
Une journée exceptionnelle d’automne au parc Maisonneuve aujourd’hui.


Je retourne, encore une fois, à la Grande bibliothèque, pour recueillir un livre que j’y avais réservé.
Rendu sur place, rien d’autre à faire que de recueillir mon livre… Le centre-ville est pratiquement désert ; les cafés et les restaurants sont fermés, le ciel est gris. Néanmoins, je flâne un peu, autour de la bibliothèque, tout en saisissant des instants évanescents de ma ville évanescente.
Dire qu’il y a cinq mois depuis qu’on a déclaré l’état d’urgence sanitaire. Dire qu’à l’origine, ce n’était que pour dix jours, deux semaines au maximum. Personne n’aurait pu imaginer que nous allions être confinés aussi complètement, ni que cela allait durer aussi longtemps. Depuis quelques semaines, on déconfine certes, mais progressivement, étape par étape, prudemment… La Grande bibliothèque n’accueille toujours que 250 personnes à la fois, et on n’a toujours pas accès aux tables de travail, ni aux fauteuils de lecture. On relâche et voici que le monstre s’exprime à nouveau. On ressert les contraintes, par exemple, on exige le port d’un masque dans tous les espaces communs fermés.
Comme j’en ai témoigné il y a quelques semaines, j’appréhendais depuis longtemps l’éclosion de cette pandémie. Les spécialistes en la matière nous avertissaient régulièrement qu’il fallait s’y préparer. Ils étaient convaincus que c’était inévitable dans notre monde interconnecté, que ce n’était pas si, mais plutôt quand nous serions envahis par un être malin, mortifère, de surcroit sournois, invisible — un des cavaliers de l’Apocalypse, celui de l’épidémie. Nous avions connu des épisodes semblables au cours des décennies précédentes — H1N1, SARS, Ébola… Il semble même, si on fouille le moindrement nos mémoires collectives, qu’on n’a rien appris de ces épisodes — lisez l’article suivant dans Le Devoir du 6 octobre 2009. Il faut bien s’en rendre compte, qu’en cette ère numérique, on a tendance à vivre dans le présent, comme si le passé n’avait rien à nous apprendre.
Deux jours avant le déclenchement de l’état d’urgence, j’étais heureux d’avoir pu livrer la dernière de mes trois conférences sur Kerouac à l’Éducation 3e âge du Collège Maisonneuve. Depuis quelques semaines, je suivais attentivement l’évolution de l’épidémie à travers le monde. Une semaine plus tard, on fermait toutes les portes, les unes après les autres, les écoles, les lieux publics, voire même les lieux de culte, les commerces. Puis, on a fermé les frontières, on a suspendu les vols d’avion. Finalement, on a annoncé que les écoles étaient fermées pour des semaines. Chaque jour, une nouvelle tuile nous tombait sur la tête. C’est là qu’on a constaté que notre monde était en train de se défaire.
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Je marche machinalement sur le trottoir au cours de cette matinée froide et humide en cette dernière journée de l’hiver. Un vol d’oies blanches passe en jacassant et me distrait de ma rêvasserie covidienne. Je tourne la tête vers le sud et je les cherche entre les branches noires qui se silhouettent sur un ciel gris, brumeux ; on ne les voit pas, mais elles annoncent le printemps. Quelle sorte de printemps aurons-nous cette année ?
Il y a une semaine, on a fortement invité les personnes de plus de 70 ans à s’abstenir, autant que possible, de sortir de chez eux. Les vieux comme moi ne sont pas assignés à résidence, mais c’est tout comme : il nous faut réduire au minimum nos sorties à l’extérieur, pour aller au dépanneur du quartier afin d’acheter du pain, du lait, des œufs…
Aujourd’hui, je décrète que j’ai un prétexte valable : je dois aller retirer de l’argent comptant au guichet automatique de ma caisse populaire et aller chercher des timbres au comptoir postal de la pharmacie. Au retour, je passe au dépanneur ; j’y suis témoin d’une discussion vive entre une femme et un homme, les deux de mon âge, elle soutenant qu’il faudrait soutenir l’économie, maintenir le commerce, l’autre répliquant qu’il faut accorder une priorité à la santé de la population : une discussion qui tourne en rond en réalité puisque il est difficile de concilier ces deux fins : l’économie s’appuie sur une population active en santé alors que le bien-être de la population entière pourrait être menacé par l’invasion du monstre invisible.
