Nous avions conservé un bon souvenir de notre premier séjour à Omaha, il y a cinq ans. C’est donc avec plaisir que nous nous y sommes arrêtés, au cours de la longue fin de semaine du congé de la fête nationale américaine, sur la route du retour de notre virée à travers les états du Mid-Ouest et du Sud-Ouest américain au printemps dernier.
Nous retournons rarement visiter des lieux une deuxième fois. Néanmoins, leJardin Lauritzen de Omaha nous avait impressionnés ; nous étions curieux de voir comment il avait évolué depuis notre première visite.
Après le lunch, nous nous levions de table, ma conjointe et moi, prêts à poursuivre notre visite du Jardin Lauritzen, lorsque deux dames se présentèrent à notre table.
C’était des Françaises, d’un certain âge… c’est-à-dire, du même âge que nous, voire quelques années de plus que nous, selon les indices qu’on pouvait glaner de la conversation qui suivit l’introduction ; elles nous avaient écoutés à distance, discrètement ; elles avaient reconnu notre accent québécois. Nous étions, tout comme elles, heureux d’entamer une conversation en français, au cours de notre troisième semaine de voyage.
Elles ne voyageaient pas ; elles étaient établies à Omaha depuis quelques années ; elles fréquentaient régulièrement le Jardin Lauritzen. À un moment donné, curieux, je n’ai pas pu résister : comment deux Françaises s’étaient-elles retrouvées à Omaha et qu’y faisaient-elles, outre que de fréquenter un jardin public, par un bel après-midi ensoleillé, au milieu de la semaine ?
Mes recherches préparatoires à notre traversée de l’Amérique à l’été 2011, m’avaient laisser comprendre qu’il faudrait plusieurs journées pour faire le tour de la ville d’Omaha. Les contraintes que nous imposait notre itinéraire ne nous permettaient pas d’y rester plus de deux jours. Il fallait donc choisir. La journée s’annonçait ensoleillée et chaude au début de cette deuxième journée : une excellente journée pour aller faire de la photo au jardin botanique.
Le Lauritzen Gardens est un jardin récent. On y célébrait le dixième anniversaire lorsque nous nous y sommes promenés. C’est donc une œuvre inachevée, en devenir.
Il y avait un peu de vent ce jour-là. Difficile de faire de la photographie en plan rapproché à main levée, mais tout de même possible.
J’ai toujours cru que l’Ouest américain était délimité à l’est par le Mississippi. Ce n’est lorsque j’ai que traversé le Missouri à Omaha que j’ai appris qu’en réalité, les grandes steppes continentales se situent bien plus à l’ouest du grand fleuve qui divise le continent.
Les voyageurs qui arrivent de l’Est du continent ont plusieurs choix de routes pour arriver aux grandes plaines américaines,… on pense aux villes de Saint-Louis ou de Kansas City, parmi d’autres. Ils peuvent aussi arriver aux Grandes Plaines en cheminant de Chicago via la I-90 jusqu’à Sioux Falls, à la frontière du Dakota du Sud et de l’Iowa, ou encore un peu plus vers le nord, via la I-94, en passant par Minneapolis tout en se rendant jusqu’à Fargo, au Dakota du Nord. Nous avons choisi une route qui passe un peu plus au centre du continent, via la I-80.
Historiquement, la région où se situe la ville de Omaha fut un des points de passage des plus importants entre l’Est et l’Ouest américain. Il y a plus de 175 ans, des hordes d’immigrants venus de l’Est s’y approvisionnaient avant d’entreprendre le long périple qui les menaient jusqu’au littoral du Pacifique, le long des pistes de l’Oregon d’abord, puis de la Californie, au moment de la ruée vers l’or. Ce fut aussi, dès 1869, le point de jonction principal entre le réseau des voies ferrées de l’Est et de l’Ouest ; la ville d’Omaha demeure d’ailleurs toujours aujourd’hui un pivot important de l’économie américaine.
Le Musée Joslyn
Musée Joslyn Memorial à Omaha, Nebraska
Ce sont les galeries sur l’art amérindien et l’art de l’Ouest américain qui m’avaient attiré au Musée Joslyn. C’est pour visiter ce musée que nous nous sommes arrêtés à Omaha ; de plus, cette visite constituait un excellent préalable aux prochaines étapes de notre itinéraire.
C’est dans ces galeries que j’ai saisi que je pénétrais dans un tout autre univers. J’avais amorcé ma découverte de l’univers des cultures autochtones de l’Amérique une dizaine de jours plus tôt au Detroit Institute of the Arts (DIA). Le Musée Joslyn a ajouté une dimension plus intime à cette exploration.
Les galeries d’art amérindien qu’on retrouve au DIA et au Art Institute of Chicago (AIC) nous exposent un point de vue externe — européen et américain — sur les cultures autochtones amérindiennes. Au Joslyn, pour la première fois, j’ai commencé à percevoir un point de vue indigène, autant sur leur propre culture et leur propre production culturelle et artistique, que sur comment ils perçoivent le regard qu’ont porté sur eux les artistes européens et américains. Ce que j’y ai découvert est devenu l’assise, le fondement sur lequel je me suis graduellement échafaudé une toute nouvelle appréciation de la richesse de la culture des premiers Américains au cours des semaines qui ont suivi. Cet apprentissage se poursuit toujours, un an et demi plus tard.
