27 juillet 2011

le regard captivé
entre le blanc et le jaune
à soixant'quinze à l'heure
le regard captivé
entre le blanc et le jaune
à soixant'quinze à l'heure
Ce matin du 17 juin, pendant que nous étions dans la Maison Pawnee, il y eut un orage. Les autorités du Archway voulaient remettre la tenue de la démonstration du pow-wow au lendemain. Les nations autochtones Otoe et Missouria qui avaient été invitées au « Dancers of the Plains », avaient fait un long voyage pour se retrouver sur leurs terres d’origine (consulter le lien pour plus de renseignements sur l’histoire de ces nations). L’événement était si important pour celles-ci, qu’elles ont demandé qu’on retarde le début de la cérémonie, le temps de laisser le terrain sécher suffisamment pour que la tenue de celle-ci soit sécuritaire. Nous avions, nous aussi, fait un long voyage pour venir les voir et apprendre à mieux les connaître.
Un pow-wow est une cérémonie communautaire qui prend la forme d’une cérémonie religieuse ou d’une festivité civique. La tenue d’un pow-wow est régie par un rituel. Ce rituel symbolise une façon de concevoir le monde et une manière de l’habiter.
Longtemps, les autorités religieuses chrétiennes et civiles dominantes, tant au Canada qu’aux États-Unis, ont interdit la tenue de pow-wow. Il était illégal d’organiser une telle manifestation et d’y participer. Les pénalités étaient sévères. Ce n’est que tout récemment, moins d’un quart de siècle tout au plus, que les nations autochtones d’Amérique du Nord ont commencé à se réapproprier leur culture et leurs coutumes. La tenue d’un pow-wow en est une des manifestations les plus significatives de cette démarche.
J’ai toujours cru que l’Ouest américain était délimité à l’est par le Mississippi. Ce n’est lorsque j’ai que traversé le Missouri à Omaha que j’ai appris qu’en réalité, les grandes steppes continentales se situent bien plus à l’ouest du grand fleuve qui divise le continent.
Les voyageurs qui arrivent de l’Est du continent ont plusieurs choix de routes pour arriver aux grandes plaines américaines,… on pense aux villes de Saint-Louis ou de Kansas City, parmi d’autres. Ils peuvent aussi arriver aux Grandes Plaines en cheminant de Chicago via la I-90 jusqu’à Sioux Falls, à la frontière du Dakota du Sud et de l’Iowa, ou encore un peu plus vers le nord, via la I-94, en passant par Minneapolis tout en se rendant jusqu’à Fargo, au Dakota du Nord. Nous avons choisi une route qui passe un peu plus au centre du continent, via la I-80.
Historiquement, la région où se situe la ville de Omaha fut un des points de passage des plus importants entre l’Est et l’Ouest américain. Il y a plus de 175 ans, des hordes d’immigrants venus de l’Est s’y approvisionnaient avant d’entreprendre le long périple qui les menaient jusqu’au littoral du Pacifique, le long des pistes de l’Oregon d’abord, puis de la Californie, au moment de la ruée vers l’or. Ce fut aussi, dès 1869, le point de jonction principal entre le réseau des voies ferrées de l’Est et de l’Ouest ; la ville d’Omaha demeure d’ailleurs toujours aujourd’hui un pivot important de l’économie américaine.
Le Musée Joslyn
Ce sont les galeries sur l’art amérindien et l’art de l’Ouest américain qui m’avaient attiré au Musée Joslyn. C’est pour visiter ce musée que nous nous sommes arrêtés à Omaha ; de plus, cette visite constituait un excellent préalable aux prochaines étapes de notre itinéraire.
C’est dans ces galeries que j’ai saisi que je pénétrais dans un tout autre univers. J’avais amorcé ma découverte de l’univers des cultures autochtones de l’Amérique une dizaine de jours plus tôt au Detroit Institute of the Arts (DIA). Le Musée Joslyn a ajouté une dimension plus intime à cette exploration.