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Il est un peu tôt pour cette autre migration, celle de ceux qui passent l’hiver au sud, en Floride, au Texas ou en Arizona. Plusieurs de ces migrants saisonniers, les « snow birds » se hâtent à revenir au pays, soit par avion, soit sur la route. Quelques uns ne savent pas encore qu’ils ramènent l’ennemi auquel on a déclaré la guerre. Étrange cette idée de déclarer la guerre à un ennemi inconscient de l’être, invisible, sans arme, qui ne discrimine pas parmi ses victimes, auxquels il est d’ailleurs complètement indifférent.
Des commentateurs disent que ce virus se déplace sans tenir compte des frontières. En réalité, le virus ne sait pas qu’il traverse une frontière. Ce sont des humains qui transportent des passagers clandestins. Des humains qui ne comprennent pas pourquoi ils doivent se mettre en quarantaine pour éviter de répandre l’ennemi mortifère. On annonce qu’une première victime de cet ennemi, une octogénaire est morte hier, dans une résidence pour aînés de Lanaudière, en banlieue de Montréal. Une dame qui n’avait pas séjourné à l’étranger.
On commence tout juste à prendre conscience de la profondeur de cette catastrophe mondiale. Très rapidement, nous devons nous ajuster à un nouveau régime social… tous les jours, nous sommes des millions, au début de l’après-midi, à suivre les points de presse de l’équipe du premier ministre du Québec… Nous nous rassemblons, comme à une messe d’antan, à suivre l’évolution de la pandémie, pour apprendre à se comporter dans cette lutte contre une invasion perfide, sournoise… à se conformer, à nous soumettre à une nouvelle façon d’être en communauté…
On a progressivement multiplié les barrières et les frontières ; le confinement est pratiquement devenu individuel. Le pays est sectionné, balkanisé… provinces, des régions, des villes et peut-être même des quartiers entre eux. La raison le justifie. Mais ce n’est pas intuitif ; l’humain est un animal social.
Je m’échappe de chez-moi uniquement pour aller chez le boulanger, la charcuterie, le dépanneur. Cela me donne une excuse pour marcher dans le quartier. Depuis quelques semaines déjà que la circulation automobile a été réduite à l’essentiel et que les avions ne volent plus pour aller atterrir à Dorval vers l’ouest, à l’autre bout de l’ile, nous sommes nombreux à constater que la qualité de l’air s’améliore. Cela devient agréable de marcher dehors. Les narines travaillent plus facilement, les poumons se sentent bien.
Je ne souffre toujours pas du confinement au cours de ces premières semaines. Il est vrai que, sur une base personnelle, je m’étais confiné depuis des mois à préparer la série de conférences sur Kerouac que j’ai livrées juste avant d’être assigné à résidence par une force extérieure.
Certes, c’était un confinement volontaire. Je pouvais me déplacer à ma guise où que je le voulais, pour quelque raison que ce soit. De toutes façons, j’ai tant de projets en cours, si ce n’est que de faire le ménage dans mes affaires personnelles. Néanmoins, en arrière-plan, je ressens le poids de la tension mondiale occasionnée par cette catastrophe, un poids d’une lourdeur étouffante. On se sent médusé, parfois paralysé : est-ce qu’on nous pratique à la discipline d’un confinement ? Pas vraiment, il est évident que nos gouvernements sont désemparés, qu’ils réagissent sans trop avoir eu le temps de jauger leurs décisions.
Tant de confusion. On se sent barouettés sur un chemin chaotique, sans boussole, sans savoir où il nous mène. Nous avons perdu, collectivement, nos repères, nos balises. Qu’est-ce qui prime : la liberté de l’individu, ou l’harmonie collective ? L’argent, ou la santé ? La mobilité sans contrainte, le droit de se déplacer où on veut, sans restriction ? Porter un masque ou non ? Tant de sujets de discussions en groupe… sans endroit où s’y adonner.
Dès le début, on nous a assommés d’informations incomplètes, contradictoires, propices à favoriser l’expression de préjugés, marqués de suffisance et d’arrogance à bien d’égards dans les jugements, les analyses, les commentaires, tant chez les spécialistes, les chroniqueurs que les participants dans les réseaux sociaux.
