Je reviens d’un séjour de neuf semaines aux États-Unis ; en mai, juin et au début du mois de juillet, dans toutes les régions que nous avons visitées, de la Pennsylvanie au Nouveau-Mexique, en passant par le Kansas et le Michigan, je me suis entretenu avec des Américains. J’ai aussi observé les traces visibles de la campagne électorale… notamment, j’ai constaté la présence des nombreuses affiches que les partisans de « Bernie » ( Sanders ) ont parsemées, partout, dans les fenêtres, sur des parterres devant les maisons, sur les pare-chocs des automobiles, etc… quelques affiches de soutien à Trump, moins d’une demi-douzaine en tout, mais pas une seule affiche en faveur de Hillary Clinton.
Ce n’est pas en journaliste, mais bien en touriste que j’ai visité les États Unis au cours du printemps. Je ne me suis pas promené dans une quinzaine d’états en cherchant à rencontrer des porte-parole officiels des partis politiques, ou des spécialistes qui font métier d’analyser l’évolution de la société américaine. J’ai plutôt croisé des citoyens ordinaires, dans des campings et des restaurants, des sites touristiques, des commerces.
Lorsque je sentais que le contexte le permettait, j’ai pris l’initiative de soulever le sujet de la campagne électorale au cours de conversations. À quelques occasions, ce qui m’a surpris d’ailleurs, ce sont eux qui ont abordé la question.
Depuis deux décennies, j’ai effectué plusieurs séjours chez nos voisins du Sud, parfois pour des raisons professionnelles, parfois pour visiter le pays à titre personnel. Ce printemps, pour la première fois, j’ai perçu que les Américains étaient véritablement intéressés à connaître l’opinion d’étrangers sur « leurs » affaires, sur « leurs » enjeux sociaux, économiques, politiques, électoraux. Je les ai sentis soucieux de la perception que nous avons d’eux.
À chaque occasion, j’ai cherché à connaître comment ils percevaient leur situation politique. Je ne leur ai jamais demandé s’ils étaient partisans d’un parti plutôt que de l’autre : je leur ai toujours demandé lequel des candidats, à leur avis, était le plus susceptible d’être élu. Je tentais, autant que possible, de ne pas orienter leurs réponses. Ce qui m’a le plus surpris, c’est à quel point ils sont désemparés, souvent désabusés, tant chez ceux qui me semblaient être de tendance conservatrice que ceux qui semblaient être plutôt d’orientation progressiste.
Le 30 juin, nous entamons la dernière partie de notre virée à travers l’Amérique. Au cours d’une dizaine de jours, nous traversons quatre états américains et une province canadienne — le Nebraska, l’Iowa, l’Illinois, le Michigan et l’Ontario –, nous franchissons trois fuseaux-horaires — Mountain, Centre, et Est — et, sans nous en rendre compte, nous effectuons une longue descente progressive de plus de 5 500 mètres sur 3 000 kilomètres.
La I-80, peu avant de passer du Wyoming au Nebraska… toujours le relief plat des Grandes Plaines de l’Ouest américain… très peu d’arbres, mais on commence à observer des étendues de terres cultivées.
Nous embobinons derrière nous, à 75 miles à l’heure ( 120 km/h ) et plus parfois, le ruban de béton des autoroutes, tout en étudiant le paysage qui défile sur l’immense étendue des grandes surfaces planes du centre du continent.
Nous nous offrons deux pauses : un premier arrêt de deux jours, au cours de la fin de semaine du Fourth of July, la fête nationale américaine, à mi-chemin, à Omaha, sur le bord du Missouri, là où l’Ouest bascule dans l’Est de l’Amérique ; puis, après trois jours consécutifs sur la route, un deuxième arrêt, de deux jours, à Leamington, dans l’extrême sud de l’Ontario, pour une réunion de famille.
Ce jour-là, pour la première fois depuis presque deux mois, nous nous sommes dirigés vers l’est.
Je croyais que je mettrais, ce matin-là, les Rocheuses derrière moi, et que je ne les reverrais plus pour longtemps, sinon jamais. Je me trompais.
Sur l’autoroute I-80, à partir de Laramie, nous apercevons ce qui semble être une longue colline, qui barre l’horizon. Nous ne voyons pas où mène la route.
C’est que rendu dans un détour, nous nous rendons compte que nous sommes en train de nous engager « dans » cette « colline ». Celle-ci nous masque ce qui deviendra une longue ascension… qui nous amènera, quelques miles plus loin et, en quelques minutes, quelque 2 500 pieds plus haut, à environ 8 700 pieds d’altitude, le point le plus élevé de toute notre virée américaine.
