Calligraphie de racines…

Au Jardin botanique de Montréal, décembre 2022

la calligraphie des racines,

à ras de pages de terre…

témoignage du temps qui passe…

au rythme des saisons,

ici et là sur la surface de mon coin du monde


Sur le bord du lac Ontario, fin d’été


Au cœur de l’automne, au Jardin botanique de Montréal


Au début de décembre, les premières neiges annoncent l’hiver à Montréal


Le printemps, au Square Saint-Louis, à Montréal

Exploration : la main qui danse sur le papier


Jeudi, 20 octobre 2022

Fin d’après-midi, sous un ciel gris pesant, contemplant ma cour-arrière, suivant le rythme d’une musique intime, ma main fait danser un bâtonnet de pastel sur du papier…

Vendredi 21 octobre

Le lendemain, en matinée, sous un ciel lumineux, je contemple le même paysage ; la main récidive, elle replonge sur le papier, elle s’amuse, elle folichonne, glissant les bâtonnets de pastel de toutes les couleurs automnales…



Mi-journée, même journée…

««« … »»»

Méditation sur le silence

…écouter le silence au sein de l’illusion du monde,
et vous vous souviendrez de la leçon que vous avez oubliée.
Jean-Louis (Jack) Kerouac

Il est vrai qu’il est aujourd’hui difficile de s’entendre soi-même dans l’ambiance de la cacophonie omniprésente des médias de masse – la présence constante de la télévision en direct à travers le monde sur tout et rien, les réseaux sociaux et Internet via l’écran d’un ordi ou d’un téléphone. Il n’y a pas si longtemps, c’était la radio qui meublait nos espaces de vie de bruits incessants – que ce soit le rythme trépident du top 10/20/100, ou du bavardage perturbant des lignes ouvertes où chacun a « une opinion qui vaut celle d’un autre ».

Nous cherchons constamment à meubler le vide dans nos vies ; nous nous écartons trop souvent au cours de ce cheminement qu’est le voyage de la vie. Le rythme du déferlement des distractions s’est accéléré ; de plus, nous nous réservons beaucoup moins de temps pour nous détacher de ce ronron de notre quotidien.

La présence de ces distractions n’est pas nouvelle. Tous les philosophes, depuis Sénèque jusqu’aux modernes, ont témoigné de l’importance de taire les bruits autour et en soi, pour dégager des espaces pour réfléchir. Il y a deux millénaires, Sénèque affirme que « le seul véritable silence est intérieur. »

Déjà, souvenons-nous, nous prenions parfois le temps de nous retirer, de nous isoler dans une maison de retraite, dans un monastère, pour nous redresser l’âme, pour retrouver nos balises. Je me souviens, il y a un demi-siècle, après avoir brûlé la chandelle par les deux bouts pendant quelques années alors que je passais de l’adolescence à l’âge adulte, j’ai pris le temps d’aller recouvrer mon souffle dans un monastère, au début d’un long voyage initiatique en Europe qui m’a emmené jusque dans l’archipel des iles grecques. À Ierapetra, en Crète, pendant quelques semaines, j’y ai suspendu le temps…

la genèse est depuis longtemps conclue

et fossilisée au fin fond des enfers et des cauchemars
et piégées dans les silences entre les synapses
les trompettes de l’apocalypse ne me taquinent plus

j’ai déposé un océan et un continent
des montagnes au nord
de l’est jusqu’à l’ouest
un croissant de baie devant la mer au sud
entre le passé et l’avenir. 

l’automne crétois est un soleil qui pendule à l’envers, d’août jusqu’en novembre
et revient, quand octobre glisse en septembre
– comme on glisse en sieste –
au rythme de la mer
au gré du vent du jour

Il y a quelques siècles, Montaigne se déleste des exigences de la vie urbaine, et se retire dans son domaine, à quelques kilomètres de Bordeaux. Descartes se réfugie en Hollande, dans une petite chambre chauffée par un poêle, où il amorce sa réflexion sur la nature de l’humain et sur l’existence de Dieu.

Quelques siècles plus tard, Kerouac a souvent témoigné de son besoin de ralentir à la fin de chacun de ses périples à travers les Amériques. Retournant chez lui, il s’attable devant sa table de travail, sa machine à écrire, afin de composer son œuvre.

Il faut toutefois du courage pour s’engager dans cette voie. N’est-ce pas le contemporain de Descartes, Blaise Pascal, qui nous confie que « le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. »

Pour sa part, dans Desolation Angels, Kerouac témoigne de son séjour, seul, sur une tour de guet d’incendie au sommet d’une montagne pendant 63 jours. Il étudie les enseignements des sages bouddhistes, et il recommande à ses lecteurs « … d’écouter le silence au sein de l’illusion du monde, et vous vous souviendrez de la leçon que vous avez oubliée. C’est un immense éveil. Nous ne sommes jamais nés, nous ne mourrons jamais. »


PS :

Quelques épiphanies : le bonheur au quotidien

Comment je me situe dans l’univers

Mi-février, assis au chaud dans un café, je contemple, le regard vide, au-delà de la fenêtre givrée, le vent balayer la neige sur la rue. J’aperçois un passant quelconque : soufflant son haleine glacée au rythme de son pas alerte, le dos courbé contre le vent, les mains dans les poches, le cou enfoncé dans les épaules de son coupe-vent… Un instant saisi, figé, dans l’évolution de l’univers… sans retour.

devant le café

un jeudi matin d’hiver

l’éternité fige


Mi-mai, délesté des pelures vestimentaires hivernales sur ma peau, je prends du temps pour remuer la terre de mon jardin ; je fais une pause pour contempler mon travail ; je savoure de vieux souvenirs qui surgissent de mon enfance, lorsque je me perdais dans mon imagination, dans la cour derrière chez-moi ou dans un bosquet au parc.

ombres en dentelles

apparaissent les bourgeons

se déboutonner

les bourgeons s’éclatent

le temps glisse entre mes jambes

je danse au présent

***

les fleurs applaudissent

toutes couleurs éclatantes

sur voûte azurée


Au creux de l’été, je marche sur le trottoir dans mon quartier ; une chaleur humide flotte sur ma peau ; le long zizillement des zigales me distrait de ma rêverie éveillée ; je ralentis mon pas…

une brise chaude

molles caresses humides

seconde éternelle

un temps écrasant

poussière d’éternité

mon regard s’échappe


Octobre, novembre, les journées s’écourtent, je prépare le retour de l’hiver… Je range les bûches à côté de la cheminée. Je m’enfonce dans mon fauteuil…

feuilles retournantes

vif sursis éblouissant

rides automnales

ombres allongées

des branches dépareillées

bise pénétrante

les souvenirs filent

tout comme l’eau sous les ponts

le temps passe vite


À l’automne de ma vie, je me promène sur le bord de la mer ; je contemple les vagues qui s’écrasent sur la plage, le temps qui passe ; j’observe les débris qui jonchent mon parcours, je contemple le chemin que j’ai tracé dans l’univers ; je ne regrette rien…

Enfin, même retraité de la vie active, je peine à me délester suffisamment l’esprit pour retrouver ces états de grâce dont j’ai conservé le souvenir… il y a si longtemps. Cette impression de trouver ma place dans l’univers.

un regard distrait

leste pas douce cadence

éternel retour

ralentir le pas

cesser de compter les heures

surprise au détour

le dos au passé

sens unique du présent

le futur qui s’ouvre

=====

Kerouac, 12 mars 1922

Monument Jack Kerouac, Lowell, Massachussetts

It was in Centralville I was born… On Lupine Road, March 1922, at five o’clock in the afternoon of a red-all-over suppertime, as drowsily beers were tapped in Moody and Lakeview salons and the river rushed with her cargoes of ice over reddened slick rocks… I remember that afternoon, I perceived it through beads hanging in a door and through lace curtains and glass of a universal sad lost redness of mortal damnation… the snow was melting.