Très rapidement, nous avons été submergés, accablés, non pas d’information, mais aussi d’hypothèses souvent présentées comme étant des informations, des « faits ». On peine à distinguer entre les « nouvelles » et les analyses, ainsi que les opinions qui se métamorphosent en certitudes. Pourtant, on ne fait que commencer à connaître la véritable nature de ce nouveau virus, comment il agit, comment il se propage, comment y réagir. Qui croire ? Il y a une crise de crédibilité. On se méfie : trop de contradictions entre les experts, les autorités politiques et les analystes.
Ce qui me frappe de plus en plus, c’est à quel point cette épidémie devient révélatrice : elle agit comme un miroir. Surtout que notre culture, notre mode de vie, tout entier axé sur le travail, la consommation, l’avoir plutôt que l’être, nous laisse ébahi face à la situation : nous ne parvenons pas à nous adapter, contrairement aux populations orientales — Chine, Corée, Japon, Vietnam…
Cette fois, nous n’y échappons pas. Quoiqu’on fasse, la réalité s’impose. Ce n’est pas un miroir qu’on contemple ; nous nous trouvons dans une pièce murée entièrement de miroirs, sur toutes ses surfaces. On a beau se retourner, se pencher, lever la tête, il ne reste qu’à fermer les yeux, se boucher les narines, les oreilles, tout nous ramène à l’attention. Un véritable kaléidoscope de sensations… La peur s’installe… omniprésence médiatique de la menace de mort. Il nous semble qu’on cultive une ambiance de paranoïa.
Cette méfiance s’étend jusque dans les espaces publics, les trottoirs, les rues. Il devient difficile d’endurer cette distanciation sociale, de partager même en maintenant une distanciation, un sentiment d’empathie, un sourire de complicité, en se croisant sur la rue, au cours de nos marches de santé. On demeure dans un même bateau, même en étant distant les uns des autres. Quelles habitudes sommes-nous en train d’adopter ?
Les contraintes qu’on nous imposent, auxquelles nous nous soumettons plus ou moins de plein gré, deviennent de plus en plus lourdes à endurer. Les gouvernements semblent le comprendre. On nous annonce des plans de déconfinement progressif, à venir dans un avenir plus ou moins proche. Les vieux particulièrement, deviennent de plus en plus impatients, comme en témoigne Josée Blanchette dans Le Devoir du 24 avril.
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Les gouvernements doivent composer avec une réalité qu’ils ne contrôlent pas en réalité. Pourtant, il y a eu des précédents, dans un temps qui est assez récent — lisez l’article suivant, dans Le Devoir du 6 octobre 2009. Ils ont étudié les menaces dans le passé. Il semble qu’ils n’ont pas tenu compte des recommandations de ces études. Nous devons subir les conséquences des prises de décisions politiques passées. Nous héritons des effets de la mise en œuvre d’expériences basées sur des idéologies qui nous ont menés à une catastrophe. Nous avons tous une responsabilité dans cette évolution.
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Au début de l’année en cours, je m’étais inscrit à la série de conférences que notre confrère de l’Éducation troisième âge, Jacques Sénécal, devait livrer en avril-mai. Je m’ennuie de plus en plus de ces activités qui nous stimulent, qui nous offrent aussi une occasion de nous rencontrer les uns les autres, de socialiser. Je tape ces mots sur mon clavier, et mon esprit s’échappe, dans un passé pas si lointain, il y a deux ans, lorsque Jacques nous avait livré une série de conférences sur les comparaisons entre les sagesses occidentales et orientales : les différences entre ces points de vue sur l’univers, notre place dans cet univers, nos relations les uns aux autres en société. Je lis l’article suivant du journaliste de réputation internationale, Pepe Escobar, sur la victoire de Confucius face au défi du Covid-19.
Il n’y a plus de conférences, de cours de philosophie à l’Éducation troisième âge, plus de visites aux musées, plus de visites à la bibliothèque, au cinéma, même pas au Jardin botanique… C’est devenu dimanche matin, à longueur de journée, de semaines, partout dans la ville, dans tous les quartiers. Un jour, en viendrons-nous à préférer l’animation, la vitalité d’une ville, quitte à endurer la pollution qui l’accompagne ?
Aujourd’hui, j’ai l’impression de me retrouver dans un monastère ; une cellule d’un immense monastère… pendant que le monde est en train de se consumer tout entier. Parfois, je me sens coupable de sortir, aller marcher dehors.
Le temps passe, s’allonge. Difficile de ne pas sombrer dans une dépression… cette impression de se retrouver dans une prison ouverte, chacun dans sa cellule, bien réelle, même lorsque on tente de créer des espaces communs virtuels.