Les galeries d’art amérindien qu’on retrouve au DIA et au Art Institute of Chicago (AIC) nous exposent un point de vue externe — européen et américain — sur les cultures autochtones amérindiennes. Au Joslyn, pour la première fois, j’ai commencé à percevoir un point de vue indigène, autant sur leur propre culture et leur propre production culturelle et artistique, que sur comment ils perçoivent le regard qu’ont porté sur eux les artistes européens et américains. Ce que j’y ai découvert est devenu l’assise, le fondement sur lequel je me suis graduellement échafaudé une toute nouvelle appréciation de la richesse de la culture des premiers Américains au cours des semaines qui ont suivi. Cet apprentissage se poursuit toujours, un an et demi plus tard.
On a eu généralement tendance à figer historiquement notre perception sur l’art autochtone, surtout en ce qui touche à l’authenticité de celui-ci, au point qu’on néglige et qu’on porte peu d’attention à l’expression artistique contemporaine. On connait très peu la production artistique amérindienne, quel que soit le médium — littéraire, arts visuels et plastiques, musique… On en connait encore moins l’évolution et l’histoire.
Quoique la galerie consacrée à l’art amérindien du Joslyn soit petite, elle nous présente un aperçu relativement complet de sa richesse. Non pas une richesse de nature matérielle ou marchande, mais plutôt une richesse spirituelle, et culturelle. Il faut toutefois, pour l’apprécier à sa juste valeur, savoir ajuster notre regard, modifier sa perspective, prendre des distances par rapport, dans mon cas, au système de valeurs que j’ai apprises dans le cadre de mon éducation « classique » occidentale.
L’esprit ouvert et curieux suspendra son système de valeurs à la porte d’entrée des galeries d’art autochtone. Il reconnaîtra qu’il ne peut juger les pièces et les œuvres selon les critères d’évaluation applicables à une autre culture, à une autre civilisation.
Par exemple, en visitant les galeries d’art amérindien dans les grands musées occidentaux, on notera que la plupart des pièces ne peuvent être attribuées à un « auteur », à un nom. Cet anonymat n’enlève rien à la valeur artistique intrinsèque des œuvres produites ; en examinant celles-ci, on se doit de constater qu’elles ont été créées par de véritables artistes, des maîtres de la façon qu’ils avaient de travailler les matériaux avec les instruments à leur disposition. Cette notion de personnalisation et d’appropriation de la production d’une œuvre d’art est relativement récente sur le plan historique, même en Europe.
Jusqu’à il y a un siècle, les artistes évoluaient dans de petites communautés, où tout le monde savait qui ils étaient, qui avait fabriqué tel ou tel objet. La valeur d’échange de ces objets était limitée. Leur fonction, pourtant, n’était pas tellement différente de celle d’objets fabriqués dans d’autres régions du monde : dans bien des cas, ces objets servaient à marquer un rang social ou un rite de passage, à raconter une histoire, à tisser et à sacraliser des liens sociaux… On les affichait dans le cadre d’événements spéciaux et on prenait soin de les conserver. Ce n’est que lorsque les artistes amérindiens ont commencé à s’intégrer dans les circuits et réseaux de la société dominante que leur rôle et leur statut a acquis une dimension différente.
La production artistique amérindienne n’a jamais été figée dans le temps. Elle a toujours évolué au cours des siècles. Les artistes et artisans amérindiens n’ont pas hésité à adopter les matériaux nouveaux qu’ils découvraient au contact avec les Européens. Ils s’inspirent des nouvelles formes et des motifs qu’ils observent dans le cadre de leurs échanges. Ils s’enrichissent en incorporant ces nouveaux apports dans leurs propres schèmes culturels.
Les peuples amérindiens ont survécu à la tentative délibérée de les éliminer, non pas à titre individuel, mais sur le plan culturel, ethnique. Il y a un siècle, on prenait pour acquis que leur disparition, comme peuples, était une question de temps et on l’affirmait ouvertement, comme en témoigne cette œuvre, exposée dans la galerie d’art de l’ouest américain du Joslyn. J’ai eu l’occasion de voir d’autres œuvres, qui exprimaient un point de vue semblable, dans d’autres musées. D’ailleurs, il suffit de noter que toute l’œuvre du célèbre photographe Edward Curtis en témoigne : le projet de toute une vie de ce dernier était de documenter la vie quotidienne des peuples amérindiens avant qu’ils n’aient disparus.
Comme je l’ai appris au cours de mon voyage à travers les Great Northern Plains au cours des semaines suivantes, il y a un renouveau de la fierté au sein de leurs communautés depuis quelques décennies. Je reviendrai là sur ce sujet à d’autres occasions prochainement.