Le spectacle qui se déroule devant nous, nous coupe le souffle, presque littéralement. Le moteur de notre autocaravane est assez puissant. Mais il faut tout de même passer en 3è. Nous ralentissons, jusqu’au point le plus élevé : l’autocaravane reprend son élan, et nous avons alors l’impression de planer sur un plateau. Puis, très graduellement, l’altimètre baisse. Une heure plus tard, nous arrivons à Cheyenne, la capitale du Wyoming.
Il est trop tôt pour nous rendre au camping, trop tôt aussi pour les musées, qui n’ouvrent qu’à 11 h 00 pour la plupart. Nous décidons de nous rendre au Jardin botanique de Cheyenne.
Nous n’avions pas d’attente à l’égard de ce jardin. Et, suite à l’expérience vécue au Jardin botanique de Sante Fe, nous hésitions à nous y rendre. Ç’aurait été dommage de ne pas le visiter. Ce jardin est un véritable bijou.
Le train passe, parallèlement à la 1st Street, au bout de l’avenue Grand. Si vous allez un jour faire un tour à Laramie. faites un détour jusqu’au Coal Creek Tap, là où passent les trains, au bout de l’avenue Grand : la bière, qui y est brassée localement, et la nourriture en valent la peine. On y sert aussi un excellent espresso.
Je venais de passer une semaine à traverser le Dakota du sud, où la présence des Indiens des Plaines de l’Ouest est manifeste. Au Wyoming, le contraste saute aux yeux : on est en pays cowboy. Les noms des lieux sont amérindiens : toutes les tribus qui peuplaient le pays avant le contact avec les Américains y sont représentées. Mais leur présence est minime.
Le secteur du centre historique de la ville de Laramie a conservé ses airs d’antan. On y a conservé un grand nombre d’édifices centenaires et on les entretient. C’est la nature des commerces qui change. Il faut bien s’adapter à la clientèle.
À l’accueil du musée, la jeune femme qui nous a suggéré quelques adresses où aller manger avait un parti pris pour des restaurants végétariens. Après que je lui eu demandé s’il y avait des restaurants qui n’étaient pas végé, elle m’a fourni l’adresse du café-bar, en admettant, avec un air un peu gêné, qu’elle le fréquentait pour partager des bières avec ses amis.
===
Les rues sont larges à Laramie ; elles témoignent d’une époque où le cheval était omniprésent dans la vie des gens. Aujourd’hui, ce sont les camions et les automobiles qu’on stationne en diagonale.
À Laramie, on est toujours en pays cowboy, comme au nord du Wyoming… Quoique… bien qu’il y ait des ranchs tout autour, c’est aujourd’hui beaucoup plus une petite ville universitaire. C’est peut-être pour cette raison qu’on y a troqué les chevaux, non seulement pour des trucks, de gros camions, mais aussi, plus récemment, pour des vélos.
Et c’est ainsi qu’on a modifié les poteaux qui servaient à attacher les chevaux autrefois, sur la rue, devant les commerces… et qu’on y attache dorénavant des vélos.
Au Nouveau Mexique, entre Santa Fe et le Col de Raton… le plateau est semi-aride, peu à pas d’arbres, parfois quelques troupeaux de vaches… On nous avertit de faire attention à la faune…
Un horizon hypnotisant, qui nous enivre, nous aspire… on roule roule roule à toute vitesse…
Au Colorado, une pause… Sur le bord de l’autoroute, une plaque historique. En filant vers le Nord, à 70 miles à l’heure ( lorsqu’on respecte les limites de vitesse ), au pied des montagnes Rocheuses à gauche, qui surplombent un plateau semi-aride à droite.
Les montagnes à l’ouest de la I-25, face au camping à South Pueblo, Colorado… Fin de la première journée sur la I-25.
Deuxième journée
On traverse des zones plus urbanisées… Pueblo, Colorado Springs, Denver, Fort Collins… Des voies ferrées longent l’autoroute sur de longues distances…
Un train de la BNSF ( Burlington Northern and Santa Fe ), vient se coller contre l’autoroute, puis s’en éloigne aussitôt
À partir de Colorado Springs environ, on se rapproche des montagnes…
À Fort Collins, nous nous engageons sur une route qui nous amène à travers les montagnes, jusqu’à 8 500 pieds d’altitude, avant de redescendre sur un plateau, vers Laramie, au Wyoming.
Sur Cerrillos Drive, le matin, en attendant l’autobus qui amène les passagers vers le cœur historique de Santa Fe… La chaîne de montagne Sangre de Christo, en arrière-plan.
Nous avons passé une dizaine de jours à Santa Fe.
