Réduire la croissance …

Il y a 150 ans, un glacier couvrait tout l’espace de stationnement du Champ de glace de Columbia, dans le Parc national de Banff en Alberta. Photo prise le 21 juillet 2011.

Depuis quarante ans, j’ai conservé et je maintiens toujours des archives personnelles, constituées d’une grande variété de documents publics, des études et des rapports de toutes sortes, ainsi que des coupures d’articles de journaux et de revues sur des sujets d’actualité. Il y a deux ans, lorsque j’ai déménagé à Montréal, j’ai dû faire le ménage dans mes « affaires ». Je me suis débarrassé de la majorité de ces documents, non sans avoir pris des notes sur certains d’entre eux.

Voici un extrait d’une de ces notes.

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Le gaz carbonique : polluant majeur de l’atmosphère, un article publié dans la revue scientifique française La Recherche, no. 91, juillet-août 1978, pages 696-697.

L’auteur rapporte qu’on observe une augmentation du niveau de gaz carbonique dans l’atmosphère tout au long du siècle précédent.  Il fait état de recherches sur l’apport de la déforestation intensive (dû au développement agricole) qui s’ajoute à la combustion de ressources fossiles. Les océanographes s’interrogent sur la capacité des océans à absorber l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère. Il en arrive à la conclusion que les spécialistes prédisent que « si la production anthropogénique se maintient … le taux de CO2 de l’atmosphère aura doublé vers l’an 2020 … Le résultat en est une diminution de la sursaturation en calcite des eaux de mer superficielles, occasionnant une difficulté plus grande pour les organismes marins à former leur coquille. »

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Vous avez bien lu : la date de publication de cet article dans une revue scientifique sérieuse … 1978, il y a 35 ans …

Il y a 35 ans, des scientifiques nous alertaient au sujet des répercussions inquiétantes qu’entraînait la pollution provoquée par l’augmentation du gaz carbonique dans l’atmosphère. Au cours des décennies subséquentes, ces alertes sont devenues de plus en plus pressantes, les échéances plus rapprochées, les enjeux plus inquiétants. La menace se précisait : hausse du niveau des mers, intensification de la fréquence et de l’intensité des événements climatiques, modification des zones climatiques, comportant des risques de déclenchement de famines, d’éclosion d’épidémies, de déplacements de population. Une étude du Pentagone recommandait de se préparer à des déclenchements de conflits majeurs, notamment pour l’accès à des ressources vitales telle que l’eau…

Je me souviens qu’il y a environ un quart de siècle, des journalistes qui couvraient l’actualité scientifique rapportaient que des chercheurs atténuaient leurs prédictions et leurs inquiétudes quant à l’avenir, craignant de ne pas être pris au sérieux.

Reconnaissons-le …

D’une part, on a longtemps porté peu d’attention à ce problème, parce que, malgré toutes les explications, tous les avertissements, on ne voulait pas vraiment en saisir l’importance. On se rassurait en niant la réalité ou en cultivant l’impression que le risque de catastrophes mondiales était lointain ; dans les réseaux traditionnels de journaux et de télévision, les reportages avaient d’ailleurs tendance à nous conforter et à justifier nos attitudes à cet égard. On pouvait, dans cette perspective, attendre, et espérer que les augures et les prophètes de malheur se trompent, ou que nos magiciens de la science et des techniques découvrent des solutions miraculeuses, qui nous permettent d’éviter les catastrophes.

On n’y a guère porté d’attention, étant donné aussi qu’on nous répétait qu’il fallait accorder la priorité au développement économique. Ce faisant, on oubliait d’inclure dans les calculs de comptabilité, le coût de la dette environnementale que ce développement économique occasionnait, un coût que les générations futures devront rembourser.

Pendant des années, à titre personnel, tout en demeurant convaincu que la solution n’était pas individuelle, mais plutôt collective, j’ai néanmoins tenté de faire ma part pour atténuer mon empreinte environnementale. Bien que, comme beaucoup d’autres, j’aie fait des efforts pour recycler et composter tout ce que je pouvais, je dois confesser et reconnaître que je n’ai pas été un modèle, et que je ne le suis toujours pas.

Je m’en suis rendu compte lorsque j’ai déménagé. Nous ne pouvions amener tout ce que nous avions accumulé au cours des décennies précédentes. J’ai trouvé gênant de constater à quel point j’avais participé à cette boulimie de consommation qui caractérise les sociétés occidentales depuis plus d’un demi siècle.

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Tel que le soulignait la militante Naomi Klein dans la revue The Nation il y a deux ans (Capitalism vs. the Climate), nous admettons tous la réalité du changement climatique. Klein analyse froidement la problématique : elle soutient que ce que nous refusons d’admettre, quel que soit notre point de vue sur la question, c’est que pour renverser la tendance, pour cesser de jouer avec le feu, nous devrons remettre en question les croyances fondamentales qui régissent nos comportements. C’est le type même de modèle de société qu’il faut changer… radicalement.

Elle attire notre attention sur l’évolution des sondages d’opinion menés auprès de la population américaine sur la question du changement climatique entre 2007 et 2011. En 2007, 71 pour 100 des Américains croyaient que l’émission de combustibles fossiles provoquait un changement climatique. Quatre années plus tard, ce pourcentage avait chuté à 44 pour 100. Tous les observateurs étaient sidérés : l’opinion publique ne change pas aussi radicalement sur des enjeux aussi importants, aussi rapidement.