Doctor Sax, 1952/1959, Mexico

Jean-Louis Kerouac est né à Lowell, Massachussetts, il y a cent ans aujourd’hui.

Aujourd’hui, on commémore l’événement dans sa ville natale. Il est devenu plus qu’une légende, un mythe, pas uniquement sur le plan littéraire. Encore aujourd’hui, c’est le personnage, plus que l’écrivain qu’on connait. Qui peut nommer plus qu’un livre qu’il a écrit, outre que On the Road.


Il y a deux ans, le 11 mars 2020, je présentais la dernière d’une série de trois conférences devant un auditoire de membres du programme d’Éducation 3è âge du Collège de Maisonneuve : neuf heures sur ses origines, son cheminement, son œuvre, son immense influence dans le monde entier.

Voici comment j’amorçais la première de cette série :

« La légende : le pape de la Beat Generation, un bourlingueur qui, animé par l’alcool et propulsé par des amphétamines, vagabondait avec ses amis à travers les États en courant la galipote, d’une ville à une autre.

Difficile de s’expliquer comment un dévoyé a pu composer une œuvre qui comprend presque trois dizaines de livres, des romans, des recueils de poésie, un essai sur le bouddhisme et un grand nombre d’articles publiés dans un grand nombre des revues américaines à grand tirage, le tout sur une période de guère plus d’un quart de siècle.

Encore plus difficile de s’expliquer comment cette œuvre a su retenir l’intérêt et l’attention de tant de lecteurs, dans des dizaines de langues et encore plus de pays à travers le monde entier. Il est impossible aujourd’hui, à moins d’y consacrer toute une vie, de tout lire, toutes les études, de visionner tous les documentaires, les reportages, d’écouter tous les témoignages, sur l’homme, sa vie et son œuvre.

Comment s’expliquer l’influence qu’il a exercé sur tant de créateurs ? Bob Dylan et Richard Séguin, Dany Laferrière et Patrice Desbiens, Herménégilde Chiasson et Walter Salles… Comment s’explique l’ascendant qu’il conserve, encore aujourd’hui, sur tant de gens, de toutes les générations?

On sait que Kerouac était d’origine canadienne-française. D’ailleurs, il le mentionne souvent dans plusieurs de ses écrits. Mais ce que peu reconnaissent, c’est comment et à quel point son identité canadienne-française a façonné son œuvre. »


Jean-Louis Kerouac s’est toujours identifié comme étant d’origine « canuck », c’est-à-dire canadienne-française. Il deviendra Jack Kerouac lorsqu’il commencera à s’intégrer dans la société américaine. Toute son œuvre sera une immense quête d’identité : un Canadien-français errant qui, se cherchant une identité, devient Franco-Américain, sans en être conscient. Et, quand on la lit attentivement, avec intelligence, on découvre que cette œuvre témoigne du passage de l’identité canadienne-française à celle franco-américaine au sein de son milieu d’origine.

Une grande majorité des œuvres de Kerouac peut être catégorisée comme étant de l’autofiction. Il s’inspirait de ses expériences vécues, dans son milieu familial, sa communauté d’origine, le cercle de ses amis, ses milieux de travail, pour créer des romans qui ont témoigné de l’état et de l’évolution de sa société et de son pays. Dès le début de son cheminement, il conçoit le projet d’écrire une série d’œuvres de nature autobiographique, qu’il intitule La légende de Duluoz.

Jean-Louis Kerouac, Jack Kerouac est un rhapsode contemporain — rhapsode, du terme grec rhapsein, tisser, tisser des odes, des poèmes chantés. Il cherchait sa voix, pour s’insérer dans les grands courants artistiques et littéraires de son pays, sans effacer son origine. Devenant un écrivain franco-américain, il trouve sa voix pour chanter ce qu’il vit et peindre ce qu’il observe dans son environnement.


This is a very important story because it deals with a man who was also named Jack Kerouac, and who was the father of my father…
Honest Jack was fearless. He dared God to strike him with a thunderbolt. Whenever there was a thunderstorm, he would stand on the large porch of his home and roar at the heavens, waving his bony fist at the lashing tempest...
He would use this enormous language against the storm.
The language called Canadian French is the strongest in the world when it come to words of power, such as blast and strike and others. It is too bad that one cannot study it in college, for it is one of the most languagey languages in the world. It is unwritten; it is the language of the tongue, and not of the pen. It grew from the lives of French people come to America. It is a huge language.

The Father of my Father (1941), Atop an Underwood

Jean-Louis Kerouac avait 19 ans lorsqu’il a écrit ce texte. Aurait-il pu écrire un texte semblable s’il avait évolué à Montréal par exemple, ou à Québec, à la même époque? Paradoxalement, c’est parce qu’il était canadien-français résidant en Nouvelle-Angleterre en 1941, que Kerouac a pu écrire le texte sur la langue de son grand-père et des ses ancêtres. Il faut reconnaître que s’il avait évolué dans les cercles académiques à Montréal, entre 1940 et 1960, il n’aurait jamais pu élaborer l’équivalent de ce qu’il allait accomplir au cours des années 50, ce qu’il a créé comme œuvre dans le cénacle de sa boy-gang des Beat.

Ce n’est que lorsque des Péloquin, Vanier, suivis de Charlebois ( l’Osstidcho ), mais surtout Michel Tremblay qui ont porté le parler canadien-français devenu québécois à un niveau littéraire.

Kerouac était conscient de ses limites quant à sa capacité d’écrire en français. Pierre Anctil, dans Jack Kerouac : un homme grand, explique que Kerouac n’était pas enraciné dans une véritable pratique littéraire française. Anctil ajoute que si Jacques Renaud ( Le Cassé, Parti Pris, 1964 ) et Victor-Lévy Beaulieu ( Jack Kerouac : un essai-poulet, Éditions du Jour, 1972 ) ont écrit des livres en joual, « … ce fut par ailleurs en plein possession de l’expression française classique dans le respect de ses formes grammaticales fondamentales. »

Kerouac ne parlait pas l’anglais lorsqu’il entre à l’école primaire ; il ne maîtrise pas l’anglais alors qu’il est admis à l’école intermédiaire à 11 ans. Pour la première fois, il ressent les effets des différences de classe sociale et ethnique. Il ne maîtrisait toujours pas très bien l’anglais parlé à la fin du secondaire. Néanmoins, il brille tant sur le plan académique que sur le plan sportif à l’école secondaire.

