
… toute la neige au sol il n’y a tout juste qu’une trentaine de jours …
muée en souvenir …
frottement des pneus
au creux de l’après-midi
déplacement d’air
devant le café
un jeudi matin d’hiver
l’éternité fige
les mains dans les poches
souffle coupé par le froid
saisie éphémère
Une journée dans Montréal à l’automne
Aux confins du quartier se trouvaient quelques usines. À l’extrémité nord-est, c’est-à-dire vers Frontenac et Ontario, il y avait la MacDonald, célèbre compagnie de tabac de Virginie, grosse ruche consommatrice d’existences humaines où des centaines de filles qui mâchaient de la gomme et que l’on disait « communes » donnaient les plus belles années de leur jeunesse, sacrifiaient souvent leur grâce et leur beauté pour gagner des salaires calculés « à la cenne » et se permettre des sorties le samedi soir dans quelques clubs de nuit de la ville, ou dans les salles de cinéma ou dans les snack—bars, vêtues chic, d’atours disparates, mis à la mode par des manufacturiers juifs, rois de la confection bon marché et de courte durée.
…
Je n’y échappe pas, comme tu vois Johnny. Parler du Faubourg à m’lasse que nous avons connu c’est parler de la vie comme elle existe ailleurs dans le monde entier, à cette différence près que ce que nous avons connu du Faubourg reste intimement imprégné dans notre âme et dans notre chair. Nous étions des enfants et nous ne savions rien des choses de la vie, sinon que ce que nous apprenions sans nous en rendre compte, à notre manière. Ces images impérissables que nous conservons d’un passé bien lointain ont fait de nous ce que nous sommes.
Marcel Dubé le faubourg à m’lasse ( Hôtel-Dieu de Montréal, le 31 janvier 1975 )
Les quartiers de Montréal évoluent…
( que ce soit un vieux quartier industriel autrefois peuplé d’ouvriers, tel le Plateau devenu plus branché depuis une génération, ou encore celui de Sainte-Marie, un des plus vieux quartiers industriels de Montréal, lui aussi en voie de changement à son tour )
… mais leur « nature » urbaine — farouche, celle qui résiste à la bétonisation — demeure la même.
…
par ailleurs, depuis quelques années, on s’efforce de l’apprivoiser, de la renaturaliser, de recréer une autre « nature » dans la ville : les ruelles vertes de Montréal, comme ici, dans Sainte-Marie …
Il fait beau ces jours-ci à Montréal.
Les journées s’allongent. La température est froide, mais agréable.
Ce matin, j’ai entendu des corneilles annoncer que l’hiver basculera bientôt vers le printemps.
Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura plus de tempêtes de neige, ni d’abondantes averses ou bordées de neige. Les plus vieux d’entre nous se souviennent que mars nous a déjà souvent réservé des surprises… le cas échéant, à cette occasion, le temps s’arrête, le silence impose la sérénité, on se replie dans la chaleur des foyers pour une dernière fois…
En attendant, on profite des belles journées de février
Le jardin fleuri se réveille.
Pendant la nuit, des araignées ont tendu leurs pièges, qui scintillent aux effleurements délicats de la brise, comme autant d’éclairs entre les astilbes. Des libellules zigzaguent au dessus du territoire, avant de piquer dans les talles d’hémérocalles et de lys à la poursuite de points lumineux qui s’esquivent en saccades. Humant les odeurs et les parfums comme des clients distraits, des papillons folâtrent allègrement avant de se poser, pendant que, butinant d’une fleur à l’autre, les abeilles bourdonnent, méthodiques et appliquées à recueillir du pollen. Enfin, les cigales s’installent dans l’orchestre et commencent à s’accorder aux oiseaux, prélude au concert du matin. Une volière de jaseurs des cèdres se relaient, un après l’autre, pour récolter des fruits sur le cerisier qui surplombe le ruisseau.
À distance, on entend les camions qui roulent sur les boulevards qui ceinturent le Jardin botanique : la ville aussi, se réveille.
Le spectacle des villes qui s’animent à l’aube me fascine depuis toujours… surtout les villes où on débarque pour la première fois…
Suis-je venu au monde une deuxième fois à Paris, à moins que ce ne soit à Athènes ?
… Athènes, telle que la chante Mélina Mercouri…
Ma ville,
c’est bon
ne plus te voir
en rêveMa ville,
regarde le soleil se lève…Ma ville
que c’est un joli jour pour naître…
Ce matin-là, je me suis réveillé très tôt.
La lumière du jour, si faible fut-elle, s’était introduite à travers mes pupilles, aussi opaques qu’une dentelle. J’entendais déjà le bruit sourd de la ville qui perçait à travers les fenêtres de l’hôtel. Je me suis levé discrètement, pour ne pas réveiller mes compagnons de voyage. Et je suis sorti sur le trottoir.
