout début de la tempête. Isolés du reste du monde, nous avions perdu le temps, à contempler la neige virevolter, à parler, à écouter de la musique, à lire, à boire et manger, et à se gaver et s’ennivrer l’un de l’autre, pendant trois jours. Lorsque nous sommes sortis, à la fin de la tempête, le paysage était féérique ; il y a avait une soixantaine de centimètres de plus sur le sol.

Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’envers
D’un pays qui n’était ni pays ni patrie
Ma chanson ce n’est pas une chanson, c’est ma vie
C’est pour toi que je veux posséder mes hivers

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Mercredi, le 31 décembre, 2015

L’hiver est arrivé pour de bon. On nous annonce un temps polaire pour les jours qui viennent.

Les amateurs de ski sont heureux. Les enfants sortent leurs toboggans et leurs tapis de glisse et envahissent la moindre pente ; ils entreprennent de construire des châteaux et des forts de neige.

Il n’y a plus de joggeur, ni de cyclistes dans les parcs de la ville.

Parc Maisonneuve - Dernier jour de l'année en nb

Montréal l'hiver en nb
Montréal s’est vêtue d’un manteau de neige

Belle journée pour le ski
Belle journée pour le ski

L’automne à Montréal

Une journée dans Montréal à l’automne

Aube sur l'étang du Jardin botanique
L’aube sur l’étang du Jardin botanique, octobre 2012

L'automne à Montréal
Traînant les pieds dans les feuilles mortes, sur les trottoirs du Plateau, octobre 2015

Sur le Boulevard Rosemont, dans la Petite Patrie
Remontant sur le Boulevard Rosemont, dans la Petite Patrie, octobre 2013

Courir dans Maisonneuve
Descendant vers Maisonneuve, octobre 2013

L'automne au Jardin botanique 21
Retournant à l’étang du Jardin botanique, en fin d’après-midi, octobre 2012

Jardin des Premières nations
Ressuscitant la mémoire du passé, octobre 2012

Journal de mes réflexions sur l’écriture — extraits, automne 2008

Depuis sept ans, je poursuis un cheminement personnel de réflexion sur les dimensions matérielles de la pratique de l’écriture. Depuis le début, je tiens un journal manuscrit sur ce cheminement : notes de lectures, récits, observations, réflexions…

Je suis en train de relire ce journal dans le cadre de la préparation d’une série de conférences que je prononcerai dans quelques semaines au Collège Maisonneuve : qu’est-ce que l’histoire de l’évolution de l’écriture depuis 5 000 ans peut nous apprendre sur la transformation de l’écriture suscitée depuis l’avènement de la télématique ( numérisation ) il y a un peu plus d’un quart de siècle ?

Je vous livre ici des transcriptions de quelques extraits de mon journal.

La plume de mon père
La plume de mon père

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Hochelaga

Hochelaga
Hochelaga, 11 mai 2013

Ce n’est que tout récemment que j’ai appris que le peintre québécois Marc-Aurèle Fortin avait consacré beaucoup d’attention au paysage urbain de Montréal. Au cours des années 20 et 30, il a peint plusieurs tableaux sur le port de Montréal et sur le quartier Hochelaga.

Dans ses tableaux sur Hochelaga, on reconnait facilement la silhouette de l’église de la Nativité de la Sainte-Vierge, le chemin de fer qui délimite le quartier à l’est, les silos de grain sur le bord du fleuve, les montagnes au loin, à l’horizon, sur la rive sud du fleuve et, dans certains tableaux, l’ensemble de la cour de triage d’Hochelaga.

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Marc-Aurèle Fortin, Paysage à Hochelaga, 1929 ( Musée des beaux-arts du Canada )

Il y a une centaine d’années, l’ile de Montréal n’était pas encore complètement urbanisée. Une grande partie du territoire de l’ile était encore champêtre. Les tableaux de Fortin en témoignent.

Il y a deux ans, j’ai tenté de retrouver les points de vue dont Fortin aurait pu se servir pour peindre ses paysages. Peine perdu. Les points saillants demeurent : les clochers des églises, les silos à grain, les clochers et les montagnes au loin, de l’autre côté du fleuve… Mais, il ne reste plus rien des champs qui entouraient Hochelaga à l’époque.

Ancienne gare de triage Hochelaga
Ancienne gare de triage Hochelaga, 4 mai 2013

Église Nativité de la Sainte-Vierge d'Hochelaga
Église Nativité de la Sainte-Vierge d’Hochelaga, 4 avril 2013

Souvenirs

Dimanche 29 juin

Journée chaude aujourd’hui… Souvenirs des étés de mon enfance, de mon adolescence…

… au cours de certaines journées chaudes de mon enfance, il m’arrivait souvent de vagabonder, le corps léger, tous les sens en alerte. Parfois, l’esprit se mettait à dériver. Sans que je m’en rende compte, je m’estompais dans l’espace du monde.  Je me retrouvais alors dans un état de ravissement devant un objet familier, un jouet par exemple, ou une plante…

L’émerveillement d’être… une extase naturelle.

On ne provoque pas ce genre d’expérience : cet état survient. Bien entendu, il faut du temps, une disponibilité, un détachement de soi… n’attendre rien.

Ce n’est que devenu jeune adulte que j’ai commencé à comprendre la nature de ces expériences… et encore… avec le temps, l’expérience, ai-je vraiment compris ce qu’il en est ?

Profondeur
… de boisés mystérieux à demi domestiqués.


 

Je suis en train de jouer avec ma modeste collection d’automobiles et de camions miniatures : avec une petite pelle en plastique, je trace un réseau de chemins sur la terre compactée, couverte de gravier, et parsemée ici et là de plantes qui poussent à l’état sauvage, dans la cour derrière chez-moi.

