Les lettres parlent
Il y a quelques jours, ma petite fille de quatre ans feuilletait, en compagnie de sa grand-mère, un livre sur le yoga destiné aux enfants. Bien entendu, ce livre contient beaucoup d’images ; mais il est toutefois précédé de quelques dizaines de pages d’introduction dépourvues d’images. Elles tournent ensemble les pages rapidement pour en arriver au sujet, c’est-à-dire, à la section illustrée. Ce faisant, la petite s’exclame : « Il parle beaucoup le livre. »
Ma petite fille ne sait pas encore lire, mais elle comprend déjà que ces lignes de signes « parlent ». Il faut dire que ses parents et ses grands-parents lisent des livres en sa compagnie depuis les premiers mois de sa vie. Un livre est, pour elle, l’équivalent d’un jouet. Elle est membre de la bibliothèque municipale, qu’elle fréquente régulièrement avec ses parents. Quand le temps viendra, elle voudra apprendre à lire et à écrire.

C’est aujourd’hui la Journée internationale de l’alphabétisation
La lecture des rapports sur l’évolution du niveau d’alphabétisme au sein de la population adulte est décourageante. Selon les intervenants dans le domaine, la situation se détériore même. Cela n’est pas surprenant.
Il y a quelques années, j’attendais dans la salle d’accueil d’un bureau de dentiste. Devant moi, une famille : père, mère, enfant. Le père s’occupait de son petit garçon : toute leur attention était dirigée sur un appareil de jeu vidéo. Tout indiquait que le hockey monopolisait leur vie : conversation, vêtements aux couleurs du Canadien de Montréal… Je me souviens très bien de cette scène : je suis convaincu que cet enfant ne se sera pas rendu au Cegep, s’il a réussi à compléter le cycle secondaire de ses études. Quant au hockey… c’est une autre question.
Tous ceux qui ont étudié la question de l’alphabétisation le répètent : c’est bien avant l’arrivée d’un enfant à l’école que se joue son avenir. C’est à la maison que s’établissent les bases de la réussite scolaire. Si l’enfant n’a pas ouvert un livre avant d’amorcer la première année du primaire, il éprouvera de grandes difficultés à réussir.
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Un texte n’est pas une image
Dans son livre The Skin of Culture, Investigating the new electronic reality (Somerville House Publishing, Toronto, 1995), le directeur du programme McLuhan, Culture and Technology, de l’Université de Toronto, Derrick de Kherckhove fait état de recherches effectuées par des chercheurs canadiens sur le comportement des personnes qui regardent une émission de télévision.
J’ai toujours cru que la télévision était un médium passif. C’est suite à la lecture du livre de De Kerckhove, que j’ai compris que je ne connaissais pas la nature de ce médium.
De Kerckhove nous démontre comment la télévision ne « parle » pas à notre raison, mais bien plutôt à notre corps. Il nous explique quels sont les mécanismes neuropsychologiques associés à l’écoute d’une émission de télévision. C’est le corps qui, de façon inconsciente, réagit aux stimuli du médium. Quelle que soit la nature du programme ( fiction, jeu télévisé, nouvelles, documentaire, etc), il est très difficile, presque impossible de se concentrer intellectuellement lorsque l’appareil est allumé. Le médium de la télévision accorde peu ou pas assez de temps au cerveau pour réagir à ce qu’il voit et écoute ; il s’adresse presque exclusivement à l’inconscient.
Selon De Kerckhove, c’est un médium avant tout tactile, qui s’apparente beaucoup plus à l’écoute de la musique. C’est un médium oral qui crée l’homogénéisation, qui enrégimente nos sensibilités collectives, qui …
… prefers repetition to analysis and myths to facts
… In all this, TV may be doing our thinking for us — at least the part of it which requires to be quick and comprehensive. (page 18)
Tous les éducateurs devraient tenir compte des observations de De Kerckhove quant à la préparation d’un enfant à l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.
Un enfant ne sera pas prêt à apprendre à lire si ses parents n’ont pas lu un livre avec lui ou elle, de façon régulière, et ce depuis son plus jeune âge. Il le sera encore moins s’il a l’habitude de l’écoute de la télévision.
Selon de De Kerckhove, l’enfant qui n’a jamais lu et qui a l’habitude de la télévision, cherchera à « voir » la page comme s’il regardait un écran de télévision : il cherche une image, à composer une image où il n’y en a pas. Il ne « verra » pas un texte, parce qu’il cherche une image et qu’un texte n’est pas une image. Il ne trouvera pas de repères pour se retrouver sur une page de texte.
Instead of scanning text to create and store images, children who watch TV will quickly generalize from loosely connected fragments and reconstitute the object of vision. This is very different from labelling objects and stringing them together into coherent sentences.
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Il ne sert à rien de moraliser sur le médium de la télévision : ni le louer, ni le dénigrer. La télévision est un médium utile. Mais il nous faudrait mieux en connaître la nature.
La télévision ne remplace pas non plus le médium du livre. Notre cerveau gagne à se servir des deux, en mode véritablement complémentaire, comme outils pour saisir notre environnement, le comprendre et stocker l’information que nous en tirons.
Toujours aussi intéressant à lire.
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Très très intéressant. Et puis, les mots d’enfants… quelle façon poétique de dire des choses importantes.
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As always, an interesting topic and indeed , there is not a medium that replaces the written word in the form of a gorgeous book. I love reading and do it every day…a real book!
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Bravo pour cet article qui met en mots une réflexion que je me fais depuis longtemps et qui guide ma manière d’éduquer mes filles. Votre présentation de la question est claire et fine, il me semble. D’autre part, j’aime beaucoup la réflexion de votre petite-fille. Il y a une puissance poétique chez les enfants que je trouve bouleversante: ils ont tout du poète, un regard neuf, clairvoyant sur le monde et un rapport au langage dénué encore de tout a priori, de toute convention. Ils parlent avec une liberté que les plus grands poètes cherchent toujours. Et voici que la magie opère: en les écoutant vraiment, nous voyons le monde autrement!
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