Il se vante d’avoir sécher régulièrement ses classes au niveau secondaire. Ses enseignants le savaient ; ils savait aussi qu’il passait tout son temps à la bibliothèque municipale, toujours dans le même coin, à lire les classiques, à feuilleter des livres de références, les encyclopédies.

Dans sa biographie littéraire de Kerouac, The Voice Is All : The Lonely Victory of Jack Kerouac ( Penguin Group, 2012 ), Joyce Johnson signale que si le trajet en train entre Lowell et New York durait une demie journée, le trajet psychique était autrement immense.

Avant d’être admis à Columbia, Kerouac doit passer une année complète dans une école préparatoire, la Horace Mann School. Kerouac arrive d’une ville essentiellement ouvrière. Il se retrouve dans une école où la majorité des étudiants proviennent de parents très riches. Plusieurs étudiants arrivent à l’école en automobile conduite par le chauffeur de la famille. Le choc culturel entre la petite ville industrielle et la grande métropole de New York est énorme.

Le coin de Kerouac à la bibliothèque municipale de Lowell

… during all this time I used to cut classes at least once a week, just so I could go to the Lowell Public Library and study by myself at leisure, to investigate other fragrant old books such as Goethe, Hugo…
… loving books and the smell of the old library and always reading in the rotunda part of the back where there was a bust of Caesar in the bright morning sun…

Vanity of Duluoz, Book Two, 1

Kerouac a été, toute sa vie, un lecteur boulimique. Il cherche, étudie et trouve des modèles qui s’écartent des modes classiques d’expression. Il expérimente pour arriver à exprimer une voix américaine, distincte de l’européenne. Chez Whitman et Thoreau, cette aspiration le mène vers une éthique de l’authenticité, de l’individualité, et d’une relation avec le milieu naturel ; chez Melville : la quête intense de l’absolu dans toutes ses manifestations ; chez Thomas Wolfe : l’autofiction, sa vision de la poésie de l’Amérique ; chez Proust : la chronique d’une vie, comme témoignage d’une époque ; chez Céline : une langue qui reproduit le discours, la parole orale, et le sentiment de la futilité de la vie qui se termine inéluctablement dans la mort.

Sur la base de cet héritage littéraire, et s’appuyant sur sa propre parlure canadienne, il parvient à articuler sa propre voix, son style. Joyce Johnson est peut être la personne qui a le mieux reconnu qui était l’écrivain Kerouac et surtout l’importance de sa culture canadienne dans la genèse de son style.

Elle a été témoin au jour le jour de cette démarche. Dans sa biographie littéraire de Kerouac, elle a décrit, étape par étape le cheminement de la découverte de sa voix, comment ce fut un développement ardu, intense.

Au moment de la parution de On the Road et de la critique élogieuse originale du NY Times, Kerouac est devenu, bien malgré lui, une vedette. Le livre est si populaire que, quelques semaines après le lancement, on imprime une deuxième, puis une troisième édition de son livre, pour répondre à la demande.

Ses collègues de la Beat Generation étaient, en septembre 1957, partis à Tanger, puis à Paris. Il était le seul de sa bande à être disponible pour des entrevues.

Johnson l’a accompagné au cours de la période de la sortie du roman au cours de l’automne 1957. Elle décrit dans sa biographie littéraire comment ce fut le début de la fin pour lui. Il n’était pas prêt à faire face à cette situation. Il a été incapable de s’ajuster à la notoriété. Johnson a vu, jour après jour, comment cette expérience l’a assommé, détruit.


Une partie de la collection des livres des écrivains de la Beat Generation à la Bibliothèque municipale de Lowell, Massachussetts

L’œuvre entière de Kerouac a exercé une influence énorme à travers le monde entier. Plusieurs de ses livres ont été publiés dans un grand nombre de pays, et dans plusieurs langues.

Pendant longtemps, son œuvre n’a pas été appréciée à sa juste valeur, dans les milieux littéraires de la critique et de l’édition, et encore moins dans les réseaux intellectuels et académiques. Ce n’est que tout récemment qu’on reconnait ce qu’il a accompli, son innovation sur le plan littéraire, ainsi que la profondeur de son œuvre. Toutefois, plusieurs persistent à déprécier, à remettre en question sa valeur – d’aucuns valorisent l’innovation sur le plan du style tout en dépréciant le message, ou inversement.

À l’époque actuelle, où on examine, on reconsidère ce qu’on appelle le corpus historique des œuvres qui définissent une culture, soit d’un pays ou d’une civilisation, on a commencé à y intégrer l’œuvre de Kerouac. Pas uniquement parce que tant de monde l’ont lu, en ont été marqués, mais parce qu’il fait désormais partie de cet ensemble d’œuvres qu’ont considèrent comme étant des piliers de la culture. Des œuvres ont été créées qui se réfèrent à celle de Kerouac, qui n’aurait pas créées autrement. Il fait partie désormais, dans le corpus américain à tout le moins, de cet aréopage, ce cénacle sélect de ces écrivains qu’on étudie dans les universités, en compagnie des Emerson, Twain, Melville, Thoreau, Whitman, Faulkner, Fitzgerald.


Et pour nous Québécois et nous autres descendants des premiers Canayens dispersés sur tout le territoire de l’Amérique du Nord… que représente-t-il ? Comme tant d’intellectuels, je rumine les réponses à cette question depuis quelques décennies.

Déjà, il y a plus d’un demi-siècle, Michel Euvrard posait ce questionnement dans la revue Parti Pris : beat, battus, béat, Parti pris, page 65, avril 1966.

Kerouac repose la vieille question, celle qu’inlassablement la littérature américaine n’a cessé de poser depuis ses balbutiements, et que nulle réponse ne peut empêcher une réplique, ques­tion qui par le fait même qu’il est besoin de la poser, reste nécessairement sans ré­ponse ; une question à laquelle il ne serait possible de répondre que lorsqu’elle aura cessé de se poser, et la réponse alors n’aura plus beau­coup d’importance, « Qu’est-ce que ça veut dire, être Américain ; qu’est- ce que c’est, l’Amérique? »

Il faut reconnaître qu’il y a toujours eu méfiance entre d’une part, ceux qui « trippaient » dans le courant apolitique de la contreculture, ceux qui aspiraient à une transformation graduelle de la société, par une prise de conscience de soi, par opposition d’autre part, à ceux qui étaient plus systématiques, ou méthodiques, qui souhaitaient un renversement de la société ; ces deux courants n’avaient de commun que leur désir de contester, de changer de société. Ce qui est intéressant, c’est que dans ce numéro de parti pris, il y avait la critique de Euvrard, et d’autres textes, une entrevue avec Claude Gauvreau, un poème de Denis Vanier, et une entrevue de Paul Chambeland avec Claude Péloquin. Le tout en référence à des textes des Beat, Kerouac, Corso, entre autres.