Je ne suis pas le seul grand-père à s’ennuyer de la présence de ses enfants, de ses petits-enfants.
De plus, chaque jour, on s’ausculte, on se scrute, on s’analyse constamment, à l’affut de tout indice de symptômes fatidiques, le fond de la gorge qui chatouille, la moindre toux, le nez qui cesse de sentir… s’inspecter, s’examiner, sans cesse, sans arrêt, sans répit, tout en se raisonnant tout le temps, de jour et de nuit, à longueur de jour et de nuit… la peur de la condamnation, pire que la distanciation, la quarantaine…
Il n’y aura pas de voyage à l’été… cette année, je resterai dans mon jardin, à jardiner mon espace de vie… Vient la Fête des mères. Il fait froid. Il faut aussi maintenir nos distances les uns des autres. Notre fille vient nous visiter. Nous devons demeurer à l’extérieur, sans se câliner, pour une quinzaine de minutes seulement. Tristesse, en attendant la chaleur de l’été…
Je retourne à la Grande bibliothèque pour la deuxième fois depuis la déclaration par le gouvernement québécois de l’urgence sanitaire le 14 mars dernier… 132 jours qui ont bousculé nos vies individuelles, et notre vie collective.
J’y retourne un livre que j’avais emprunté trois semaines plus tôt, le lendemain de la réouverture de la Bibliothèque. J’en emprunte un autre, que j’avais réservé quelques jours plus tôt.
Pour la deuxième fois depuis le mois de mars, je prends le métro pour m’y rendre. C’est une expérience étrange. Je suis craintif : l’esprit alerte, l’impression d’aller reconnaître une zone dangereuse, menaçante.
L’impression dans le métro qu’on se jauge les uns les autres. La méfiance est suspendue dans l’air. Je me demande s’il y a des personnes dites « asymptomatiques » parmi les passagers… repérer qui ne porte pas un couvre-visage. Il y a trois semaines, la moitié des passagers n’en portaient pas ; aujourd’hui, heureusement, presque tout le monde en porte un.
Comme il y a quelques mois, à la veille du déclenchement des mesures d’urgence, j’évite de toucher à quoi que ce soit, les rampes des escaliers, les tourniquets d’accès, les barres d’appui dans les wagons…
À l’entrée de la Grande bibliothèque, je dois me laver les mains, je confirme que je ne présente pas de symptôme de COVID-19 et que je n’ai pas voyagé à l’étranger dernièrement, j’informe le préposé que je retourne un livre, que je dois déposer dans un bac à cet effet, et que je veux en recueillir un autre. Je dois confirmé que j’ai réservé un livre. On me dirige vers l’endroit où on fait la queue pour aller chercher le livre que j’ai réservé. L’attente est courte et le service rapide. Puis on sort de la Bibliothèque par une autre sortie que la porte d’entrée. J’apprends en parlant avec un employé qu’il est préférable de venir en début d’après-midi… moins de monde que le matin.
Je me souviens de la dernière fois que j’avais pris le métro avant le grand confinement. C’était justement pour rapporter une dizaine de livres à la bibliothèque. La veille, le 11 mars, j’avais livré la dernière d’une série de trois conférences sur l’identité franco-américaine de Jack Kerouac au Collège Maisonneuve. Déjà, deux semaines plus tôt, dès la fin-février, je commençais à devenir plus vigilant en public, surtout dans le métro : j’appréhendais l’arrivée de la pandémie qui se disséminait progressivement à travers le monde depuis quelques semaines.
Je me souvenais des craintes exprimées par les experts et les autorités sanitaires mondiales à ce sujet depuis depuis un peu plus d’une décennie : nous avions connu des épisodes plus ou moins locaux, Ebola, grippe H1N1, SARS. J’avais lu des reportages sur les dangers que pourrait représenter l’émergence d’un tel événement. Les spécialistes estimaient que c’était une question de temps. Ils étaient convaincus que c’était inévitable, que cela arriverait un jour ou l’autre.
Dès la fin de janvier, les reportages sur ce qui se passait en Chine faisait état d’une menace sérieuse. Puis ce fut d’autres lieux : l’Iran, l’Italie, la côte ouest des États-Unis. Mais c’était toujours ailleurs, loin de chez-nous.