Je frôle une plante sauvage, de la mauvaise herbe selon les critères de ma grand-mère, qui était appuyée en cela de la très grande majorité des jardiniers. Pourtant, je l’aime cette mauvaise herbe, qui pousse dans les craquelures des trottoirs, qui ajoute de la couleur au ciment urbain de mon voisinage… Elle n’a pas d’allure cette plante dont je ne connais pas le nom (peut-être une matricaire odorante) : un petit bouton jaune au bout d’une tige, qui soutient un feuillage délicat, vert foncé. Dans mon imaginaire d’enfant, cette plante tient le rôle d’un arbre dans ce paysage que je compose.

Sans que je n’y prenne garde, la senteur qu’elle dégage lorsque je la frotte me subjugue et provoque graduellement mon étonnement, devant son existence même.


Quelques mois, quelques années plus tard, le jeune garçon commence à sortir de sa cour. Ses héros, les personnages de ses livres d’histoire et des romans de Jules Verne et de Robert Louis Stevenson, l’inspirent : il se découvre une âme d’explorateur.

Il part à la découverte de territoires de plus en plus vastes. Il habite désormais dans une banlieue, aux abords de vastes champs aux grandes herbes, de boisés mystérieux à demi domestiqués. Il s’y promène en écoutant attentivement le chœur des oiseaux, le crépitement des écureuils qui courent dans les arbres, les frottements et les bruissements au sol, les bourdonnements et les grésillements des insectes…

Les longs zizeillements lancinants des cigales l’enchantent surtout, et l’entraînent, à l’occasion, dans l’exubérance du cosmos.


Les ruisseaux, les rivières et les fleuves coulent se vider dans les océans. Le soleil les réchauffe ; des nuages se forment, et se déversent à nouveau dans les lacs et les ruisseaux, pour la suite du monde.

L’adolescent découvre la géométrie, la physique, la chimie, se passionne de sciences, s’enthousiasme à pérégriner dans l’infiniment grand tout autant que dans l’infiniment petit. Le savoir explique, mais ne se substitue pas à la fascination qu’il éprouve à l’égard du mystère de la matière, de la vie. Sans délaisser ses romans, il commence à fréquenter les philosophes ; non satisfait de s’engager dans les dédales de la noosphère des idées, il veut désormais participer, avec d’autres, à changer le monde. Les moments d’extase se raréfient.

Cimicifuga
… en prenant du temps pour remuer la terre de son propre jardin il fait une pause pour contempler son travail ; et il savoure de vieux souvenirs.


Des décennies plus tard, l’adolescent devenu adulte a cessé de vouloir changer le monde. Il reste peu de place pour des expériences de nature mystique, dans son esprit désormais meublé d’occupations tant domestiques que professionnelles. Durant ses heures de loisirs, il se métamorphose en déracineur de mauvaises herbes et en chasseur d’insectes présumés « nuisibles ». Parfois, lorsqu’il prend du temps pour le perdre à remuer la terre de son propre jardin, il fait une pause pour contempler son travail ; et il savoure de vieux souvenirs.


Enfin, même retraité de la vie active, il peine à se délester suffisamment l’esprit pour retrouver ces états de grâce dont il a conservé le souvenir… il y a si longtemps. Cette impression de trouver sa place dans l’univers.

Au salon du livre…

J’ai passé plus de huit heures au Salon du livre de Montréal, un samedi, il y a quelques semaines.

Étourdissement …

… un véritable labyrinthe ; la surface est vaste ; intimidante même, on peut s’y perdre facilement …

… une abondance de livres et une foule serrée, par instant étouffante — beaucoup de curieux, de badauds, de fouineurs, d’acheteurs, sans compter les professionnels des métiers du livre …

… des retrouvailles auxquelles je ne m’attendais pas, des conversations avec des auteurs, les tables-rondes d’auteurs sur des sujets divers, …

… flâner d’un kiosque à l’autre, tout en prenant des notes sur des livres, et des revues, à emprunter à la bibliothèque éventuellement, …

… un achat seulement, sur l’histoire de l’écriture !

Depuis plusieurs années, je fréquente beaucoup moins les salons du livre. Je fréquente aussi beaucoup moins les librairies. Je suis plutôt devenu un habitué des bibliothèques, la mienne comprise.

Est-ce pour cette raison que je me suis senti si étourdi ce jour-là ? Lire la suite …

Je voulais tout simplement renouer avec le plaisir d’écrire à la main…

Reconstitution personnelle de vieux souvenirs de l'enfance... pupitre d'écolier, encrier, encre, plumes, porte-plume, papier buvard, coffre à crayons...
Reconstitution personnelle de vieux souvenirs de l’enfance… pupitre d’écolier, encrier, encre, plumes, porte-plume, papier buvard, coffre à crayons…

Rien n’est plus léger que de tenir une plume, ni plus heureux; les autres plaisirs sont éphémères, et leurs ravissements nocifs. La plume apporte la joie quand on la prend en main, et la satisfaction quand on la pose.

Pétrarque

Mes plus lointains souvenirs sont liés à l’écriture. J’ai toujours aimé écrire, tout comme j’ai toujours aimé lire. Néanmoins, le plus lointain souvenir que je puisse rappeler à la surface de la conscience est vague, imprécis : tracer des suites infinies de lettres sur des lignes dans un cahier d’écolier, avec une plume qu’on trempait dans l’encre. De grandes grosses lettres… aussi belles et parfaites que le bras et la main d’un enfant pouvaient le faire. Bien entendu, on tachait la page blanche du cahier de pratique et on se tachait les mains d’encre… Il fallait bien casser les œufs pour faire une omelette, n’est-ce pas?

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