Prendre son temps en voyage

Au parc écologique de l’Anse Saint-Pierre : une vue magnifique sur le Saint-Laurent et le Lac Saint-Pierre et un poste idéal pour l’observation des oiseaux.

Le rythme de nos vies s’est accéléré depuis quelques décennies. Il en va de même en voyage : on est pressé de se rendre à destination, ou de faire le tour de la région qu’on veut visiter. On a si peu de temps pour tout voir, goûter, sentir, entendre, toucher.

Il y a deux ans, au cours de l’été 2012, nous avons décidé de revenir de Québec à Montréal au rythme de la lenteur. La revue Camping Caravaning a publié un reportage que je lui avais soumis sur cette expérience. Voici la version numérique de ce reportage ( accès limité aux membres enregistrés de la FQCC ) : Québec-Montréal, au fil de l’eau sur la 132.

Conjuguer ses histoires (2)

Il y a longtemps, lors de conversations avec des membres de ma famille, j’ai appris que mon aïeul en terre d’Amérique s’appelait Pierre Jamme, ou Gemme. J’ai retenu aussi qu’il était originaire du Calvados, en Normandie ; qu’il était arrivé avec un régiment militaire et qu’il s’était établi dans la région de Montréal ; que ses descendants avaient progressivement migré vers l’ouest en passant dans la région de Saint-Eustache avant de traverser la rivière des Outaouais il y a un peu plus d’un siècle. Ma connaissance de mon histoire familiale se résumait à ces quelques lignes.

J’ai voulu en savoir plus en revenant de mon dernier périple à Ottawa il y a quelques semaines. Depuis ce moment, je fouine sur Internet, voir ce que je pourrais y trouver.

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Surprise … une histoire digne d’un film romantique

Mon aïeul, Pierre Jamme est originaire de Lantheuil, tout près de Bayeux en Normandie. Il s’engage dans une des Compagnies franches de la Marine, qui avaient été dépêchées en Nouvelle France afin de protéger la colonie contre les Iroquois à la fin du 17ième siècle. La colonie française était englobée dans une lutte de pouvoir pour le contrôle du commerce des fourrures, entre les nations amérindiennes d’une part et les autres colonies européennes dans le nord-est de l’Amérique du Nord.

Pierre Jamme arrive à Montréal au début de l’été 1687, au moment où des troupes partent en campagne militaire contre les Iroquois. Le jeune homme est affecté à la garnison du Fort de La Présentation, dans l’ouest de Montréal. La carrière militaire qu’il projetait fut toutefois de brève durée, d’où le surnom de « Carrière » que ses camarades lui accordèrent et que ses descendants conservèrent pendant deux siècles.

Au moment où il arrive au pays, au cours des années 1680, les habitants sont tenus de loger les soldats. C’est ainsi que le jeune soldat se retrouve chez Pierre Barbary, lui-même un ancien militaire. C’est là qu’il fait la connaissance d’une des filles de son hôte, Marie-Madeleine. Un an plus tard, il demande à Monsieur Barbary la permission de marier sa fille. Le mariage a lieu quelques mois plus tard, au mois de février 1689.

Au cours de la nuit du 4 au 5 août 1689, Pierre Jamme dit La Carrière est de garde au Fort de La Présentation, tout près de la Lachine. C’était, selon les récits des événements, une nuit terrible, une nuit d’orage, de grands vents, de grêle… tout ce qui, dans un scénario de film, nous prédispose à un tragique événement. C’est exactement ce qui se passa tôt le matin du 5 août.

Durant la nuit, profitant du mauvais temps pour masquer leur arrivée, des centaines d’Iroquois traversent le Lac Saint-Louis et vont se poster aux abords de Lachine. Dès le lever du jour, ils attaquent le village : une véritable tragédie qui marqua la colonie entière de la Nouvelle-France.

Si Pierre Jamme n’avait pas passé la nuit à son poste, il se serait probablement retrouvé parmi les dizaines de victimes du Massacre de Lachine. Les beaux-parents de mon aïeul furent tués. Sa jeune épouse, Marie-Madeleine fut épargnée. Elle fut amenée en captivité avec son jeune frère et deux de ses jeunes sœurs en pays iroquois. Ce n’est qu’une douzaine d’années plus tard que Marie-Madeleine put retrouver son époux, Pierre, à l’occasion d’un échange de prisonniers entre Iroquois et Français. Cet échange servit de témoignage de bonne foi préliminaire à la signature de la Grande Paix de Montréal en 1701.

Au cours des années subséquentes, Pierre et Marie-Madeleine s’établirent dans l’ouest de l’ile de Montréal, où ils eurent plusieurs enfants, dont deux fils qui ont transmis leur patronyme aux générations suivantes : Thomas et Jean.