Puis, on a rapporté que le virus se répandait dans des bateaux de croisière. Déjà, dès les mi-février, je craignais qu’on suspende toute activité publique, comme on l’avait fait en Chine et ailleurs en Asie orientale, et ainsi, de ne pas pouvoir livrer ma série de conférences sur Kerouac.
Aujourd’hui, assis dans le métro, je prends conscience que jamais je n’aurais pu m’imaginer comment on vivrait une telle expérience… le confinement ; la suspension de presque toutes les activités sociales — la fermeture des bureaux et des magasins, des écoles, des musées, voire même des lieux de culte ; l’assignation à résidence, le télétravail ; l’état de paranoïa collective ; et surtout, ce que cette expérience allait nous révéler.
Je décide, en sortant de la bibliothèque, de me promener, pour la première fois depuis la mi-mars, dans les rues du centre de Montréal. J’étais curieux : les reportages dans les médias locaux nous informaient que le centre de Montréal était désert… pas de touristes, peu de flâneurs. Je remonte la rue Saint-Denis jusqu’au Carré Saint-Louis… pratiquement personne sur une rue fermée à la circulation automobile, jusqu’à l’intersection de Sherbrooke… peu et presque pas de circulation, au début de l’après-midi, sur la rue Sherbrooke, une des principales artères de la ville.
Sur la porte de la Librairie du Square, on affiche que le nombre de clients qui peuvent y vaquer est restreint. Je jette un coup d’œil à travers la fenêtre. Je peux entrer… quelques minutes, le temps de fureter devant l’étagère des revues et de jeter un coup d’œil sur les nouveautés. Je sors avec les derniers numéros de L’Inconvénient et de Argument.
Je traverse le parc du Carré Saint-Louis. Il fait très chaud et l’air est très humide. Le septuagénaire ressent de la fatigue. Normalement, il devrait prendre une sieste. Je décide qu’il est temps de faire une pause, le temps de déguster mon premier espresso en public depuis des mois, avant de reprendre ma flânerie, sur Prince-Arthur vers l’ouest, jusqu’à l’avenue du Parc…
Je descend vers le sud, jusqu’à la papeterie Nota Bene. J’achète des cartouches d’encre, une bouteille d’encre Herbin (Ambre de Birmanie). Enfin, je me dirige vers la station de métro Place des Arts.
La ville bouge, mais si peu. Pratiquement personne dans l’immense Place des festivals.
La ville vivote, elle végète… elle est morose. On attend la deuxième vague de l’ouragan viral.
l’interprétation poétique de cette photo est par là, dans une autre station …
Sourire, par Traces du souffle …
Quelques regards sur le Pont Jacques-Cartier… On se dit que, désormais, il faudrait aller le voir la nuit… Pour l’instant, je me contente de le zieuter, de temps en temps, de jour… la plupart du temps de loin…
On l’aperçoit souvent, au détour d’un regard qui porte ailleurs, le long de la rue Sherbrooke notamment. On n’y porte guère attention, tellement il fait partie de nos meubles. Lorsqu’on l’aperçoit, qu’on le voit, qu’on le regarde et qu’on l’admire, il nous rappelle que nous vivons sur une île.
En descendant de Sherbrooke sur la rue De Lorimier…
… toute la neige au sol il n’y a tout juste qu’une trentaine de jours …
muée en souvenir …
je regarde passer le métro qui arrive dans la station… sur la ligne verte… vers le centre de la ville… un matin d’hiver… j’embarque…
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à la station Berri/UQAM, je transfère, passant de la ligne verte à la ligne orange …
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je débarque… me dirige vers l’escalier roulant, et je monte vers la sortie…
… selon la journée, tout au long de la journée, de la matinée jusqu’en soirée, ou selon l’humeur du jour … atelier, cours, musée, bibliothèque, café, taïchi, flânerie ……
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… je vis au rythme d’une ville animée, exubérante…
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Une dernière averse de neige… comme un dernier soupir de l’hiver…
Il pleut… beaucoup… fonte des neiges… on est bien au café…
Ce matin, je suis allé me faire couper les cheveux. J’ai remarqué, au passage, que le Dairy Queen était ouvert. En revenant chez-moi, j’ai entendu les outardes dans les nuages. Le printemps, bien que timide, arrive… Demain, on annonce des averses intenses de pluie; je retournerai à la Grande bibliothèque, poursuivre ma lecture de Dickens…
Pour poursuivre ma lecture de American Notes, de Charles Dickens, ce récit du voyage de six mois que le grand écrivain anglais a effectué, de janvier à juin 1842, en Amérique du Nord, je dois me rendre, sur place, à la Grande Bibliothèque.