Klein avait étudié ces données attentivement. Elle en tirait la conclusion suivante : les citoyens avaient compris qu’il fallait changer radicalement le mode et les règles de fonctionnement de notre économie, réaffirmer la priorité du politique sur la gestion de l’économie, et modifier nos comportements sociaux, si on voulait corriger la situation, . Nous préférons nier la réalité plutôt que de prendre nos responsabilités à l’égard de l’avenir… notre avenir collectif, celui de nos enfants, des enfants de nos enfants, des enfants de nos petits-enfants…

Pourtant, tel que le souligne Philippe Frémeaux, d’Alternatives économiques, le récent rapport du Groupe international d’experts sur l’évolution du climat des Nations unies aurait dû provoquer « susciter des réactions à la hauteur des dangers (qu’on y évoque) ». Frémeaux soutient que ce rapport devrait nous convaincre qu’il faudra bien un jour mettre fin à cet aveuglement volontaire.

Il faut bien admettre que notre système de gestion ne fonctionne pas ; que le modèle capitaliste tel qu’on le pratique présentement ne fonctionne pas mieux que le système de capitalisme d’état qui a cours en Chine et qui avait cours en Union soviétique il n’y a qu’un quart de siècle — deux faces de la même médaille. Pourtant, cette remise en question n’est pas nouvelle.

Élargissons la perspective

On s’inquiète aujourd’hui du changement climatique ; mais il faudrait aussi tenir compte des autres dimensions de la problématique de l’empreinte de l’humain sur son environnement global.

Dès le début des années 60, Rachel Carson avait éveillé le grand public avec la publication de son essai Silent Spring, sur les dangers de l’utilisation des pesticides. Cette publication a contribué à convaincre les autorités politiques à interdire l’usage du DDT. Les désastres écologiques, tels que les déversements pétroliers en mer, la pollution au mercure dans la baie de Minimata au Japon, la constatation que la couverture d’ozone dans l’atmosphère diminuait, suscitaient une réflexion sur les dangers de la croissance sur l’écologie de la planète. Dès le début des années 70, on en vient à développer le concept de la croissance zéro. Le rapport The Limits to Growth (Rapport Meadows) est publié en 1972.

L’idée était dans l’air du temps.

Quelques années plus tôt, Herbert Marcuse critique également les systèmes capitaliste que soviétique dans son livre L’homme unidimensionnel. Il dénonce la société industrielle qui crée un système de production et de consommation qui étouffe l’esprit critique du citoyen et l’incite à se conformer.

Un autre essai, moins connu, du professeur de biologie John Black, de l’Université d’Edinbourg, analyse les sources de la crise écologique qui menaçait la planète dans un essai intitulé The Dominion of Man : The Search for Ecological Responsibility (University of Edinborough Press, 1970). Il y étudiait l’évolution des mythes, des croyances et des idéologies qui ont régi les comportements humains en Occident depuis des millénaires. Traditionnellement, selon les dogmes religieux chrétiens notamment, la maîtrise de la nature que Dieu avait accordé aux humains s’accompagnait d’une responsabilité : les humains devaient rendre compte de l’exercice de leur pouvoir et de leur gestion du monde naturel. Black estime que cet équilibre a été rompu depuis quelques siècles, avec le développement de nouvelles attitudes à l’égard du progrès et de la privatisation de la propriété. Black soutient qu’il est impossible de maintenir un accroissement illimité de la population conjugué à l’amplification de la puissance technologique de l’humanité sur une planète aux ressources limitées. Il soulève des questions que nous ne pourrons pas éviter

On remet de plus en plus en question les fondements mêmes de l’économie néolibérale, surtout depuis la dernière crise économique, qui perdure depuis maintenant cinq ans (l’économiste John Quiggin a rédigé une série d’articles sur cette question). Depuis peu, des économistes sortent des sentiers battus et examinent quels pourraient être les contours d’un nouveau modèle économique, ou de modèles de gestion fondé sur un développement équilibré entre les besoins et les ressources de la planète. Un chercheur et chargé de projet à l’Institut du Nouveau Monde, Nicholas Zorn pose la question : Est-ce la fin de la croissance économique ? C’est une question légitime.

Au lieu d’évoquer la fin de la croissance, d’autres, depuis quelques années déjà, proposent plutôt de discuter de décroissance. Pour certains, il s’agit de se préparer à l’avènement d’une apocalypse : on prépare des modèles de transition d’un modèle économique à un autre. La faillite de la ville de Détroit représenterait, selon certains, une occasion de reconstruire sur des bases plus conformes à une écologie bien comprise. Les mouvements qui préconisent l’adoption d’un mode de vie plus lent s’inscrit dans cette tendance. Il y a deux ans, on ami Jacques Fournier a, pour sa part expliqué simplement ce que représente le concept de « décroissance conviviale », tout en brossant un tableau panoramique du mouvement pour la décroissance au Québec.

La conjoncture est favorable : le sujet devient de plus en plus à l’ordre du jour. Pour Catherine Caron, l’adoption d’un modèle social de décroissance devient de plus en plus inéluctable. En introduction au dossier Cap sur la décroissance, publié dans la revue Relations au mois de juin 2013, Catherine Caron affirme péremptoirement :

Parler de décroissance, c’est en effet parler du changement de cap nécessaire pour que la vie humaine soit encore possible un jour sur cette planète. La Terre ne supporte plus simplement tous les excès de nos sociétés gloutonnes, égoïstes, gaspilleuses, voire décadentes, oublieuses de l’instinct et de l’intelligence qui ont permis aux êtres humains de ne pas mettre en péril leur milieu de vie jusqu’aujourd’hui.

2 réflexions sur “Réduire la croissance …

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