Les descendants de Thomas et Jean Jamme dit Carrière migrèrent progressivement vers l’ouest, s’établissant d’abord à Saint-Eustache et dans la région de Mirabel, le long de la rivière des Outaouais. Peu après la Rébellion des Patriotes de 1837-38, les membres de la famille cessèrent de s’appeler Jamme, pour adopter le nom de Carrière. La famille se dispersa, au cours des décennies suivantes, vers l’est et le nord-est ontarien. Un petit nombre iront s’installer dans l’ouest et le sud-ouest américain. Vers 1880, deux fils de Joachim Jamme (Gemme) dit Carrière, Basile et Joachim Carrière traversèrent la rivière des Outaouais. Joachim était le père de mon grand-père.

Questionnements

L’histoire que je raconte ici est un condensé de ce que j’ai pu glané de diverses sources, pour la plupart inscrites sur des serveurs dans le vaste réseau de l’Internet. Ces sources divergent quant aux détails de certaines dates et certains événements, mais elles convergent lorsqu’on examine d’un regard panoramique l’ensemble du tableau. Toutefois, l’esprit s’interroge lorsqu’on commence à étudier certaines perspectives de près. Des questions s’imposent : comment entremêler l’histoire personnelle à celle de la collectivité ? pourquoi les descendants de mes ancêtres ont-ils quitté leurs terres pourtant fertiles de l’ouest de l’ile de Montréal, pour migrer vers Saint-Eustache et recommencer à neuf ? qu’est-ce qui les aurait incités à laisser tomber leur nom, Jamme, pour adopter le surnom de Carrière ? d’autant plus qu’il semblerait que toutes les branches de la famille, déjà très touffues, semblent l’avoir fait simultanément, partout … Il reste très peu de Jamme dans les répertoires téléphoniques au Canada.

Il y a quelques semaines, j’ai assisté à un rassemblement politique, en appui au projet de Charte des valeurs québécoises proposée par le gouvernement du Québec. J’ai rédigé quelques observations sur le déroulement du débat que ce projet suscite au sein de la population encore aujourd’hui, plus de deux mois plus tard. Le colloque auquel j’ai participé devait avoir lieu dans un amphithéâtre de l’Université du Québec à Montréal. Toutefois, pour des raisons qu’ils n’ont pas expliquées, les organisateurs ont dû modifier le lieu du rassemblement à la dernière minute.

La réunion a donc eu lieu à la Maison Ludger-Duvernay, rue Sherbrooke, à Montréal. La salle était trop petite eu égard au nombre des personnes qui se sont présentées pour y assister. Plusieurs d’entre nous ont dû écouter les discours dans une salle adjacente, sans voir les orateurs. Je me suis donc retrouvé devant un mur… où je pouvais contempler un grand tableau, une belle peinture montrant des Patriotes réfugiés derrière des fenêtres, tirant sur les troupes anglaises (loyalistes) au cours de la Bataille de Saint-Eustache (décembre 1837).

En attendant le début des discours, j’ai confié aux gens qui m’entouraient que j’avais appris, quelques jours plus tôt, que mes ancêtres se trouvaient dans la région de Saint-Eustache à l’époque de la Rébellion des Patriotes, tout en ajoutant que je souhaitais que ceux-ci aient appuyé la Rébellion.

Il y a quelques jours, j’ai découvert que des membres de la famille ont été arrêtés, accusés de haute trahison et emprisonnés pendant quelques années. L’Église officielle et les partis au pouvoir se méfiaient de ceux qui descendaient de parents qui avaient participé à la Rébellion. Dans ces circonstances, il ne serait pas surprenant que mes ancêtres aient décidé de modifier leur nom. C’est une hypothèse : un changement de nom peut alléger le fardeau qu’ont dû porter les membres de la famille au cours des décennies suivantes.

Toutes ces recherches suscitent beaucoup d’autres questions. Je n’ai pas de réponses à toutes ces questions, puisque mes recherches sont relativement récentes. Toutefois, ma démarche informe ma réflexion sur un autre débat de société qui a cours présentement au Québec, soit celui de l’enseignement de l’histoire dans nos écoles et collèges.

Conjuguer ses histoires… (1)

Racines familiales
Quatre générations – la continuité de la vie…

Un devoir de mémoire

Quelques années avant de mourir, ma mère m’avait donné plusieurs vieilles photos de famille. À l’occasion, au cours des années, elle m’avait raconté les histoires liées à certaines de ces photos. Malheureusement, je n’avais pas pris de notes lors de ces conversations. La mémoire ne retient en général que ce qu’on estime comme étant important dans l’immédiat. Les souvenirs se logent dans les replis du cerveau, puis la trace pour s’y retrouver se dissipe. C’est pour cette raison que je saisis toutes les occasions de sortir ces photos, et d’interroger les témoins toujours vivants qui pourraient me renseigner sur mes histoires.

Ainsi, il y a quelques semaines, je suis retourné à Ottawa, ma ville natale, pour accomplir des devoirs : des devoirs de famille, de reconnaissance, de mémoire.. pour lier le passé à l’avenir, pour retisser et reconjuguer mes histoires… pour les transmettre à ma petite-fille, pour qu’elle puisse à son tour, les retransmettre à ses petits-enfants… 

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