Examinez les photos du livre, ci-haut et dans le billet précédent. C’est un vieux livre. Je tourne les pages avec précaution ; elles sont raides, comme du carton ; la reliure du livre est fragile.
Cet exemplaire du livre m’intrigue. La page titre nous informe que le livre a été imprimé aux États-Unis, à Philadelphie. Il n’y a pas de date, ni de mention de droit d’auteur, uniquement le nom et l’adresse de l’imprimeur. Au milieu du 19è siècle, les auteurs, dont Dickens, luttaient toujours pour faire valoir leurs droits sur leurs œuvres. Les Américains notamment, refusaient de reconnaître l’institution du copyright international. L’exemplaire que j’ai en main est forcément une publication piratée.
Je voulais en savoir plus, connaître le parcours de cet exemplaire spécifique.
Il y a quelques jours, une bibliothécaire de la Grande Bibliothèque m’a aimablement guidé dans ma recherche sur le parcours de ce livre. Elle m’a signalé d’abord que le livre avait fait partie de la Collection Gagnon, une collection d’une grande importance que je ne connaissais pas. Ensuite, naviguant dans l’Internet d’une source de renseignements à une autre, elle a réussi à retracer l’année de la publication de l’édition américaine de American Notes : cet exemplaire du livre a été publié aux États-Unis par T. B. Peterson & Brothers, à Philadelphie, en 1857, il y a 160 ans.
La Grande Bibliothèque est l’une des constituantes de Bibliothèque et Archives nationales du Québec. Elle est devenue dépositaire de diverses collections de documents lors de la fusion des activités de la Grande Bibliothèque et de la Bibliothèque nationale du Québec il y a une quinzaine d’années, et de la fusion subséquente de la Bibliothèque nationale et des Archives nationales du Québec il y a douze ans.
Un fiche collée à l’intérieur de la couverture du livre nous informe que cet exemplaire fait partie de la Collection Gagnon. J’apprends que la Collection Gagnon est un véritable trésor bibliographique sur l’histoire de l’Amérique et particulièrement de l’Amérique française. Cette collection comporte des ouvrages et des documents très anciens, qui remontent jusqu’ au début des années 1500, soit jusqu’aux premiers récits des grandes explorations du continent américain. On y retrouve, entre autres, les écrits de Bartolomé de las Casas, qui a dénoncé dès le 16è siècle la barbarie des Conquistadors espagnols à l’égard des peuples amérindiens de l’Amérique. Cette collection contient aussi la première édition du récit des voyages de Jacques Cartier, les Voyages de Champlain, les Relations des Jésuites et d’autres récits de voyages et d’explorations.
Mais ce qui m’a le plus surpris, c’est l’origine de la Collection Gagnon.
La bibliothécaire m’informe que la Bibliothèque centrale de Montréal avait acquis cette Collection d’un certain Philéas Gagnon, un négociant de Québec, en 1910 ; que ce collectionneur avait assemblé sa collection sur une période de 35 ans, de 1875 jusqu’à 1910.
De retour chez-moi, je poursuis mes propres recherches. Le Dictionnaire bibliographique du Canada contient une notice biographique sur Philéas Gagnon. J’y apprends que Gagnon est un tailleur, qui a pignon sur rue à Québec. Ce négociant, dès le début de la vingtaine, commence à s’adonner à la collection de livres.
Malgré une formation scolaire relativement mince et de modestes revenus de tailleur, Gagnon réussit, par des achats judicieux dans les nombreuses ventes à l’encan locales, par l’utilisation d’encarts publicitaires dans des revues spécialisées même étrangères, et par la publication de ses propres catalogues de vente, dans lesquels il offrait le surplus de ses acquisitions, à se bâtir une collection que ses contemporains, historiens, chercheurs et littérateurs, à la fois plus scolarisés et mieux nantis, allaient reconnaître comme la meilleure et la plus complète au Canada.
En 1895, ce « modeste » tailleur publie, à compte d’auteur, un essai de bibliographie canadienne qui révèle la richesse de sa collection. Cette publication lui vaut une nomination au poste de conservateur des Archives judiciaires du District de Québec en 1898. Déjà, il travaillait à pérenniser son œuvre. Il cherche à vendre sa collection à des intérêts américains ; le gouvernement du Canada ne saisit pas l’occasion. Finalement, c’est la Bibliothèque de Montréal qui l’acquiert.