Dans Une certaine Amérique à lire : la Beat Generation et la littérature québécoise ( Édition Nota Bene, 2014 ), Jean-Sébastien Ménard identifie trois tendances au Québec, quant à l’héritage de Kerouac chez nous :

  • être beat au Québec : Claude Péloquin, Raoul Duguay, Lucien Francoeur qui, avec Denis Vanier, Patrick Straram et autres, revendiquent une filiation avec le continent tout entier ;
  • ceux qui se servent de Kerouac comme d’un miroir pour mieux parler d’eux-mêmes : Victor-Lévy Beaulieu, Jack Kerouac : essai poulet, Gilles Archambault, Le Voyageur distrait, et Jean–Noël Pontbriand, Jack Kerouac Blues ;
  • ceux pour qui Kerouac sert de relais à l’américanité québécoise : Jacques Poulin, Volkswagen Blues, Réjean Ducharme, Dévadé, Dany Laferrière, Comment faire l’amour avec un Nègre sans se fatiguer, Louis Hamelin, Le joueur de flûte, et Michel Vézina, Entre asphalte et vodka.

Selon Ménard, le thème de l’américanité devient incontournable pour analyser la quête d’identité des Québécois au cours des années 80. Le rapport à l’Amérique et particulièrement aux États-Unis, devient le centre du questionnement identitaire. Il souligne que, comme le remarque Yvan Lamonde, l’élite intellectuelle est tournée intellectuellement vers la France et est éloignée d’une culture populaire et de masse québécoise foncièrement américaine. Pour ces écrivains, être d’Amérique ne signifie pas d’oublier d’où l’on vient, au contraire, mais bien d’être tout ce que l’on est, sans pourtant effacer l’européanité de l’origine.

Ménard souligne que, contrairement à Kerouac et les Beats qui recherchent un autre mode de vie, Jacques Poulin est, dans son roman Volkswagen Blues, à la recherche de traces d’une présence française en Amérique. Il traverse l’Amérique, de Gaspé ( Jacques Cartier ) jusqu’à San Francisco ( Jack Kerouac ), sautillant d’un lieu à un autre, en se servant de documents écrits pour se guider.

Pour Laferrière, que Ménard a rencontré pour les fins de sa recherche, lorsqu’on prend la route, on n’en revient pas. Ménard estime que Laferrière et Kerouac ont beaucoup de points en commun. Le projet d’autobiographie, sous forme d’autofiction ; l’écriture qui alterne entre le passé et le présent ; l’importance du rythme de la langue, de la musique des mots et des phrases ; Kerouac aime jouer avec le langage comme un jazzman joue de son instrument. Laferrière avoue qu’il pense en créole tout en écrivant en français. L’un est fils d’immigrant, l’autre est immigrant. Il est d’avis que Kerouac aurait dû être traduit par un québécois plutôt que par des français.

Le personnage de Kerouac et des auteurs de la Beat Generation apparaissent dans plusieurs romans de Louis Hamelin. Dans Le joueur de flûte, Hamelin met en scène un personnage, Ti-Luc, dans une démarche de quête d’identité – la recherche de son père. De fil en aiguille, les aventures de Ti-Luc l’aide à trouver son identité. Ménard souligne que la Beat Generation a souvent été associée à une quête d’identité. La lecture de Howl, d’Allen Ginsberg, a permis à plusieurs personnes d’assumer leur identité sexuelle par exemple. Il donne aussi l’exemple de Johnny Depp, pour qui la lecture de On the Road a marqué sa vie et l’a aidé à se lancer comme artiste. En ce sens, la Beat Generation a joué le rôle de joueur de flûte pour toute une génération.

Le roman de Michel Vézina, Entre asphalte et vodka est le récit de la rencontre entre deux hommes. Jean, qui se lie d’amitié avec Charles, qui pourrait être son grand-père, et de leur odyssée qui les mène à leurs sources communes, en Gaspésie. Dans ce roman, il y a la présence de la figure d’un père, Victor-Lévy Beaulieu, et celle du grand-père, Kerouac, incarné dans le personnage de Charles, devenu Carl à la suite d’un exil aux États-Unis. Chemin faisant, les deux personnages se retrouvent dans leurs origines.

Ménard mentionne le franco-ontarien, Daniel Poliquin, Visions de Jude, pour étaler l’étendue des œuvres qui témoignent de cette filiation avec le courant beat, sans pour autant copier ce qui se fait aux États-Unis. Pour ma part, j’aimerais signaler l’œuvre d’un poète franco-ontarien, Patrice Desbiens, que j’ai connu il y a quelques décennies, lorsque je travaillais comme journaliste en Ontario-français. Son recueil de poésie, L’homme invisible, est innovateur… ce recueil témoigne très bien de la situation des descendants des canadiens-français qui sont nés à l’extérieur du Québec, pas uniquement en Ontario ou au Manitoba, mais aussi ceux qui écrivent en anglais, en Nouvelle-Angleterre.

L’essai de Victor-Lévy Beaulieu est écrit sous la forme d’un journal intime de sa lecture de Kerouac : pourquoi passer des heures dans un roman si jamais les mots ne vous renvoient pas à vous même? Selon VLB, qu’on le veuille ou non, Kerouac, ce « meilleur romancier de l’impuissance » comme il le qualifie, nous offre un miroir de nous-même. C’est ce qui hantait Beaulieu, lorsqu’il cherchait la conclusion à son essai : « Car le vieux mythe de l’Amérique est un serpent lové en soi, inexpugnable – cette force têtue que n’a su vaincre Jack et qui s’est vengée de façon superbe, dans le bon vin et la mauvaise bière de la Nouvelle-Angleterre. »


Après ça…

Quelques semaines avant de me lancer à nouveau dans une autre exploration de l’Amérique au printemps et à l’été 2016, les Éditions Boréal publiaient un recueil de textes inédits rédigés en français par Jack Kerouac — La vie est d’hommage.

Ces textes, qui dormaient dans les archives de Kerouac à la New York Public Library, ont été établis et présentés par le chercheur Jean-Christophe Cloutier. Ce dernier a épluché et étudié attentivement ces textes surprenants. Dans la préface au recueil, Avant Propos : Les travaux de Jean-Louis Kerouac, le chercheur nous révèle ce qu’il qualifie, avec raison, de véritable trésor.

J’ai trimbalé ce livre tout au long de ma longue virée jusqu’au Sud-Ouest, en filant sur les autoroutes et les routes de campagne de la Vallée de l’Ohio, en suivant le parcours de la légendaire Piste de Santa Fe et, enfin, en retournant vers l’est jusqu’à domicile ( https://fernancarriere.com/category/une-boucle-americaine-2016/ ).

De retour chez-moi, en poursuivant la lecture de ces textes qui m’ont fasciné et m’ont dérangé à la fois, j’ai prolongé le voyage, dans tous les sens du terme, tout en relisant et en complétant mon journal de voyage.

Ce qui m’a fasciné le plus de la lecture de ce recueil de textes rédigés en français par Kerouac, c’est la dimension identitaire de ce Franco-Américain de deuxième génération. Cette question m’a hanté tout au long du voyage que je continue en esprit, chez-moi.

En étudiant attentivement les manuscrits de Kerouac, tant les manuscrits rédigés en anglais qu’en français, Cloutier découvre que l’œuvre maîtresse de Kerouac, On the Road, dérive de premières ébauches qui ont été rédigées d’abord en français ; qu’il serait plus juste de parler de cheminement pour traduire le sens véritable de l’expression On the Road : que la véritable version française du titre devrait être Sur le chemin, plutôt que Sur la route.

