Le 8 juillet, 2016… on traverse la frontière
Tôt le matin, je passe au bureau du camping, pour remercier le personnel avant de partir, pour prendre des renseignements, et faire un peu de jasette en ce beau vendredi matin ensoleillé…
Je dis aux employés que nous sommes sur le chemin du retour vers chez-nous, à Montréal, que c’est notre dernière matinée aux États-Unis… on nous recommande de nous préparer pour traverser la frontière, en nous prévenant que les douaniers canadiens exercent un contrôle sévère des armes à feu… je leur réponds que c’est ce que nous attendons de nos douaniers et que, comme la plupart des Canadiens, nous ne possédons pas d’armes à feu… ce qui déclenche une conversation amicale sur ce sujet si controversé. On s’étonne de ce que nous terminons un aussi long voyage, sur une si longue distance, sur une période de deux mois, sans armes.
Dans mes conversations avec les Américains sur ce sujet, j’ai appris qu’il vaut mieux, selon les circonstances… d’être poli, ou de chercher à dévier la conversation sur un autre sujet, ou de convenir d’être en désaccord quant à nos opinions sur le sujet, ou parfois même, d’en rire.
Je ne comprend pas l’obsession presque fétichiste des Américains à l’égard de la possession d’armes à feu. Ce qui est clair, c’est que l’impasse politique sur le resserrement du contrôle des armes à feu favorise le maintien du statu quo.
Ce que je comprends, c’est que tout revient constamment à la question de la sécurité. On répète qu’il faut absolument voir à se protéger contre toute menace qui pourrait survenir. Je m’interroge, sans jamais le leur demander : est-ce qu’ils ont vraiment l’impression de vivre dans une jungle, ou une zone de guerre ?
D’autre part, de retour chez-nous et avant de repartir sur les routes, on nous pose souvent la question si nous avons peur de circuler aux États-Unis… peur de se tromper de chemin et de se retrouver dans une zone moins sécuritaire… peur de se faire agresser…
De façon générale, nous sommes conscients qu’il faut être prudent ; nous reconnaissons que nous nous sommes sentis inconfortables à quelques occasions. Mais, nous n’avons pas eu peur de voyager aux États-Unis. Néanmoins, nous avons constaté que le climat social s’est détérioré depuis quelques années.
Quelques anecdotes…
Leamington, Ontario, 8 juillet 2016
Aussitôt traversée la frontière, nous nous dirigeons vers le point le plus au sud du Canada, sur le bord du lac Erie, près de la Pointe Pelée. C’est là que nous nous étions donnés rendez-vous, mes frères et sœurs et moi-même, pour passer la fin de semaine ensemble. C’est la première fois depuis le décès de notre mère que nous nous rassemblons depuis une dizaine d’années.
En soirée, nous apprenons que plusieurs policiers ont été abattus et d’autres blessés par un tireur d’élite à Dallas, Texas. Comme tout le monde, nous sommes rivés devant l’écran de télévision.
Le souvenir de quelques expériences au cours du dernier voyage nous reviennent à l’esprit…
Louisville, lundi, 23 mai 2016

Par un beau soir de mai, nous arrivons à Louisville, Kentucky. Nous nous présentons à nos voisins de camping ; nous venons du Québec, ils habitent dans la région de Saint-Louis ; ce sont deux couples qui passent leur dernière soirée au camping avant de retourner chez-eux ; nous les informons que nous avons l’intention de nous diriger vers Saint-Louis dans quelques jours, pour y séjourner une dizaine de jours…
L’un d’eux affirme, le plus sérieusement du monde, sur un ton quelque peu provocateur :
— We’re Americans. We like our guns !
Je réponds du tac au tac, sur un ton enjoué, qui communique néanmoins que mes convictions sont tout aussi fermes que les siennes :
That’s all right, we’re Canadian, we don’t carry guns…
Ils sourient. Nous pouvons engager la conversation. Nous apprenons qu’ils étaient venus à Louisville pour prendre part à une convention de la très puissante National Rifle Association ( NRA ).
