Le spectacle de la démocrature canadienne

On nous convie, encore une fois, à participer au jeu de la réalité-spectacle de la démocrature.

J’emprunte ce mot démocrature à Lise Payette. Il y a un an, Madame Payette proposait ce néologisme pour décrire les régimes politiques ambiants, un peu partout dans le monde occidental : elle décrivait cette tendance qu’ont les élus d’en faire à leur guise, sans tenir compte de la dynamique de l’opinion publique ( et encore moins de l’intérêt public ).

La démocrature… Le mot est assez étrange. Il serait issu de l’union de « démocratie » et de « dictature », parce que, mine de rien, plein de pays dans le monde sont aux prises avec des chefs d’État qui jouent des deux instruments à la fois pour tenir leur peuple dans la soumission, la peur et l’ignorance, lesquels sont les ingrédients essentiels pour assurer leur pouvoir. Comment font-ils ?

Le Devoir, 1 août 2014, Glissons-nous vers la démocrature

Dans sa chronique hebdomadaire du Devoir, Madame Payette nous offrait l’exemple du premier ministre du Canada, Stephen Harper. Elle aurait pu nous offrir celui des dirigeants de la plupart des pays des démocratures européennes et nord-américaines. Les événements récents en Europe, notamment et spécialement en Grèce, nous ont fourni un témoignage des plus éloquents de cette tendance lourde.

Madame Payette nous enjoignait de nous en rappeler le temps venu :

Stephen Harper devra faire face à des élections en 2015. Peut-être pensez-vous qu’il est temps de cesser de rigoler ? Il faut y penser dès maintenant, car le choix sera difficile. Le menu de candidatures sera assez limité. Vous allez voter pour qui ? Parce que voter n’importe comment, c’est jouer avec le feu. La démocrature est si vite arrivée.

Ce temps est arrivé au Canada. Il y a quelques jours, le premier ministre du Canada a obtenu la « permission » du gouverneur général de dissoudre la Chambre des communes et de déclencher une élection générale.

Nous aurons amplement de temps pour examiner nos options : onze semaines, afin de choisir une personne, un député pour nous « représenter » au cours des quatre années qui suivront.

Nous nous retrouvons encore un fois pris au piège d’une mise en scène, qui a l’air d’une improvisation, où on tente de nous convaincre que nous avons le privilège de participer à titre d’acteurs dans une pièce de théâtre qui simulera un exercice de démocratie. Pourtant, l’expérience des dernières décennies nous montre que le résultat de l’exercice n’est pas important : les pouvoirs réels derrière les rideaux de scène ne changeront pas. Ceux qu’on aura choisi se plieront sous les menaces émises par les agences de crédit et ceux qui manipulent les capitaux qui veillent sur notre intérêt. Au mieux, nous pourrons croire que nous aurons collectivement choisi le moins pire parmi ceux qui se présentent.

Il se pourrait néanmoins, qu’il y ait des surprises. Il y a beaucoup d’insécurité, d’insatisfaction latente, d’indignation, de frustration, voire de cynisme dans l’air — comme en témoigne d’ailleurs cette chronique, ici comme ailleurs. La colère ne s’apaise pas, tout au contraire. Elle rumine, devient ressentiment. Il n’est pas nécessaire d’être sorcier pour se rendre compte que les tremblements de cette mouvance indignée peuvent être imprévisibles. Le Bloc québécois en a fait les frais il y a quatre ans. On voulait du changement au Québec. Le problème, c’est que l’électorat du reste du Canada n’était pas au même diapason que celui du Québec.

Dans cette conjoncture, il serait normal que les élites qui manipulent les marionnettes qui siègent à la Chambre des communes estiment que le moment serait propice pour changer les couleurs et les atours de leurs marionnettes. Dans cette optique, nos élites pourraient considérer que ce serait dans leur intérêt de mettre en selle une coalition qui pourrait canaliser l’insatisfaction : un chef libéral à la tête d’un parti qui se prétend social-démocrate pourrait faire l’affaire pour gouverner, surtout s’il pouvait compter sur l’appui du parti qui se présente comme étant libéral — ou vice-versa, selon les humeurs de l’opinion publique, selon les sondages au cours des semaines à venir. On laisserait faire cette nouvelle équipe de marionnettes pendant quatre ans : on les laisserait ajuster la fiscalité sans déranger la base du système, introduire de nouvelles mesures sociales pour apaiser les esprits, laisser construire un pipeline blindé des garanties nécessaires, ne rien modifier des ententes internationales…

Nous avons l’expérience de la démocrature au Québec. Nous nous accoutumons bien de la servitude volontaire. N’est-ce pas d’ailleurs ce chef libéral du parti fédéral qui se prétend social-démocrate qui nous a conseillé, il y a un an et demi, de choisir la démocrature en place présentement au Québec. C’est ce même chef libéral d’un parti qui se prétend démocratique, qui avait déclaré qu’il contesterait le projet de loi sur la laïcité que le gouvernement québécois précédent avait soumis au peuple, quel que soit le résultat de cette consultation démocratique.

L’essentiel, c’est que la plèbe puisse se conforter d’avoir l’impression de changer, comme on l’a fait en France récemment, avec l’élection du Parti qui se dit socialiste. L’échec de Syriza en Grèce l’a démontré : si la population se met à rêver de démocratie, il suffira de mettre le pays à genoux.

Pour ma part, je refuse de me mettre à genoux. Je jouerai le jeu. Je m’exprimerai en temps et lieu, selon ma conscience.

10 réflexions sur “Le spectacle de la démocrature canadienne

    1. Thank you !

      We thought we could change the world! It kept us going. However, it seems we couldn’t do better than the previous generations. Yet, still believing, minus the illusions, that someday, the day will come when we will all realise that this, our earth, is our only setting for paradise!

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