animation souterraine

je regarde passer le métro qui arrive dans la station… sur la ligne verte… vers le centre de la ville… un matin d’hiver… j’embarque…

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à la station Berri/UQAM, je transfère, passant de la ligne verte à la ligne orange …

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je débarque… me dirige vers l’escalier roulant, et je monte vers la sortie…

… selon la journée, tout au long de la journée, de la matinée jusqu’en soirée, ou selon l’humeur du jour … atelier, cours, musée, bibliothèque, café, taïchi, flânerie ……

……

… je vis au rythme d’une ville animée, exubérante…

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Incompréhension

Magasin Laliberté, Québec

J’aime la ville. J’aime les villes.

Prendre le train au centre d’une ville, comme celle de Québec, par exemple : le train quitte la Gare du Palais, traverse les banlieues au bas de la ville, vers le sud, pour faire ce grand détour qui lui permet de prendre graduellement suffisamment d’altitude pour aller jusqu’à la gare de Sainte-Foy ; là, le train s’arrête, prend d’autres passagers, avant d’enjamber le fleuve Saint-Laurent, pour se diriger à vive allure jusqu’à Montréal. Le contraste entre la traversée des zones résidentielles et industrielles du bas de la ville de Québec et celle des paysages époustouflants des falaises de Cap-Rouge est saisissant.

Ce qui m’étonne, chaque fois que je fais un trajet comme celui-là, c’est l’ampleur des réalisations humaines : comment l’humain a réussi à s’organiser pour rassembler toutes les ressources nécessaires à la construction de ses villes et villages… de ses civilisations.

Étonnement : comment l’humain a composé ces paysages urbains où loger, nourrir, soigner, éduquer, et rassembler des centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants.

Combien de forêts ont été rasées ; combien de carrières de pierre et de gravier, combien de mines ont été creusées, afin d’extraire combien de tonnes de métaux, afin de construire des maisons, des usines, des ateliers, des bureaux, des églises et des monuments. Combien de champs cultivés, pour alimenter les marchés d’alimentation… Tous les réseaux de transport et de communications pour acheminer toutes ces matières premières, pour les transformer, et ensuite les distribuer dans combien de commerces…

Coin Jeanne d'Arc et Notre-Dame, l'usine Sucre Lantic
Coin Jeanne d’Arc et Notre-Dame, l’usine Sucre Lantic à Montréal

J’imagine, tant dans la durée que dans l’instant de chaque geste qu’il a fallu poser, la somme des activités qu’il faut accomplir pour animer cette fourmilière, tous les jours, à longueur d’années, de décennies, de siècles…

( Cahier de notes, 14 juillet 2014 )


Un an plus tard…

L’actualité me ramène les pieds à terre.

Toute cette richesse qu’on a créée, partout, sur toute la planète, et qu’on est pourtant incapable de distribuer adéquatement pour le bien-être de tous et chacun. L’ampleur des réalisations, qui résultent de la coordination des efforts de tous, est surpassée par la petitesse, la mesquinerie, la méchanceté et l’égoïsme d’aucuns. Pourquoi construire des civilisations et s’acharner à les détruire tout aussitôt ?

Réveil

Le ruisseau fleuri 5
… sur le cerisier qui surplombe le ruisseau.

Le jardin fleuri se réveille.

Pendant la nuit, des araignées ont tendu leurs pièges, qui scintillent aux effleurements délicats de la brise, comme autant d’éclairs entre les astilbes. Des libellules zigzaguent au dessus du territoire, avant de piquer dans les talles d’hémérocalles et de lys à la poursuite de points lumineux qui s’esquivent en saccades. Humant les odeurs et les parfums comme des clients distraits, des papillons folâtrent allègrement avant de se poser, pendant que, butinant d’une fleur à l’autre, les abeilles bourdonnent, méthodiques et appliquées à recueillir du pollen. Enfin, les cigales s’installent dans l’orchestre et commencent à s’accorder aux oiseaux, prélude au concert du matin. Une volière de jaseurs des cèdres se relaient, un après l’autre, pour récolter des fruits sur le cerisier qui surplombe le ruisseau.

À distance, on entend les camions qui roulent sur les boulevards qui ceinturent le Jardin botanique : la ville aussi, se réveille.

Le spectacle des villes qui s’animent à l’aube me fascine depuis toujours… surtout les villes où on débarque pour la première fois…

Suis-je venu au monde une deuxième fois à Paris, à moins que ce ne soit à Athènes ?