Laissons Cloutier décrire ce qu’il a découvert en lisant ces manuscrits en français :

« Les textes réunis ici permettront au public de retracer l’évolution de la relation que Kerouac a entretenue avec ses origines canadiennes-françaises — son sentiment d’assimilation, de colonisé invisible en terre étrangère, son dédoublement intérieur, cette dialectique infernale entre la honte et la fierté qui le hante sans cesse de son enfance jusqu’à sa mort en 1969 — tout en mettant en évidence l’influence déterminante que le français a eue sur son développement littéraire, et conséquemment sur la littérature mondiale d’après-guerre. ( page 48 ) »

Sur le chemin de la vie, de la naissance à la mort…

Kerouac savait qu’il était un grand écrivain. Il a réussi à se positionner dans l’élysée des grands écrivains du monde. Chacun y trouve un miroir de soi… ou non.

***

Poussée dans le coin, la Russie ne lâchera pas…

Selon la revue The New Yorker, le professeur de science politique John Mearsheimer est l’un des critiques les plus avertis de la politique extérieure des États-Unis depuis la fin de la Guerre froide du siècle dernier.

Dans une conférence qu’il a prononcée il y a sept ans, Mearsheimer avait prophétisé ce qui se passe aujourd’hui. Dès 2015, il avait suggéré qu’il serait mieux pour l’Ukraine de reconnaître la perte de la Crimée et d’entreprendre les démarches visant d’une part à se neutraliser et de s’entendre d’autre part avec la Russie. Il prévoyait que, faute de se diriger sur ce sentier, le pays se disloquerait : https://www.youtube.com/watch?v=JrMiSQAGOS4. Il n’est pas nécessaire d’écouter toute sa présentation ; on peut sauter jusqu’à sa conclusion, à la 45è minute et surtout, poursuivre l’écoute jusqu’à sa réponse à la première question de l’auditoire qui en suit.

Selon Mearsheimer, l’oligarchie qui dirige l’Amérique, qu’elle soit de tendance républicaine ou démocrate, est homogène. La gang de Washington, comme il la qualifie, poursuit une politique aveugle, qui se refuse à reconnaître que le monde a évolué.

Ce n’est pas encourageant. Ainsi, nous, l’Occident et le monde par extension, sommes présentement dans un cul-de-sac.

Ce qui est encore plus inquiétant, c’est que parfois, on suit les bulletins de nouvelles comme s’il s’agit d’un film d’Hollywood. Il y a des bons et des méchants ; on applaudit les bons qui sont en train de gagner, et les méchants, qu’il faut haïr, et qui sont en train de s’enfoncer vers une défaite. En réalité, des observateurs plus indépendants qui ne sont pas inféodés aux gouvernants comme les « professionnels » des médias de masse traditionnels, soutiennent que la vérité ne correspond pas nécessairement à ce qui se passe sur le terrain. C’est plus compliqué qu’on veut nous le laisser croire — Patrick Armstrong, un ancien militaire et diplomate canadien : https://patrickarmstrong.ca/2022/03/04/russia-ukraine-2/, ainsi que Tom Luongo, un analyste américain de tendance de droite : https://tomluongo.me/2022/03/02/opening-salvos-tossed-putin-next-moves-ukraine/.

Ce qui complique la situation, c’est la dynamique interne à l’Ukraine. La présence d’organisations militaires dirigées par des militants fascistes est réelle au sein du gouvernement ukrainien. Au cours de sa campagne présidentielle il y presque trois ans, le président de l’Ukraine a promis de dés-escalader la tension avec la Russie et de proposer aux « séparatistes » du Donbass d’organiser un référendum sur leur statut au sein du pays. Comme l’expliquent les chroniqueurs Alexander Rubinstein and Max Blumenthal, une fois élu, le nouveau président, Vladimir Zelensky, un néophyte de l’exercice du pouvoir politique, a appris très tôt qu’il devait tenir compte du pouvoir des éléments fascistes au sein de son gouvernement : https://thegrayzone.com/2022/03/04/nazis-ukrainian-war-russia/. Ces derniers lui ont fait comprendre clairement qu’il n’était pas question de capituler devant l’ennemi russe. Zelensky a les mains menottées. Il n’a aucune marge pour négocier avec la Russie.

Dans cette situation, la Russie n’avait d’autre option que de commander à ses militaires de démilitariser l’Ukraine et d’éliminer les forces fascistes au sein du pouvoir au sein de l’Ukraine… quel que soit le coût à payer.

Le professeur d’économie de l’Université du Missouri à Kansas City, Michael Hudson, nous offre une perspective d’un autre angle. Il compare les intérêts spécifiques des trois groupes d’oligarques américains à ceux de la Russie et s’interroge à savoir si les stratèges de l’OTAN ont bien jauger les conséquences de la guerre qu’ils ont provoquée : https://mronline.org/2022/02/28/america-defeats-germany-for-the-third-time-in-a-century/.

L’histoire se répète. L’Occident, dont nous faisons partie, devra un jour accepter de partager plus équitablement les richesses de notre planète ; que nousne pourrons pas toujours jouir de notre confort au dépend du reste du monde. Et cela devrait commencer au sein même de nos communautés. Nous ne sommes pas sortis du bois. Et la Chine, ainsi que l’Inde, l’Iran, le Brésil et l’Afrique du Nord, observent ce qui se passe attentivement.

Quelques balises de cheminement …

… d’un phare à un autre autour de la Gaspésie –
août basculant en septembre 2021

Phare de Métis-sur-Mer, à l’entrée de la Gaspésie

Phare de la Pointe-à-la-Renommée

Il ventait beaucoup ce jour-là. Un avant-goût, aux derniers jours d’août, de l’automne qui viendrait bientôt.
Par un temps favorable, la lentille de Fresnel de ce phare projette son feu jusqu’à 80 km de distance, jusqu’à l’île d’Anticosti. C’est un site historique : en 1905, Marconi y réussi, pour la première fois dans le monde, une communication de télégraphie sans fil avec un navire au large.

La lentille Fresnel projette son jet de lumière à de très longue distance
Perché sur une falaise dominant le fleuve Saint-Laurent, à l’Anse-à-Valleau

Là où le fleuve rejoint le Golfe Saint-Laurent, au Cap-des-Rosiers…
…le Phare de Cap-des-rosiers…
… le plus haut phare du Canada domine l’entrée du fleuve.

Phare de Cap d’espoir
Phare de Carleton-sur-Mer


Plus ça change…

Encore une fois, on se retrouve coincé entre le marteau et l’enclume.

Au sujet de la sécurité mutuelle des peuples de l’Europe, l’historien américain H. Bruce Franklin n’hésite pas à comparer la confrontation entre la Russie et les États-Unis ces jours-ci à la crise de Cuba il y a soixante ans. D’ailleurs, il y a quelques jours, un diplomate russe a refusé de se prononcer sur la possibilité de fournir des armes militaires au Venezuela, au Cuba ou au Nicaragua. Plusieurs observateurs s’interrogent, non seulement des spécialistes des relations internationales, mais aussi des personnes qui se sont toujours intéressés à ces questions ; comment sommes-nous encore une fois face à la menace d’une nouvelle guerre mondiale?