C’est la première fois que nous rencontrons des membres de la NRA, qui l’affichent fièrement. Nous nous informons sur la tenue de la convention ; ils sont satisfaits de leur fin de semaine ; ils ont acheté quelques accessoires en lien avec leurs collections… J’en profite surtout pour m’informer au sujet de la ville de Saint-Louis.
Entre autres, je leur demande s’ils ont des suggestions à nous faire sur des clubs de jazz ou de blues à fréquenter, et comment s’y rendre. Ils me répondent : « N’y pensez même pas! Le secteur est trop dangereux, surtout le soir ». Je m’informe sur le Marché Soulard, un des plus vieux marchés publics en Amérique du Nord. On nous rassure : c’est sécuritaire, surtout la fin de semaine, à condition de ne pas trop s’éloigner du site même du marché. Lorsque nous leur décrivons les autres sites qui nous intéressent — musées d’histoire, des beaux-arts, jardin botanique –, ils amorcent une discussion entre eux sur les itinéraires les plus sécuritaires, de façon à éviter certains quartiers, ceux qui ont été le théâtre d’émeutes au cours de la dernière année… pour finalement nous conseiller de nous en tenir aux autoroutes, jusqu’aux sorties les plus près de nos destinations, qui sont toutes dans le même secteur : autour d’un vaste parc, qui fut le site où s’est tenue la grande exposition internationale en 1904. La conversation ne nous inquiète pas outre mesure, mais nous prenons note de leurs conseils.
Le lendemain, nous allons visiter le Frazier History Museum au centre-ville de Louisville. Je prends le temps de parcourir une exposition entièrement consacrée aux armes qui ont façonné l’histoire des États-Unis, depuis l’arrivée des premiers colonisateurs anglais, en passant par la Révolution américaine, les guerres d’expansion dans le Sud-ouest contre le Mexique, la Guerre civile, la conquête subséquente de l’Ouest, l’épopée des cowboys, et ainsi de suite jusqu’au siècle dernier.
Camping Granite City KOA, le 27 mai 2016
Quelques jours plus tard, nous nous installons au camping KOA de Granite City, en banlieue est de Saint-Louis, à l’est du Mississippi. Nous apprenons que c’était une bonne décision, puisque les autres campings que nous avions considérés, au sud-ouest de Saint-Louis, étaient inondés.
Lorsque, auprès des employés du camping, nous nous renseignons encore une fois sur les établissements de blues ou de jazz, on nous conseille fortement, encore une fois, d’y renoncer : nous serions perçus comme étant de riches touristes âgés, vulnérables… de belles proies faciles.
Quelques jours plus tard, au lendemain de la longue fin de semaine de congé du Memorial Day, nous apprenons qu’il y a eu quatre meurtres dans le secteur en question… des badauds qui ont eu le malheur de se retrouver pris dans un échange de tir entre deux gangs.

Saint-Louis, le 31 mai 2016
Nous visitons le Musée d’histoire du Missouri. La ville a été établie par des Français, qui ont traversé le fleuve Mississippi, après la cession du territoire de la Nouvelle-France à l’Angleterre, suite au Traité de Paris, qui a mis fin à la Guerre de Sept-Ans. Toutes les traces de ce premier établissement ont été complètement détruites lors de la construction de la grande arche emblématique qui surplombe le fleuve. Dans le musée, on a réservé quelques mètres carrés à l’histoire de l’établissement de la ville par les Français et guère plus aux autochtones qui les ont accueillis quelques siècles avant l’arrivée des Anglais et des Américains. Le reste de la galerie principale de l’histoire de la ville et de l’État du Missouri est bien conçue et très instructive.