On a eu généralement tendance à figer historiquement notre perception sur l’art autochtone, surtout en ce qui touche à l’authenticité de celui-ci, au point qu’on néglige et qu’on porte peu d’attention à l’expression artistique contemporaine. On connait très peu la production artistique amérindienne, quel que soit le médium — littéraire, arts visuels et plastiques, musique… On en connait encore moins l’évolution et l’histoire.
Quoique la galerie consacrée à l’art amérindien du Joslyn soit petite, elle nous présente un aperçu relativement complet de sa richesse. Non pas une richesse de nature matérielle ou marchande, mais plutôt une richesse spirituelle, et culturelle. Il faut toutefois, pour l’apprécier à sa juste valeur, savoir ajuster notre regard, modifier sa perspective, prendre des distances par rapport, dans mon cas, au système de valeurs que j’ai apprises dans le cadre de mon éducation « classique » occidentale.
L’esprit ouvert et curieux suspendra son système de valeurs à la porte d’entrée des galeries d’art autochtone. Il reconnaîtra qu’il ne peut juger les pièces et les œuvres selon les critères d’évaluation applicables à une autre culture, à une autre civilisation.
Par exemple, en visitant les galeries d’art amérindien dans les grands musées occidentaux, on notera que la plupart des pièces ne peuvent être attribuées à un « auteur », à un nom. Cet anonymat n’enlève rien à la valeur artistique intrinsèque des œuvres produites ; en examinant celles-ci, on se doit de constater qu’elles ont été créées par de véritables artistes, des maîtres de la façon qu’ils avaient de travailler les matériaux avec les instruments à leur disposition. Cette notion de personnalisation et d’appropriation de la production d’une œuvre d’art est relativement récente sur le plan historique, même en Europe.
Jusqu’à il y a un siècle, les artistes évoluaient dans de petites communautés, où tout le monde savait qui ils étaient, qui avait fabriqué tel ou tel objet. La valeur d’échange de ces objets était limitée. Leur fonction, pourtant, n’était pas tellement différente de celle d’objets fabriqués dans d’autres régions du monde : dans bien des cas, ces objets servaient à marquer un rang social ou un rite de passage, à raconter une histoire, à tisser et à sacraliser des liens sociaux… On les affichait dans le cadre d’événements spéciaux et on prenait soin de les conserver. Ce n’est que lorsque les artistes amérindiens ont commencé à s’intégrer dans les circuits et réseaux de la société dominante que leur rôle et leur statut a acquis une dimension différente.
La production artistique amérindienne n’a jamais été figée dans le temps. Elle a toujours évolué au cours des siècles. Les artistes et artisans amérindiens n’ont pas hésité à adopter les matériaux nouveaux qu’ils découvraient au contact avec les Européens. Ils s’inspirent des nouvelles formes et des motifs qu’ils observent dans le cadre de leurs échanges. Ils s’enrichissent en incorporant ces nouveaux apports dans leurs propres schèmes culturels.
La veste de Fontenelle (lire le texte qui décrit cette veste dans le site Web du Musée Joslyn)
Les peuples amérindiens ont survécu à la tentative délibérée de les éliminer, non pas à titre individuel, mais sur le plan culturel, ethnique. Il y a un siècle, on prenait pour acquis que leur disparition, comme peuples, était une question de temps et on l’affirmait ouvertement, comme en témoigne cette œuvre, exposée dans la galerie d’art de l’ouest américain du Joslyn. J’ai eu l’occasion de voir d’autres œuvres, qui exprimaient un point de vue semblable, dans d’autres musées. D’ailleurs, il suffit de noter que toute l’œuvre du célèbre photographe Edward Curtis en témoigne : le projet de toute une vie de ce dernier était de documenter la vie quotidienne des peuples amérindiens avant qu’ils n’aient disparus.
Comme je l’ai appris au cours de mon voyage à travers les Great Northern Plains au cours des semaines suivantes, il y a un renouveau de la fierté au sein de leurs communautés depuis quelques décennies. Je reviendrai là sur ce sujet à d’autres occasions prochainement.
Le gouvernement américain a pratiqué une politique délibérée et consciente d’ethnocide jusque dans la première moitié du siècle dernier. Ce n’est qu’avec l’avènement de l’American Indian Movement dans les années 70 que la tendance a été renversée. Il serait trop long pour moi d’illustrer mon propos ici. Je ne présenterai qu’une œuvre, récente, qui démontre l’esprit et l’humour subtil des membres des nations autochtones de l’Amérique du Nord. Dans ce tableau, l’artiste David Bradley évoque le travail de l’anthropologue Carlos Castañeda, qui a publié une série de livres sur les enseignements d’un sorcier yaqui il y a quelques décennies.
L’anthropologue étudie le tableau de David Bradley, Carlo et Don Juan
Au Joslyn, j’ai aussi poursuivi mon exploration de l’art américain. Particulièrement, cette visite constitua pour moi une introduction très sommaire de la sous-catégorie des artistes de l’Ouest américain, tels que Frederic Remington, Thomas Moran, George Catlin entre autres, qui inclut aussi des artistes amérindiens contemporains.