Digérer le voyage, le refaire et le raconter

Gatineau, le 6 novembre

Il y a un mois, lorsque j’ai affiché ma dernière rubrique dans ce carnet électronique, nous amorcions la dernière étape de notre voyage à travers le sud de la France.

Le mouvement social de protestation contre la réforme du régime de retraite prenait de l’ampleur et on avait annoncé la tenue de journées de grève pour la semaine qui suivrait. On avait de surplus évoqué la possibilité que les journées de grève se prolongent sur plusieurs jours, notamment, dans le secteur des transports. Nous ne savions pas comment nous réussirions à revenir de Lyon à Genève, pour la dernière étape de ce voyage. Finalement, nous avons éprouvé plus d’inquiétude que d’inconvénients, puisque nous avons pris le train régional qui assure la liaison entre Lyon et Genève, au jour et à l’heure où on l’avait prévu dans notre itinéraire original.

Le voyage continue

Tel que le philosophe Michel Onfray le souligne si bien dans sa méditation sur l’art de voyager, Théorie du voyage*, le voyage ne se termine pas au moment où on retourne dans sa région ou son pays, ni au moment où on ouvre la porte de notre domicile, qu’on ouvre les portes et fenêtres pour aérer une maison fermée depuis six semaines et qu’on reprend possession de ses biens… On gagne beaucoup à digérer les voyages que l’on fait. Lire la suite…

Sortir des sentiers battus…

Et je me laissais distraire par les sentiers qui s’écartaient de la voie principale…
J’ai toujours aimé sortir des sentiers battus… baliser de nouvelles pistes… D’aucuns préfèrent un cheminement en ligne droite, un horizon clair, la certitude des autoroutes. Je préfère explorer.

La première fois que j’ai traversé l’Atlantique, je n’avais guère plus de vingt ans, peu de possessions, le pied léger. Je savais où j’allais, mais je n’avais pas encore établi ma route. Et je me laissais distraire par les sentiers qui s’écartaient de la voie principale… au hasard des rencontres… des découvertes… À vingt ans, on ne calcule pas le temps. On a tout le temps devant soi.

Aujourd’hui, j’ai accumulé plus de quarante années de plus de bagages. L’usure du temps a ralenti le pas. Mais l’esprit n’est pas moins léger et, si je planifie beaucoup plus mon itinéraire, je n’en calcule pas moins une place, un espace, du temps pour la distraction. J’ai aussi conscience que j’ai moins d’endurance… et surtout, moins de temps à vivre, qu’il me faut l’économiser. On veut tout voir, tout entendre, tout sentir, tout vivre… il faut toutefois choisir.

On pourrait se cantonner dans les villes. Se déplacer sur les autoroutes, par autobus ou par train, ou encore d’un aéroport à l’autre, d’une ville à l’autre. Ce faisant, on limite cependant beaucoup le potentiel des découvertes.

Le monastère de Patmos, l’Acropole de Lindos sur l’ile de Rodos en Grèce, les mégalithes de Stenness ou de Calanish en Écosse, sont tous situés loin de grands centres urbains.

Lindos 1977
Lindos 1977

Ma conjointe et moi aimons tout autant la ville que la campagne. C’est pour cette raison que nous avons adopté, il y a une trentaine d’années, le camping comme mode de voyage. D’une part, c’est plus économique. D’autre part, cela offre beaucoup de flexibilité. On peut alors choisir de coucher sous la tente ou de louer une chambre d’hôtel, de préparer son repas ou de s’arrêter dans un restaurant, passer la soirée devant un feu de camp ou traîner dans des cafés en ville…

Depuis un peu moins d’une dizaine d’années, nous avons légué notre tente à notre fille. Nous voyageons dorénavant en auto-caravane. Nous sommes devenues des tortues motorisées. C’est beaucoup plus lourd, certes. Mais c’était devenu, compte tenu de notre âge, une condition pour continuer à voyager sur notre continent, l’Amérique du Nord.

