
Nous arriverons à destination demain : la Plaza de Santa Fe, devant le Palais des Gouverneurs..
Quel long voyage ! Deux mois, à marcher à côté des attelages de bœufs sur la Piste de Santa Fe, sous le soleil implacable et dans la poussière depuis la place centrale à Independence, Missouri — 900 miles environ ( 1 400 km ). Nous avons choisi de prendre la voie de la montagne parce que, bien qu’elle soit plus longue que la voie de Cimarron, elle nous semble moins dangereuse.
Hier, nous avons croisé l’ancienne église que les Pueblos viennent d’abandonner, à Pecos, dans le Col de Glorietta, à plus de 2 000 m d’altitude ( 7 500 pieds ).
Nous sommes épuisés, mais heureux d’atteindre enfin notre but.
Je me mets dans la peau des commerçants qui ont voyagé le long de cette piste légendaire, pendant un demi siècle, il y a un siècle et demi et plus.
Ils ont voyagé pendant environ 70 jours. Nous avons pris une semaine pour parcourir essentiellement la même route, en prenant notre temps, en nous arrêtant ici et là, au Fort Larned, à Dodge City, au Vieux Fort Bent, pour nous immerger dans l’atmosphère du temps passé… un passé pas si lointain lorsqu’on y songe.
En 1821, le Mexique obtient son indépendance de l’Espagne. Le pays ouvre ses frontières à son voisin et veut favoriser le commerce. Santa Fe fait toujours partie du Mexique à cette époque. Il n’y a pas de route entre Santa Fe et la ville frontière de Saint-Louis, au Missouri. Plusieurs peuples autochtones dominent toujours le territoire entre ces deux villes.
Un marchand, William Becknell, saisit l’occasion. Il trace une piste et réussit à rejoindre Santa Fe à partir de Saint-Louis, inaugurant ainsi un réseau commercial entre ces deux centres urbains.
Pendant un peu plus d’un demi-siècle, cette piste sera la seule voie de communication entre ces deux villes. Éventuellement, c’est à Independence, au Missouri, qu’on assemblera des caravanes de chariots à bâche de type Conestoga, à destination, soit de l’Oregon, de la Californie ou de Santa Fe. Les chemins de fer remplaceront, dès le troisième quart du 19è siècle, toutes ces pistes.
Au début du 20è siècle, on commencera à redessiner la carte du continent : on tracera d’autres chemins, qui constitueront éventuellement le réseau des routes, de terre d’abord, puis de bitume, à deux voies, et enfin à quatre voies, les autoroutes qui sillonnent l’Amérique du Nord.
Depuis une semaine, nous roulons à bord d’une autocaravane, de Saint-Louis jusqu’à Independence ( en banlieue de Kansas City ) sur l’autoroute I-70, puis sur les routes, 56 et 50, en passant par Dodge City, Colorado, jusqu’à La Junta, poursuivant sur la 350, jusqu’à Trinidad, et enfin l’autoroute I-25, jusqu’à Santa Fe. Chemin faisant, sans s’en rendre compte, nous gagnons graduellement de l’altitude, de 315 m au dessus du niveau de la mer à Independence, jusqu’à plus de 2 000 m dans les cols de Raton ( à la frontière du Nouveau-Mexique et du Colorado ) et de Glorietta, le passage qui mène à Santa Fe.
Les douces collines fertiles du Missouri font place à la plaine aride et sèche du sud du Kansas. Les arbres se font rares et se concentrent principalement le long des rares cours d’eau. Les routes sont rectilignes. Le regard ne perçoit pas les obstacles qui ont dû découragé les voyageurs d’antan ; le moindre ravin a dû représenter un défi que nous ne remarquons même plus en roulant en moyenne à 65 miles à l’heure.
À La Junta, nous avons subi un orage violent en début de soirée, à l’abri dans notre autocaravane étanche ; le vent la bousculait un peu. Nous avons imaginé ce qu’ont pu ressentir ces voyageurs à une autre époque. C’est la saison des tornades ; la propriétaire du camping à Dodge City nous a confié qu’elle se comptait chanceuse d’avoir évité un désastre deux semaines plus tôt, alors que plusieurs tornades avaient touché la plaine dans les environs.
Depuis plusieurs jours, le thermomètre n’était jamais descendu en bas de 21 C la nuit, s’élevant jusqu’à 38 à La Junta en fin d’après-midi. Deux jours plus tard, à Las Vegas ( Nouveau Mexique ), au milieu de la nuit, nous avons dû recouvrir le lit avec les couvertes chaudes que nous avions rangées dans des tiroirs.
Encore aujourd’hui, les distances sont longues entre les villes et villages le long de ces routes. Autrefois, on laissait les bœufs qui tiraient les chariots brouter en fin de journée. Aujourd’hui, nous devons prévoir de remplir nos réservoirs d’essence ; les stations service sont espacées les unes des autres entre les villes et villages. Autrefois, on se réjouissait d’arriver au Vieux Fort Bent. Tous, humains et bêtes se reposaient quelques jours ; on s’y ravitaillait en échangeant des marchandises pour des services ; on pouvait compter sur le forgeron et le menuisier, qui pouvaient soit ferrer nos bœufs, soit réparer nos roues de bois et de métal, malmenées par la traversée d’une plaine moins plane qu’on le croirait.
Jour après jour, il faut beaucoup de résilience, de volonté, pour poursuivre son chemin. Les chariots, qu’on a surnommé les goélettes des plaines ( Prairie Schooner ), sont chargés de deux tonnes de marchandises : des tissus, des ustensiles, des biens domestiques produits dans l’est du continent, qu’on échangera contre de l’argent, du cuivre et d’autres métaux du Mexique. Au chemin du retour de Santa Fe à Saint-Louis, on ramènera du Fort Bent vers l’Est, des tonnes de fourrures ( bison, castors, et autres ) que les chasseurs et trappeurs, tant Indiens que Blancs, y ont échangées contre des fusils, des munitions, des marmites en métal, des tissus…
Il y a deux jours, peu après avoir dépasser le Col de Raton, le tachymètre de l’autocaravane nous a indiqué que nous avions roulé 6 000 km depuis notre départ il y a cinq semaines, alors que notre appareil GPS nous informait que nous étions à 6 000 pieds d’altitude…
Aujourd’hui, je n’aurai rien d’autre que des récits de voyage à offrir, à raconter, au retour de ce long voyage… faire part de mes découvertes, parler des multiples rencontres aussi avec des toutes sortes de gens…
Demain, nous irons à la Plaza de Santa Fe, devant le Palais des Gouverneurs. Santa Fe, une des plus vieilles villes du continent, aussi vieille que la ville de Québec… une ville de rencontres de peuples, une ville qui se targue d’être différente. Dans le dépliant touristique de la ville, on avertit le visiteur : ici, il n’y a rien qui presse, et vous ne devriez pas vous presser non plus ( We don’t rush here. You don’t have too, either. )





ça me fait rêver… et ces photos, vraiment très belles, me donnent envie d’aller y voir par moi-même un de ces jours… merci, Fernan…
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