Il faut bien quitter un jour… poursuivre le voyage…
La veille du départ, nous passons chez un concessionnaire Chevrolet, pour une mise au point des aspects « mécanique automobile » de notre motorhome, notre domicile motorisé — vérification d’huile, de la climatisation, des pneus…
Chez le concessionnaire, on nous offre de nous conduire au centre commercial tout près du garage. Nous y arrivons trop tôt. Tous les commerces n’ouvrent qu’à 10 h 00. Nous marchons un peu dans des couloirs presque vides… à l’exception de vieux de notre âge qui pratiquent la marche rapide d’un bout à l’autre, revenant, repartant… mieux à l’intérieur qu’à l’extérieur… trop chaud à l’extérieur ; d’autres vieux, des hommes, jouent aux échec…
À une extrémité, des bureaux de recrutement pour l’armée, la marine, le corps des Marines, et l’aviation militaire ; à l’autre extrémité, un bureau de recrutement pour la garde nationale. Entre les deux, des boutiques de vêtements, de meubles, d’appareils électroniques, de téléphonie, de soins des ongles… et des comptoirs de nourriture… On constate que beaucoup de locaux sont vides… à louer. Nous en déduisons que ce centre commercial est de construction récente, d’autant plus qu’il y a un nouveau quartier résidentiel qui semble se développer tout autour.
Le temps passe. Une heure et demie plus tard, on nous appelle pour nous informer que le travail est terminé. Le chauffeur de la navette vient nous chercher. C’est un ancien policier à la retraite. Il nous corrige : oui, c’est un développement résidentiel récent tout près ; non… le centre commercial existe depuis plus de dix ans ; c’est que celui-ci ne s’est jamais relevé de la crise économique de 2008. Notre chauffeur ne croit pas un mot de ce que les experts et les politiciens disent à propos d’une reprise économique ; les emplois créés, nous dit-il, sont des emplois précaires, à temps partiel, au salaire minimum. Il est très critique à l’égard du gouvernement fédéral.
Un arrêt d’autobus devant un centre commercial au sud de la ville de Santa Fe… une architecture qui se conforme au style dit Santa Fe… des enseignes américaines pour la plupart…
Prendre l’autobus
À l’exception d’une seule occasion, pour aller au Jardin botanique un dimanche matin, je me suis déplacé en transport en commun dans la ville. Les usagers du transport en commun ne sont pas riches. Il y a des gens pauvres à Santa Fe. Ils ne fréquentent pas les secteurs plus touristiques. En passant du quartier du Railyard et de la Guadalupe à celui de la Plaza de Santa Fe, au moment de traverser la rivière Santa Fe, je les ai croisés, des jeunes et des plus vieux, sans travail, qui se retrouvent dans des parcs, tôt le matin.
J’observe attentivement le paysage urbain le long du circuit d’autobus. Même si la plupart des commerces s’efforcent de se conformer à un style d’architecture, selon le style dit de Santa Fe, les enseignes des commerces sur l’interminable Cerrillos Drive nous révèlent que la présence des Espagnols, des Mexicains et des Indiens y est moins forte que dans les quartiers plus touristiques.
La grande majorité des établissements affichent des marques de commerce de chaînes connues : Wal Mart, Walgreen, Verizon, Macdonald, Taco Bell, Wells Fargo, Days Inn… et ainsi de suite pour l’essence, l’hôtellerie, etc. La volonté d’être « différente » est superficielle sous certains aspects ; c’est une marque de commerce, touristique. La ville est américaine et il semble qu’elle se soit de plus en plus américanisée au cours des deux ou trois dernières décennies. Le visiteur venu d’ailleurs qui se confine uniquement dans les secteurs touristiques ne verra pas l’autre Santa Fe.
D’autres types de voyageurs
Nous étions l’exception parmi les visiteurs qui sont venus s’installer au camping du Trailer Ranch RV Resort. Ces gens n’étaient pas venus pour visiter ; les musées et les boutiques d’art et d’artisanat de haute gamme ne les intéressent pas.
Nous venions du Nord ; eux venaient du Sud, une contrée tout aussi mythique pour nous que le Nord l’est pour eux.
Nos voisins, qui ne sont pas pauvres ( ils possèdent un véhicule récréatif ), sont pour la plupart des retraités ; ils fuyaient le Texas, le sud du Nouveau-Mexique, de l’Arizona et de la Californie, où le thermomètre dépassait régulièrement les 110 degrés F depuis des semaines. On étouffe dans le Sud.
Santa Fe, en vertu de son altitude, les attirait pour la douceur de son climat : le ciel est bleu, pratiquement sans nuage, tous les jours, mais le thermomètre se maintient entre 90 et 100… ce qui, pour les habitants de Santa Fe, est perçu comme étant chaud, même durant le mois de juin, le mois le plus chaud de l’année. Curieusement, aucun d’entre eux ne songerait à s’aventurer encore plus au nord, vers le Wyoming, ou le Montana, par exemple. La plupart ne connaissent pas cette région de leur pays. Leur perception de cette région est qu’elle est trop froide.