Roadtrek Versatile 200
Nous sommes devenus des tortues motorisées

Lorsque nous avons décidé de retourner en Europe, nous avons choisi de conserver ce mode de transport et d’hébergement. Notre prochain voyage sera hybride : avion, train, auto-caravane (camping-car, comme on le dit en France); hôtels et terrains de camping.

Ce choix impose des défis et des contraintes, tout en ouvrant de nouveaux champs d’exploration.

Nous sommes familiers avec le camping en Amérique du Nord. En Amérique, nous savons où nous approvisionner pour le nécessaire de tous les jours; nous connaissons le système routier… Ce sera un nouvel apprentissage en Europe. Il faut prévoir s’équiper de façon différente : il y aura des bagages supplémentaires, dont la literie et le minimum d’ustensiles de cuisine, par exemple.

Par contre, ce mode de transport nous offrira l’occasion de mieux connaître d’autres dimensions des pays que nous visiterons, tel que de communiquer directement avec les gens dans les marchés publics dans les petites villes en régions pour s’approvisionner en fruits et légumes, fromages, viandes… de parcourir les routes départementales pour découvrir d’autres paysages que les attraits touristiques urbains les plus courus.

La préparation du voyage

Il y a longtemps que je n’ai pas préparé un voyage comme celui que nous ferons dans quelques jours. Du moins, pas avec autant de détails et de minutie.

Il n’y a pas si longtemps, on devait consulter des guides, lire des livres. On pouvait communiquer avec des bureaux officiels d’information touristique et commander des brochures. On trouvait l’information dans des publications.

Lorsque nous avons visité l’Écosse, il y a trente ans, j’avais lu des livres d’histoire, de sociologie, d’ethnologie, des romans; j’avais ratissé des publications sur l’actualité récente du pays, et consulté des guides spécialisés. À cette époque, je m’intéressais beaucoup aux mégalithes, ainsi qu’à l’éveil et à l’expression des identités nationales et régionales. Ce dernier sujet m’intéresse toujours d’ailleurs.

Dun Carloway, Lewis, Hébrides, Écosse, 1980
Mégalithes de Stenness, Orcades, Écosse, 1980

C’est ainsi que j’avais tracé un itinéraire approximatif. Mais c’est sur place que j’avais recueilli l’information quant au réseau de Bed and Breakfast, ainsi qu’aux modes de transport disponibles. Nous étions sortis des sentiers battus et nous avions vraiment établi de bons rapports avec les Écossais, notamment dans les pubs, mais pas uniquement dans les pubs.

On trouve l’information beaucoup plus facilement aujourd’hui, grâce à l’Internet. Mais il faut se méfier. On ne trouve pas nécessairement tout sur Internet et ce qu’on y trouve n’est pas nécessairement plus à jour que si on consultait un dépliant publié on ne sait quand.

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Il y a plus d’une quinzaine d’années, je me souviens d’avoir fait un travail en équipe dans le cadre d’un cours du programme du MBA : nous avions élaboré une stratégie d’affaires pour une agence de voyage locale.

Dans le cadre de la recherche, j’avais trouvé des sources qui prévoyaient qu’un touriste pourrait, dans un avenir proche, ouvrir son ordinateur, se brancher sur les réseaux mondiaux, réserver lui-même son hébergement, réserver un siège sur un vol d’avion, louer une voiture, voire acheter des billets de spectacles sans passer par une agence de voyage.

C’était, à l’époque, l’avenir; l’avenir s’est matérialisé beaucoup plus rapidement que je l’avais escompté.

Je peux aujourd’hui consulter Google pour tracer un itinéraire précis, en voiture ou à pied, pour aller du point A au point B, rajouter une troisième destination, et même visionner des images du parcours. C’est à se demander pourquoi se donner la peine de dépenser tant pour aller en personne voir ce qu’on peut trouver sur un écran d’ordinateur dans son logement.

Je voyage depuis des semaines, dans ma tête. Le virtuel a ses limites. Il ne remplacera pas le vécu… les rencontres que l’on pourra faire en route… les imprévus… Même le temps qu’il fera constituera une expérience, que ce soit la canicule ou la pluie.