Le gouvernement américain a pratiqué une politique délibérée et consciente d’ethnocide jusque dans la première moitié du siècle dernier. Ce n’est qu’avec l’avènement de l’American Indian Movement dans les années 70 que la tendance a été renversée. Il serait trop long pour moi d’illustrer mon propos ici. Je ne présenterai qu’une œuvre, récente, qui démontre l’esprit et l’humour subtil des membres des nations autochtones de l’Amérique du Nord. Dans ce tableau, l’artiste David Bradley évoque le travail de l’anthropologue Carlos Castañeda, qui a publié une série de livres sur les enseignements d’un sorcier yaqui il y a quelques décennies.
Au Joslyn, j’ai aussi poursuivi mon exploration de l’art américain. Particulièrement, cette visite constitua pour moi une introduction très sommaire de la sous-catégorie des artistes de l’Ouest américain, tels que Frederic Remington, Thomas Moran, George Catlin entre autres, qui inclut aussi des artistes amérindiens contemporains.
Le matin, au moment de quitter le camping à Des Moines, nous avons rencontré des voyageurs provenant, comme nous, du Québec. Nous avons jasé un peu, partagé nos expériences. Comme nous, ce sont des gens réservés.
Nous avons néanmoins appris que c’étaient des amateurs de plein air. Leur projet était de fréquenter les parcs nationaux, pour y faire de la randonnée à pied, en vélo…
Ils étaient partis presque une semaine après nous, et de plus loin — quelques centaines de km. plus à l’est. Nous avons été surpris d’apprendre qu’ils parlaient très peu l’anglais. Néanmoins, ils nous ont dit qu’ils connaissaient tout juste assez d’anglais pour se débrouiller et se faire comprendre.
Quelques heures après les avoir dépassés, vers la fin de l’avant-midi, nous avons dû nous arrêter… pour laisser passer un orage. Le temps d’un café dans un petit village spécialisé dans les brocantes.
Le 30 mai, nous partons à nouveau pour un long voyage de plusieurs semaines. Nous irons jusqu’au Pacifique, en traversant les Grandes plaines américaines et les Rocheuses. On franchira les frontières non seulement du Canada et des USA, mais aussi celles de nombreux états américains.
Moins de quinze minutes après le départ, nous traversons la première, celle de l’Ontario et du Québec.
Depuis trois jours, nous avons parcouru environ 900 kilomètres.
Le deuxième jour, nous avons fait une escale à l’usine où fut fabriquée notre autocaravane il y a sept ans : une Roadtrek 200 Versatile. Ce véhicule deviendra notre appartement mobile au cours des prochaines semaines. Notre guide nous a expliqué que l’activité dans l’usine était beaucoup moins intensive aujourd’hui qu’il y a trois ans. Ils fabriquent une douzaine de véhicules récréatifs par semaine présentement; il y a trois ans, le rythme de production était plus du double — trente-deux par semaines, lorsqu’ils fonctionnaient à pleine capacité. La crise économique a touché l’industrie des véhicules récréatifs durement.
J’ai été particulièrement impressionné du souci de la qualité du produit qu’on livre au client. Notre véhicule est conçu pour durer des années. C’est rassurant.
C’est ce matin, au début de la troisième journée de notre périple que nous avons traversé la frontière américaine, à Port Hope, Michigan.
Le passage à la douane a été relativement facile et rapide. La douanière nous a demandé si nous transportions divers aliments : poivrons, citrons et autres agrumes, tomates. Nous en avons été quitte pour lui laisser deux citrons et une dizaine de petites tomates cerises. Le plus ironique, c’est que nous avons acheté ces produits originaires des USA chez un marchand de fruits et légumes de chez-nous. Cet après-midi, nous avons fait une épicerie aux USA, non loin du terrain de camping que nous avons réservé pour quelques jours. Nous y avons trouvé des tomates cerises, importées du Mexique… allez y comprendre quelque chose.
Demain, c’est dans le temps que nous irons voyager : nous nous baladerons dans une reconstitution d’un village américain composé d’édifices datant de la fin du 19e siècle. Le lendemain, nous avons l’intention d’aller visiter le Detroit Institute of Art.
À suivre…