J’ai eu l’impression qu’Athènes s’était faite splendide pour m’accueillir : une douce lumière matinale, tamisée ; les ombres encore longues ; un temps frais, calme.
Nous étions arrivés la veille, en fin de soirée, par autobus. Il faisait noir : difficile d’observer, de distinguer quoi que ce soit. La journée avait été longue : plus de quinze heures de route. Nous avions traversé toute la Grèce, du port d’Igoumenitsa, au nord-ouest, face à l’ile de Corfou, tout près de la frontière de l’Albanie, jusqu’à la capitale, Athènes. Rendus à destination, notre priorité avait été de trouver une chambre pour dormir. Que m’importait que la nuit fut courte ; le lendemain ne viendrait jamais assez tôt !
Je m’étais endormi en laissant défiler les images de la journée qui se terminait : le débarquement dans le port, après une traversée orageuse depuis l’Italie sur la Mer Adriatique ; le voyage en autobus, sur une route sinueuse, étroite, qui, serpentant entre la falaise et le ravin, souvent donnait le vertige ; un chauffeur intrépide, aux réflexes nerveux, mais prestes, capable néanmoins de maintenir une conversation intense avec des passagers ; les voyageurs, toujours animés, qui parlaient une langue que je ne connaissais pas, hommes, femmes, enfants, vieillards, il m’apparaissait que tous avaient quelque chose à réclamer, une opinion à exprimer, des conseils à prodiguer ; les paysages, montagneux, dénudés, ravinés, parfois un lac ou un ruisseau au fond d’une gorge escarpée, puis, tout à coup, au loin, la mer, le Golfe de Patras ; les noms des lieux qui sonnaient familiers, Missolonghi, où Byron a rendu l’âme, suivi de Corinthe, puis de Megara, qui nous annonçait, enfin, Athènes.
Athènes la mythique, celle de Périclès, d’Hérodote, de Socrate, de Platon, de Sophocle et de tant d’autres, qui avaient stimuler l’imagination et alimenter mes rêves d’adolescent, pendant les classes d’histoire ancienne…
Je me retrouve enfin à Athènes, debout sur le trottoir, au milieu de la ville, sans savoir vraiment où je suis… dans quelle direction me diriger ? Où est l’Acropole, comment s’y rendre, à quelle distance ? Il faut que je marque mes repères, pour revenir à ma chambre d’hôtel. Mais d’abord, où trouver des cigarettes, et du feu… quand on ne connait pas la langue, ni les marques de commerce ?
Les gens fourmillent dans toutes les directions, rapidement, louvoyant entre eux d’un pas décidé, volontaire ; les autobus passent, la circulation est déjà dense et saccadée ; personne ne flâne sur les bancs de la place publique, de l’autre côté de la rue.
Intuitivement, je pars à l’aventure en me dirigeant vers le sud. J’accoste un fumeur sur le coin d’une rue, une personne qui semble moins pressée que les autres, utilisant un amalgame de gestes et de mots anglais, français, pour demander où acheter des cigarettes ; d’un coup de tête souligné d’un sourire, il dirige mon regard vers un petit établissement à quelques pas de distance, tout en me souhaitant kalimera, bonne journée.
Je poursuis mon chemin, sans réussir à synchroniser mon pas à ceux de cette nuée de butineurs, jusqu’à ce que j’arrive, par hasard, au marché central. Il n’est pas encore sept heures du matin que déjà des ménagères font leur marché… tout le monde est affairé, les bouchers brandissent leurs couteaux, les maraîchers disposent leurs produits sur les étalages, les boulangers servent les clients … Je trouve un coin où on sert le café, un café grec bien entendu, que je commande comme on me l’avait appris la veille, mi-sucré, et que je sirote, du bout des lèvres et de la langue… Let It Be (ainsi soit-il) : comme un buvard, j’absorbe les sensations, chaque odeur, chaque regard… j’habite cette ruche qui m’enrobe de chaleur.
Chaque année, à la fin du mois de mai, le Club de photo polarisé de l’Outaouais organise une activité photographique pour la saison estivale. Les membres qui le souhaitent inscrivent le sujet d’un thème sur un bout de papier, qu’ils déposent dans un chapeau. Chacun pige ensuite un des bouts de papier, en prend connaissance, accepte ou non le sujet inscrit… La dernière fois que j’ai participé à cette activité, il y a trois ans, j’ai pigé le sujet suivant : stationnements.
À première vue, ce n’est pas très inspirant. Puis…, j’ai allumé… Nous partions, ma conjointe et moi, quelques jours plus tard, pour une longue randonnée à travers l’Amérique. Je me suis dit intérieurement : quel beau défi ! J’ai conservé le petit bout de papier dans mes poches tout au long du voyage : 68 jours, 14 500 km…
Voici le reportage-photos que j’ai présenté au Club de photo, à mon retour, à la fin de l’été.