… Athènes, telle que la chante Mélina Mercouri…

Ma ville,
c’est bon
ne plus te voir
en rêve

Ma ville,
regarde le soleil se lève…

Ma ville
que c’est un joli jour pour naître…


Athènes… au lever du jour…

Ce matin-là, je me suis réveillé très tôt.

La lumière du jour, si faible fut-elle, s’était introduite à travers mes pupilles, aussi opaques qu’une dentelle. J’entendais déjà le bruit sourd de la ville qui perçait à travers les fenêtres de l’hôtel. Je me suis levé discrètement, pour ne pas réveiller mes compagnons de voyage. Et je suis sorti sur le trottoir.

J’ai eu l’impression qu’Athènes s’était faite splendide pour m’accueillir : une douce lumière matinale, tamisée ; les ombres encore longues ; un temps frais, calme.

Nous étions arrivés la veille, en fin de soirée, par autobus. Il faisait noir : difficile d’observer, de distinguer quoi que ce soit. La journée avait été longue : plus de quinze heures de route. Nous avions traversé toute la Grèce, du port d’Igoumenitsa, au nord-ouest,  face à l’ile de Corfou, tout près de la frontière de l’Albanie, jusqu’à la capitale, Athènes. Rendus à destination, notre priorité avait été de trouver une chambre pour dormir. Que m’importait que la nuit fut courte ; le lendemain ne viendrait jamais assez tôt !

Je m’étais endormi en laissant défiler les images de la journée qui se terminait : le débarquement dans le port, après une traversée orageuse depuis l’Italie sur la Mer Adriatique ; le voyage en autobus, sur une route sinueuse, étroite, qui, serpentant entre la falaise et le ravin, souvent donnait le vertige ; un chauffeur intrépide, aux réflexes nerveux, mais prestes, capable néanmoins de maintenir une conversation intense avec des passagers ; les voyageurs, toujours animés, qui parlaient une langue que je ne connaissais pas, hommes, femmes, enfants, vieillards, il m’apparaissait que tous avaient quelque chose à réclamer, une opinion à exprimer, des conseils à prodiguer ; les paysages, montagneux, dénudés, ravinés, parfois un lac ou un ruisseau au fond d’une gorge escarpée, puis, tout à coup, au loin, la mer, le Golfe de Patras ; les noms des lieux qui sonnaient familiers, Missolonghi, où Byron a rendu l’âme, suivi de Corinthe, puis de Megara, qui nous annonçait, enfin, Athènes.

Athènes la mythique, celle de Périclès, d’Hérodote, de Socrate, de Platon, de Sophocle et de tant d’autres, qui avaient stimuler l’imagination et alimenter mes rêves d’adolescent, pendant les classes d’histoire ancienne…

Je me retrouve enfin à Athènes, debout sur le trottoir, au milieu de la ville, sans savoir vraiment où je suis… dans quelle direction me diriger ? Où est l’Acropole, comment s’y rendre, à quelle distance ? Il faut que je marque mes repères, pour revenir à ma chambre d’hôtel. Mais d’abord, où trouver des cigarettes, et du feu… quand on ne connait pas la langue, ni les marques de commerce ?

Les gens fourmillent dans toutes les directions, rapidement, louvoyant entre eux d’un pas décidé, volontaire ; les autobus passent, la circulation est déjà dense et saccadée ; personne ne flâne sur les bancs de la place publique, de l’autre côté de la rue.

Intuitivement, je pars à l’aventure en me dirigeant vers le sud. J’accoste un fumeur sur le coin d’une rue, une personne qui semble moins pressée que les autres, utilisant un amalgame de gestes et de mots anglais, français, pour demander où acheter des cigarettes ; d’un coup de tête souligné d’un sourire, il dirige mon regard vers un petit établissement à quelques pas de distance, tout en me souhaitant kalimera, bonne journée.

Je poursuis mon chemin, sans réussir à synchroniser mon pas à ceux de cette nuée de butineurs, jusqu’à ce que j’arrive, par hasard, au marché central. Il n’est pas encore sept heures du matin que déjà des ménagères font leur marché… tout le monde est affairé, les bouchers brandissent leurs couteaux, les maraîchers disposent leurs produits sur les étalages, les boulangers servent les clients … Je trouve un coin où on sert le café, un café grec bien entendu, que je commande comme on me l’avait appris la veille, mi-sucré, et que je sirote, du bout des lèvres et de la langue… Let It Be (ainsi soit-il) : comme un buvard, j’absorbe les sensations, chaque odeur, chaque regard… j’habite cette ruche qui m’enrobe de chaleur.