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C’est dans un tout autre esprit, que je retournerai la semaine prochaine à la Grande Bibliothèque pour poursuivre ma consultation de ce livre. Je le manipulerai avec encore plus d’attention… avec un sentiment de reconnaissance à l’égard de ce modeste tailleur qui nous a légué un trésor.
Tôt le matin, dès le début de la semaine du congé scolaire… les papillons sont en liberté dans la grande serre du Jardin botanique de Montréal, au grand plaisir des enfants, de leurs parents et grands-parents.
Tant qu’à y être, bien que ce soit les papillons qui nous y attirent, nous saisissons aussi l’occasion pour aller prendre un bain de verdure, pour papillonner nous-mêmes dans toutes les serres, à travers les bonsaïs, les cactus et les succulents, les épiphytes, les mousses espagnoles, les fruits tropicaux, jusqu’aux fougères, en passant par les orchidées.
ps : n’hésitez pas à cliquer sur les photos pour les agrandir
Ce matin, je ne m’attendais pas à ce que le camelot livre le journal. Un coup d’œil par la fenêtre m’indique qu’il a été fidèle, malgré la tempête qui a barouetté le pays depuis la veille.
Comme tous les matins, avant d’amorcer la préparation du déjeuner, j’ouvre donc la porte pour prendre le journal…
On ne voit qu’une partie des voitures qui circulent sur le boulevard, à quatre voies, devant chez-moi. D’ailleurs, conformément aux recommandations de toutes les autorités publiques, il n’y a pas beaucoup de circulation ce matin. La nature force la ville à ralentir… il n’y a pas d’école et, pour ceux qui le peuvent, journée de télétravail aujourd’hui.
Il y a quelques minutes, je suis allé dégager la porte de secours du bâtiment, qui donne sur la terrasse derrière chez-moi. La neige est légère, relativement sèche, quoique paquetée par le vent par endroit.
De vieux souvenirs reviennent à la surface …
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Ce qui nous importune c’est l’instabilité du climat. Il y a tout juste trois semaines, nous avions reçu une belle chute de neige, d’un peu plus de 25 cm. Tout avait fondu dans les jours qui ont suivi. Nous n’avions même pas eu le temps d’en profiter.
Cet hiver a été frustrant sur ce plan. Un peu de neige mais beaucoup plus de pluie que de neige en janvier ; des périodes fréquentes et longues de redoux qui font fondre la neige, ponctuées par de courtes périodes de froid intense… pas moyen de profiter véritablement des avantages de la saison froide.
Les tempêtes de neige en mars ne sont pas rares. Ce qui est rare, c’est qu’elles soient aussi fortes que celle que nous avons connue depuis hier, pour ce temps-ci de l’année.
***
Je suis de cette génération qui se souvient d’une tempête, au début de mars 1971, qui nous avait confinés à l’intérieur pendant deux jours : nous nous étions retrouvés sous une couverture supplémentaire de cinquante cm de neige à la fin de l’hiver. Pour ceux qui, comme moi à l’époque, n’avaient pas d’obligations ou de contraintes professionnelles, qui ne possédaient pas de voiture et qui demeuraient à distance de marche de tout, une telle occurrence nous offrait tout simplement une pause, un arrêt dans un rythme de vie encore beaucoup plus lent que celui d’aujourd’hui, mais une pause tout de même bienvenue…
Après deux jours à l’intérieur, j’étais sorti, me rendre au petit restaurant à quelques pas de chez-moi, tenu par trois « tantes » d’un âge déjà respectable. La tempête avait transformé mon quartier, la Côte de sable, en parc silencieux, fraîchement revêtu de blanc…
l’après tempête est un parc tout blanc
trois vieilles enneigées y ont tout le tempson entre chez les trois tantes
on y prend le temps de parler du tempset avec le temps qui passe, deux œufs et un café
on savoure au rythme de la gentillesse ordinaire
Il fait froid depuis quelques jours à Montréal, et les météorologues prévoient que cette vague de froid durera encore deux semaines.
Je ne me plains pas du froid, tout au contraire…
Bien que je vieillisse, j’aime toujours l’hiver…Et c’est en rêvassant que je traverse les parcs de ma ville.