Pendant toute la deuxième moitié du siècle précédent, le Canada a pratiqué une politique relativement neutre dans le monde. Depuis un peu plus une décennie, le Canada a modifié sa politique internationales. Des voix s’élèvent pour remettre en question la position du Canada dans ce conflit ; L’aut’journal publie aujourd’hui une déclaration de groupes de paix et organismes de la société civile qui s’expriment « … très inquiets du rôle militaire canadien qui fomente une escalade du conflit en Ukraine entre l’Organisation du Traité d’Atlantique-Nord (OTAN) et le gouvernement de la Fédération Russe ». Entre autres, ils demandent au gouvernement canadien de retirer toutes les forces armées canadiennes de l’Europe de l’Est.

Nous sommes nombreux à nous inquiéter de l’évolution de ce conflit. J’ai déjà témoigné de mes hantises au cours des années : « On a parfois l’impression de vivre à une époque spéciale, un tournant dans l’histoire. La noosphère prend conscience d’elle-même. Mais cette conscience de soi deviendra-t-elle assez vive pour nous inciter à adopter les mesures nécessaires afin d’éviter de nous autodétruire ? » Et voici que les cauchemars qui nous hantaient depuis notre enfance reviennent nous inquiéter aujourd’hui.


Chronique de mes cauchemars : mise à jour

Janvier 2022

J’ai l’impression d’avoir vécu toute ma vie sous la menace d’un événement ou d’un accident qui déclencherait une tempête parfaite, à l’échelle mondiale.

Dans l’ambiance de la Guerre froide, particulièrement au cours des années 50 et 60, la menace d’une guerre nucléaire faisait partie de la normalité dans notre environnement. Au cours de la décennie des années 50, on nous faisait faire des exercices dans les écoles pour nous préparer à l’éventualité d’une attaque nucléaire, en nous faisant s’accroupir sous nos pupitres, en attendant l’horreur.

J’avais presque neuf ans, au mois de novembre 1956. Nous habitions sur la base d’aviation de Saint-Hubert, en banlieue de Montréal. Chaque jour, la télévision monopolisait notre attention dans le salon familial en début de soirée. Je me souviens vivement des images des chars d’assaut soviétiques qui ont paradé dans les rues de Budapest, en Hongrie ; je me souviens aussi des images des avions de chasse et des bombardiers qui survolaient le Canal de Suez.

À cette époque, j’écoutais attentivement l’émission hebdomadaire Point de mire, animée par René Lévesque. Je ne comprenais pas toutes ses analyses sur les enjeux de ces conflits. Toutefois, la grande attention et l’inquiétude palpable des adultes qui l’écoutaient et qui s’en parlaient, me faisaient saisir que l’heure était grave. Je me demandais ce qu’il arriverait si l’un de ces conflits dégénérait. Intuitivement, je comprenais déjà que la guerre n’était pas uniquement une activité glorieuse, comme le cinéma nous le contait.

Au début des années 60, la guerre froide atteint un sommet : nous avons collectivement retenu notre souffle, pendant plusieurs jours, au moment de la Crise de Cuba.

En octobre 1962, ma famille était installée sur la base d’aviation de North Bay : à cette époque, j’étudiais au Petit Séminaire d’Ottawa. Un soir, à la fin de la période d’étude en soirée, le préfet de discipline nous annonce que les Soviétiques avaient installé des missiles nucléaires à Cuba et que le gouvernement américain avait décrété un blocus autour de ce pays. Il nous enjoignait de nous recueillir afin de prier pour une résolution du conflit.

Mon père travaillait dans le complexe souterrain canado-américain du NORAD, quelque part sous la base d’aviation. C’est de ce lieu qu’on aurait déclenché le lancement des missiles nucléaires en riposte à une attaque nucléaire soviétique au-dessus du territoire du continent nord-américain. Nous savions que ces missiles, des Bomarc, étaient situés près de la base militaire de North Bay, mais nous ne savions pas où exactement. J’appréhendais ce qui pouvait arriver si mon père se trouvait isolé au fond du « trou », comme on le qualifiait, alors que ma mère et mes frères et sœur demeureraient à la surface, au centre d’une des cibles probables d’un missile intercontinental venant du nord.    


Kansas City, Missouri, 8 juin 2016

Traversant Kansas City sur l’autoroute I-70, juin 2016

Deux décennies plus tard, le président américain Ronald Reagan avive à nouveau les tensions en lançant un programme d’armement nucléaire de guerre spatiale.

En novembre 1983, au moment où la tension est la plus vive entre les États-Unis et l’Union soviétique, le réseau de télévision ABC diffuse un téléfilm, The Day After ( Le Jour après ), qui met en scène, de façon très réaliste ce qui se passerait si la situation dégénérait et qu’un échange nucléaire avait lieu. La description des événements est très réaliste.

La panique s’empare de la population. Dans les campagnes, les gens assistent au lancement des missiles qui surgissent des silos sous terre au milieu des grandes plaines américaines. Toute la population quitte les milieux de travail pour rentrer à la maison le plus rapidement possible ; tous se ruent dans les supermarchés pour s’approvisionner ; les gens se trouvent emprisonnés dans des embouteillages monstres lorsque les missiles venus de l’URSS commencent à exploser. La diffusion de ce téléfilm a un impact immense.

L’action du film a été filmée dans les environs des villes de Lawrence au Kansas et à Kansas City, Missouri. Environ trente années plus tard, en juin 2016, lorsque je roulais sur l’autoroute I-70 à travers la ville de Kansas City et que je contournais la ville de Lawrence quelques minutes plus tard au mois de juin 2016, mon regard s’échappait à l’horizon à scruter les grandes étendues des plaines de chaque côté de l’autoroute, pour tenter de deviner où pourraient se situer les silos souterrains… détecter de la vapeur qui s’échapperait soudainement du sol, un couvercle qui s’ouvrirait, un missile balistique qui s’élèverait tranquillement pour se dégager, et prendre son élan vers le ciel, vers le continent de l’Eurasie, au nord, au-delà de l’océan arctique.

Je me souvenais des images du visionnement et de l’impact que ce téléfilm avait eu sur moi. Nous n’avions pas encore célébré le premier anniversaire de notre fille lors de cet événement médiatique.

Souvent, au cours des années suivantes, lorsque j’étais pris dans un bouchon de circulation au moment de retourner chez-moi, à la fin d’une journée de travail, il m’arrivait parfois d’être hanté par les images du téléfilm : comment m’y prendrais-je pour traverser une ville paniquée, afin de rejoindre ma famille en banlieue, avant que des missiles intercontinentaux à têtes multiples déversent leurs charges au-dessus de nos têtes. Et même si je parvenais à me rendre à temps, je savais néanmoins que nous ne pourrions pas échapper à l’inévitable…


Même si le rapport entre le peuple américain et ses militaires m’intrigue depuis longtemps, je n’y avais jamais accordé autant d’attention qu’au cours de mes trois longs voyages aux États-Unis, en 2011, 2014 et 2016. Ce n’est pas que j’avais prévu de le faire, mais plutôt qu’une série d’observations me l’y ont incité.