Nous apprenons qu’on présente, devant la façade de l’établissement, tout au long de l’été, un spectacle mettant en vedette des artistes locaux : les Twilight Tuesdays. Plusieurs camions-cantines ( food trucks ) offrent une variété d’aliments, ce qui nous dispense de retourner au restaurant du musée. Nous arrivons assez tôt, une heure avant le début du spectacle pour avoir un point de vue intéressant sur la scène. Il y a peu de spectateurs au moment où nous nous y installons. L’espace se remplit rapidement. Nous sommes entourés presque exclusivement de Noirs. La plupart sont très cordiaux et accueillants. Une famille vient s’installer juste à côté de nous : des gens très hostiles à notre égard. D’autres personnes, avec lesquels nous avions échangé quelques mots dans notre entourage, deviennent gênés.
Je remarque que des hommes au physique imposant commencent à circuler dans le secteur où nous nous trouvons, de toute évidence, en minorité visible. L’atmosphère devient tendue. Nous quittons l’emplacement avant la fin du spectacle. Les gardiens du stationnement, qui surveillent notre autocaravane, nous facilitent la sortie.
Nous nous servons de notre appareil GPS pour guider notre retour au camping. Ce dernier nous amène à traverser un quartier pauvre, habité majoritairement par des Noirs. Cela ne nous décourage pas à revenir le lendemain et le surlendemain, à venir le Musée des beaux-arts et le Jardin botanique. Nous planifions toutefois plus attentivement nos itinéraires, sans se fier complètement et uniquement au GPS.

Santa Fe, mi-juin 2016
La tuerie de masse perpétrée dans un bar gay d’Orlando occupaient toujours tous les esprits lorsque nous sommes arrivés à Santa Fe à la mi-juin.
Notre voisinage au camping comporte quelques femmes âgées, dont plusieurs voyagent seules. Bien entendu, les conversations portent, parmi d’autres, sur ce sujet. On parle aussi de sécurité en voyage.
Notre voisine immédiate habite la région frontalière, tout près du Mexique, en Arizona. Elle se sentirait plus à l’aise dans une ville telle que Santa Fe, et c’est pour cette raison qu’elle est venue y évaluer le marché immobilier. Elle ne craint pas de voyager seule. Par contre, en apprenant que nous envisageons de nous rendre jusqu’au Pacifique, elle nous offre quelques conseils pour traverser le désert : si on tombe en panne, surtout demeurer dans le campeur, utiliser le téléphone cellulaire pour obtenir de l’aide, et refuser tout contact avec quelque étranger que ce soit ; porter une attention aux chauffeurs qui tenteraient de nous forcer à s’immobiliser sur le bord de l’autoroute… Elle ne comprend pas pourquoi nous voyageons sans arme à feu. Elle avoue qu’elle n’hésiterait pas à se servir des siennes, dont elle nous assure qu’elle sait comment s’en servir.
Nous savons qu’un grand nombre de nos voisins, dans tous les campings aux États-Unis, possèdent et voyagent avec des armes à feu… Ce n’est pas très rassurant. Cela nous rappelle que c’est le quotidien des Américains.

Post scriptun : Montréal, le 11 juillet 2016
Nous sommes de retour à la maison : neuf semaines sur la route ; 10 720 km. Nous apprenons qu’il y a une fusillade au cœur de la petite ville de Saint-Joseph, Michigan. Nous y avions flâné, toute la matinée, cinq jours plus tôt.
Merci pour ces anecdotes et ressentis ; sans jeter la pierre à qui que ce soit (manquerait plus que ça, je pourrais blesser quelqu’un !) on ne m’ôtera pas l’impression que les armes tuent plus qu’elles ne protègent…
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C’est difficile à imaginer pour nous européens ce que vous racontez là !
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En avril je me rends avec des amis dans le « deep south » et nous avons l’intention d’aller écouter du blues et du jazz. J’espère bien que personne ne nous en découragera 😉 Mais merci pour ces anecdotes savoureuses et ces petits mots très drôles pour nous européens, comme « jasette ». C’est très mignon 🙂
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