De vieux souvenirs surgissent souvent lorsque, flânant dans les parcs de la ville, j’entends le claquement sec d’une rondelle de hockey qui va rebondir au loin sur les bandes d’une patinoire. Regarder des plus ou moins jeunes qui jouent au hockey ravivent des sensations de mon enfance… alors que nous nous regroupions entre amis, que nous déneigions la glace si nécessaire, et que nous nous élancions sur la glace au rythme saccadé du crissement des patins… tout en se passant la rondelle les uns les autres, en l’envoyant planer ou en la frappant en direction d’un filet.
Comme la plupart des hommes de mon âge, j’ai appris à jouer au hockey en même temps que j’ai appris à patiner, vers sept ans ; j’ai pratiqué ce sport jusqu’au début de la vingtaine ; je n’étais pas des plus habiles ; je suivais le rythme plutôt que de mener le jeu, et je réussissais souvent à passer la rondelle à ceux qui comptaient les buts.
Il y a une trentaine d’années, j’ai mobilisé d’autres pères pour cerner un terrain vague dans notre voisinage afin de créer une petite patinoire pour les enfants. Nous en avions profité pour organiser, à l’occasion, des parties de hockey en soirée. Des adolescents nous y rejoignaient. Je m’étais rendu compte que j’avais perdu la forme : manque de souffle et faiblesse des genoux… c’est à cette époque que j’ai éprouvé les premières manifestations de l’inéluctable usure du temps.
Aujourd’hui, j’ai de la difficulté à me pencher pour lacer mes souliers… et mes patins.
Je me contente de rêvasser sur le bord de la patinoire…
… un temps exécrable hier sur Montréal…
et pourtant, je la souhaitais cette neige…
nos hivers changent… ce ne sont plus les hivers de mon enfance.
la journée a commencé avec une averse de pluie verglaçante, couvrant les rues et les trottoirs d’une couche de glace… j’ai clopiné glissant jusqu’à la station de métro…
puis, au cours de la matinée, la pluie s’est métamorphosée graduellement en neige… le vent s’est mis de la partie…
je prévoyais flâner un peu dans la ville, mais c’était tellement désagréable que j’ai préféré retourner chez-moi, non sans avoir, auparavant, passé au restaurant-café Saint-Viateur Bagel… La soupe du jour, bœuf et orge, était très bonne, et le sandwich-bagel à la viande fumée, excellent, comme on s’y attend dans cet établissement.
un jeune homme s’est installé à la table devant la vitrine… j’avais déposé ma caméra sur la table…
nous avons entamé une conversation sur la photo… le temps d’avaler un sandwich et une soupe, il m’a raconté qu’il voyage, qu’il observe la rue avec son appareil de photo analogique, qu’il trouve que c’est cher la photo en analogique et qu’il songe à passer au numérique…
je lui ai décrit mon cheminement personnel de photographe amateur.. une tranche de vie en quelques mots…
quelques mots au hasard d’un croisement et chacun a repris son chemin…
… j’erre à travers les rues, les ruelles et les parcs de Montréal… une pause au café, une autre pour une session de tai chi hebdomadaire…
retournant me fondre dans la ville tout en laissant ma voix intérieure ruminer, divaguer, en s’égarant parfois ici, en se concentrant sur une vision quelconque, ou là, en immobilisant la vision, fascinée, sur un objet…
janvier est doux cette année, quoique parfois ponctué d’une journée froide, ou encore vraiment frette comme on l’dit en canayen ici au Québec… peu de neige, malheureusement…
mais les augures qui scrutent les données que leur fournissent les instruments qui leur servent d’entrailles de volailles, nous avertissent qu’il y aura une bordée de neige cette nuit… ( les jointures de mes doigts me le confirment ) … et que, à plus long terme, février sera froid ( ce que mes jointures n’ont pas encore perçu ).
À Montréal, en hiver, on se réfugie à l’intérieur dans les deux principaux marchés publics de Montréal. Au Marché Jean-Talon, dans l’arrondissement Rosemont-Petite Patrie, on réduit l’espace pour les étals de fruits et légumes frais et on érige des murs à l’intérieur desquels on peut les vendre à l’abri des éléments. Plusieurs produits sont locaux, telles les tomates cultivées dans des serres. Des oiseaux réussissent à pénétrer à l’intérieur et à s’y établir pour la saison.
Au cours de la fin de semaine, le marché grouille de monde : petits et grands, tout le monde se faufile dans un espace restreint. Si l’on veut éviter cette cohue, il faut s’y rendre en début de semaine.