Mon père a passé la plus grande partie de sa vie active comme commis dans la Royal Canadian Air Force et subséquemment, au ministère de la Défense nationale. J’ai vécu une partie de mon enfance sur des bases d’aviation, dans les quartiers résidentiels réservés aux familles des militaires ; ainsi, j’ai mariné dans un bain de culture militaire au sein du foyer familial.

Même si, comme un très grand nombre des membres de ma génération, je sois devenu pacifiste, opposé aux guerres impériales et colonisatrices, je ne suis pas pour autant forcément rétif à toute forme d’institution militaire. Tous ceux qui ont le moindrement étudié l’histoire savent que toute société le moindrement organisée doit prévoir d’avoir à parer aux ambitions psychopathes de ses voisins plus ou moins proches ou lointains.

Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, le Canada a développé une expertise dans le domaine de la résolution des conflits armés, en se déployant comme force d’interposition, au nom de l’ONU, entre belligérants un peu partout dans le monde. Depuis le début du siècle, le gouvernement canadien a modifié sa politique internationale, et c’est dommage : il est en train de créer une nouvelle image des militaires, sur le modèle de celle des Américains.

Il y a toujours eu un courant pacifiste aux États-Unis. Ce courant a été très actif il y a une cinquantaine d’années, lorsqu’il s’est manifesté pour s’opposer à la guerre au Vietnam. À la fin des années 60, mes colocataires et moi-même avions hébergé un objecteur de conscience américain.

Dans la deuxième moitié des années 60, lorsque j’ai amorcé mes études en philosophie à l’Université, j’ai commencé à me renseigner sur les mouvements de luttes de libération nationale à travers le monde, sur les mouvements étudiants inspirés par la lutte pour les droits civiques des Noirs américains, sur les tactiques de désobéissance civile, sur l’histoire des mouvements progressistes en Amérique du nord… En 1966-1967, nous étions peu nombreux à nous intéresser à ces mouvements. C’est dans le sillage de cette évolution que je suis devenu pacifiste.

À cette époque, associée à la lecture de nombreux essais philosophiques et de romans, ceux de Herbert Marcuse, de John Steinbeck, et d’André Malraux parmi d’autres, la lecture du manifeste du Port Huron Statement de la Student for Democratic Society avait beaucoup contribué à former ma vision du monde. Ce manifeste me donnait une piste de réflexion pour guider les formes de mon engagement social.

We are people of this generation, bred in at least modest comfort, housed now in universities, looking uncomfortably to the world we inherit

We had questionned the unrestrained materialism of our parents’ generation. We had somehow sensed that such wanton consumerism was wasteful and on the long-term ruinous. It took more than a decade before energy conservation became the norm, at least in principle…

When we were kids the United States was the wealthiest and strongest country in the world: the only one with the atom bomb, the least scarred by modern war, an initiator of the United Nations that we thought would distribute Western influence throughout the world. Freedom and equality for each individual, government of, by, and for the people – these American values we found good, principles by which we could live as men. Many of us began maturing in complacency.  

SDS, Port Huron Statement, 1962


Il y a une trentaine d’années, à la veille de mon quarantième anniversaire, j’ai commencé à rédiger un journal personnel en anglais dans le cadre d’un cours de perfectionnement en rédaction dans cette langue. Quatre mois plus tard, je remettais un « essai » d’une dizaine de pages. Ce texte s’intitulait « On the Eve of Turning Forty ».

C’était le bilan d’un homme, encore jeune, qui avait vécu le Flower Power une vingtaine d’années plus tôt, qui avait participé activement aux mouvements sociaux et politiques de son époque… et qui prenait acte de l’embourgeoisement de sa génération, celle qui avait contesté non seulement les guerres impériales et la course aux armements nucléaires, mais qui avaient aussi remis en question le matérialisme ambiant de notre société.

Time has taught me that we may not yet be any wiser than our precedessors in managing our world, or any part of it.

… et ainsi de suite. Quelques lignes plus loin, je reconnaissais que le « mouvement » avait ralenti, qu’il s’était essoufflé. J’affirmais que je croyais que l’esprit de ce mouvement demeurait latent, prêt à ressurgir au moment opportun.

Une trentaine d’ans plus tard, je constate que ma génération n’a pas mieux fait que la précédente.

Je serais mal placé pour lancer la première pierre de blâme à qui que ce soit. Nous faisons tous partie d’un troupeau qui se lance aveuglément devant la falaise, prêts à se lancer dans le vide… Nous sommes en crise certes. Mais ce n’est pas uniquement une crise économique ou diplomatique/militaire, voire écologique : c’est toujours, comme ce l’était dans le passé, une crise de valeurs… de valeurs morales.

R.I.P. Michèle Lalonde – Speak White — L’envers des jours

Michèle Lalonde a exprimé si bien ce qui nous rognait le cœur lorsque elle a déclamé son poème Speak White en public, il y a un demi-siècle.

Je l’ai écoutée, encore une fois, aujourd’hui…

Ce texte est aussi important pour nous, que l’a été d’autres discours, d’autres allocutions qui ont fait vibrer d’autres peuples, d’autres communautés, dans un passé plus ou moins lontain… I have a dream, de Martin Luther King, ou Howl, de Allen Ginsberg…

C’est un texte qui assomme, qui nous coupe toujours le souffle, suscitant des souvenirs que ceux qui se définissent aujourd’hui comme étant éveillés ne comprendraient pas, obnubilés dans les brouillards de leur honte de soi. On nous fait toujours comprendre que notre langue n’a pas le même statut que la langue de l’Empire, dont nous sommes toujours les sujets.

Je partage ce pincement de cœur que Francine Hamelin décrit si bien… Comme elle le soutient, plus ça change, plus c’est pareil.


C’est avec un pincement au coeur que j’ai appris le décès de Michèle Lalonde, grande écrivaine québécoise qui a toujours défendu notre langue avec force et conviction. Speak White («parlez blanc») est d’abord et avant tout une injonction raciste empruntée aux esclavagistes du sud des USA, lancée par les Canadiens anglophones à celles et ceux […]

R.I.P. Michèle Lalonde – Speak White — L’envers des jours

La flamme d’une chandelle, de Gaston Bachelard

Une rêverie au cours d’une soirée sereine

Au rythme d’une longue méditation, d’une contemplation, je prolonge ma relecture de La flamme d’une chandelle de Gaston Bachelard… relisant parfois des phrases, des paragraphes, des pages entières, ruminant… inspiré… solitaire, me haussant à la verticalité d’une flamme de chandelle…

Ressuscité du fond d’un tiroir de la mémoire, le souvenir d’une soirée, il y a environ un demi-siècle, où, illuminé par la lecture de ce poème philosophique, j’avais étudié comment saisir une image de cette flamme…

Quelques glanures d’envoûtement…


La solitude du rêveur de chandelle

Quelle révélation fut pour moi le Dictionnaire des onomatopées françoises du bon Nodier. Il m’a appris à explorer avec l’oreille la cavité des syllabes qui constituent l’édifice sonore d’un mot. Avec quel étonnement, avec quel émerveillement, j’ai appris que, pour l’oreille de Nodier, le verbe clignoter était une onomatopée de la flamme de chandelle ! Sans doute, l’œil s’émeut, la paupière tremble quand la flamme tremble. Mais l’oreille qui s’est donnée tout entière à la conscience d’écouter a déjà entendu le malaise de la lumière. On rêvait, on ne regardait plus. Et voici que le ruisseau des sons de la flamme coule mal, les syllabes de la flamme se coagulent. Entendons bien : la flamme clignote.

Les trois syllabes de la flamme de chandelle se heurtent, se brisent l’une contre l’autre. Cli, gno, ter, aucune syllabe ne veut se fondre dans l’autre. Le malaise de la flamme est inscrit dans les petites hostilités des trois sonorités. Un rêveur de mots n’en finit pas de compatir avec ce drame de sonorités.

Ah ! ces rêveries vont trop loin. Elles ne peuvent naître que sous la plume d’un philosophe perdu dans ses songes. Il oublie le monde d’aujourd’hui où le clignotement est un signe étudié par les psychiatres, où le « clignotant » est une mécanique qui obéit au doigt de l’automobiliste.


La verticalité des flammes

Mais, avant de philosopher, peut-être faut-il revoir; peut-être, faute de revoir, faut-il réimaginer ce rare phénomène du foyer quand la flamme tranquille détache de son être des flammèches qui s’envolent, plus légères et plus libres sous le manteau de la cheminée.

Et quand la sur-flamme reprenait existence, vois, mon enfant, me disait la grand-mère, ce sont les oiseaux du feu. Alors, moi-même rêvant toujours plus loin que paroles d’aïeule, je croyais que ces oiseaux du feu avaient leur nid au cœur de la bûche, bien caché sous l’écorce et le bois tendre. L’arbre, ce porte-nids, avait préparé, tout au cours de sa croissance, ce nid intime où nicheraient ces beaux oiseaux du feu.


La lumière de la lampe

C’est à la vie lente que nous ramène la compagnie vécue des objets familiers. Près d’eux, nous sommes repris par une rêverie qui a un passé et qui cependant retrouve chaque fois une fraîcheur. Les objets gardés dans le « chosier », dans cet étroit musée des choses qu’on a aimées, sont des talismans de rêverie. On les évoque, et déjà, par la grâce de leur nom, on s’en va rêvant d’une très vieille histoire. Aussi, quel désastre de rêverie quand les noms, les vieux noms s’en viennent à changer d’objet, à s’attacher à une autre chose que la bonne chose du vieux chosier !

Ceux qui ont vécu dans l’autre siècle disent le mot lampe avec d’autres lèvres que les lèvres d’aujourd’hui. Pour moi, rêveur de mots, le mot ampoule prête à rire. Jamais l’ampoule ne peut être assez familière pour recevoir l’adjectif possessif. Qui peut dire maintenant : mon ampoule électrique comme il disait jadis : ma lampe ? … L’ampoule électrique ne nous donnera jamais les rêveries de cette lampe vivante qui, avec de l’huile, faisait de la lumière. Nous sommes entrés dans l’ère de la lumière administrée. Notre seul rôle est de tourner un commutateur. … Un doigt sur le commutateur a suffi pour faire succéder à l’espace noir l’espace tout de suite clair. Le même geste mécanique donne la transformation inverse. Un petit déclic dit, de la même voix, son oui et son non. … Mais, en acceptant la mécanique, le phénoménologue a perdu l’épaisseur phénoménologique de son acte.


Post-scriptum :

Relisant, depuis quelques jours, cette rêverie de Bachelard sur la flamme d’une chandelle, d’une lampe à l’huile, je me suis souvenu aussi de mon passage dans les galeries du Louvre à peu près à la même époque, il y aura cinquante ans dans quelques mois. Ce n’est pas le tableau de la Joconde qui a retenu le plus mon attention, mais plutôt, plus que d’autres tableaux, ceux de Georges de La Tour, La Madeleine à la veilleuse entre autres, mais particulièrement le Saint-Joseph charpentier.

L’étude attentive du jeu de la lumière d’une chandelle dans plusieurs tableaux de La Tour, m’avait certes fasciné. Mais aussi, qu’à chaque fois que j’examinais une image du tableau de Saint-Joseph charpentier au cours des années subséquentes, je me suis graduellement rendu compte que ce fut la première fois que j’ai pris conscience que je pourrais devenir père un jour. Mais cela, c’est une tout autre histoire.

Il y a un demi-siècle aujourd’hui…

La tempête du siècle, le 4 mars 1971

Les vieux ( c’est à dire, les plus de soixante ans ) se souviendront d’une tempête qui nous a tous marqués dans notre coin de l’univers. Sur une période de trois jours, cette tempête avait versé plus d’une quarantaine de centimètres de neige sur le nord-est du continent, du sud du Québec jusque dans les provinces de l’Atlantique et les États de la Nouvelle-Angleterre. Des rafales de vents violents atteignant par endroit jusqu’à une centaine de km/h avaient, par endroit, soufflé cette neige jusqu’au deuxième étage de plusieurs maisons. Nous avions tous été pris par surprise. Plusieurs employés ont dû dormir sur leurs lieux de travail et des écoliers ont passé la nuit dans les salles de classe ou les gymnases.
— Consulter les liens ci-bas pour plus de renseignements et images de cette tempête :

À cette époque, je partageais, avec des amis, un appartement au deuxième étage d’une maison, sur la rue Besserer, dans le quartier de la Côte de sable, à Ottawa. Nous avions assez de provisions sur les étagères et dans le réfrigérateur pour durer quelques jours. Entre les bulletins de nouvelles à la radio que nous captions de temps à autre pour nous tenir au courant de l’actualité, nous avons écouté et réécouté notre collection de vinyles tout en lisant ou en jasant de choses et d’autres, jour et nuit, au chaud, dans un nuage d’odeurs variées, de cuisine, de thé et de café, d’alcool et de cigarettes et autres fumées…

À la fin de la tempête, tôt le matin, j’étais sorti pour contempler l’état des lieux : tout était d’une blancheur éblouissante.
On commençait à dégager les principales artères urbaines. J’avais réussi à exécuter péniblement quelques pas à travers les amoncellements de neige sur la rue vers la première intersection, assez pour me convaincre que j’avais pris la mesure de tout ce que j’avais à comprendre.
À l’intersection de l’artère principale, j’ai bifurqué à droite, allongé quelques pas supplémentaires, jusqu’au petit restaurant, une pièce, sans prétention, deux tables, quelques tabourets ; trois femmes d’un certain âge, se partagent l’espace de la cuisine derrière le comptoir. Elles y attendaient leur clientèle habituelle.
J’ai pris le temps de savourer un déjeuner, au comptoir : deux œufs, des rôties, un café…
Voici ce que j’ai griffonné de retour chez moi :


l'après-tempête façonne tout un parc,
sous une pleine-lune

sur une côte de sable


au lever du jour,
trois vieilles enneigées y dissipent les temps

on y entre : trois tantes y ont le temps
on y parle : on y devise du passage de la tempête

et pendant qu'on y placote le quotidien
avec l'âge des temps, deux œufs et un café

la gentillesse ordinaire du long temps des âges


Côte de sable, Ottawa, Hiver 1973