La Plaza de Santa Fe, avec le Palais des gouverneurs au bout de la rue. Autrefois, il n’y avait pas d’arbres, ni de bancs pour se reposer. La Place est aujourd’hui un parc. Les Indiens vendent leurs oeuvres d’artisanat à l’ombre, devant la Palais des gouverneurs. La Place est entourée de boutiques qui vendent des objets de luxe à une clientèle principalement constituée de touristes.
Mercredi 22 juin, sur la Old Santa Fe Trail, jusqu’à la Plaza de Santa Fe
Depuis quatre siècles, tous les voyageurs qui arrivent à Santa Fe se hâtent d’abord vers la Plaza Santa Fe, devant le Palais des gouverneurs, le centre historique de cette ville envoûtante.
À l’inverse, pour les Mexicains qui quittaient Santa Fe en direction opposée, la même Plaza de Santa Fe était un point de départ.
La plupart de ceux qui s’embarquaient dans cette aventure, des commerçants surtout, faisaient le trajet dans les deux sens. La Piste de Santa Fe était d’abord et avant tout un couloir de commerce international. Il faut savoir aussi que la Plaza de Santa Fe était un lieu de rencontres : la route qui menait vers les régions plus au Sud du Mexique, El Camino Real de Tierra Adentro, ainsi que celle qui menait vers l’Ouest, la Californie, se rejoignaient toutes à cette même Plaza.
Dans les musées et les sites historiques nationaux situés plus au Nord et à l’Est, de La Junta ( au Colorado ) à Independence ( Missouri ), on évoque surtout les noms des entrepreneurs américaines. Plus au Sud, au New Mexico Museum of History à Santa Fe, ou au musée local à Trinidad ( Colorado ), on nomme aussi des entrepreneurs néo-mexicains qui se sont aventurés sur cette voie commerciale.
Animé par la curiosité…
J’étais curieux d’aller retracer ce trajet, les derniers pas jusqu’à la Plaza de Santa Fe… de reconnaître les dernières ou les premières longueurs, selon le point de vue, de cette Piste.
C’est à partir du pont qui enjambe la rivière de Santa Fe ( à vrai dire, plutôt un ruisseau qu’une rivière ), que je me suis dirigé vers l’Est, à la rencontre d’une caravane imaginaire… qu’on attendait depuis quelques jours, puisque des gens des villages voisins venus à cheval nous avaient avertis qu’une caravane arrivant de Independence, Missouri, était en route, aux environs de Pecos.
À gauche, à quelques coins de rue de la Plaza Santa Fe, sur l’ancienne Route 66 qui, à cet endroit se superpose à l’ancienne Piste de Santa Fe : le Garrett’s Desert Inn. Les voyageurs qui arrivaient de Independence Missouri, vers 1840, 1850, aurait certes apprécié s’y installés.
À l’époque, en 1830, on n’aurait pas aperçu un motel à gauche, sur la route, à quelques pas de la Plaza.
Ce n’est qu’à partir de 1846 que le Nouveau-Mexique a été cédé aux États-Unis, de force, en vertu d’un traité mettant fin à la Intervencion norteamericana en Mexico. Santa Fe a conservé son statut de capitale du territoire. Des bureaux de l’administration publique du gouvernement de l’État du Nouveau-Mexique sont dispersés un peu partout dans la ville. À droite ( photo ci-haut ), à quelques pas de marche, de l’autre côté de la voie, le flâneur d’aujourd’hui constate la présence d’un bureau du State Land Office, qui gère les propriétés publiques de l’État.
Poursuivons la marche, de quelques centaines de mètres avant de rebrousser chemin vers notre destination…
Les touristes d’aujourd’hui, tout comme les voyageurs d’il y a quelque 150 ans, passeront devant l’église de la Mission San Miguel, une des plus vieilles églises des États-Unis ( érigée il y a environ quatre siècles, à la même époque que la fondation de la ville de Québec ). Le fouineur méthodique féru d’histoire trouvera sur Internet des photos d’époque de cette église : il, ou elle, constatera qu’elle était dans un piteux état au 19è siècle. Heureusement, on l’a restaurée depuis peu.
Les flâneurs curieux qui s’engageront dans la rue, à gauche de l’église, y découvriront un autre édifice, encore plus ancien que cette église.
L’église de la Mission San MiguelLa plus vieille maison de Santa Fe, en adobe : c’est aujourd’hui un musée.
Après avoir visité l’église et la maison, le visiteur d’aujourd’hui retournera sur la Old Santa Fe Trail en se dirigeant vers la Plaza.
Il fait chaud, l’avant-midi passe vite, l’heure du lunch approche : on pourrait être tenté de s’arrêter à la pizzeria Upper Crust, où on sert, selon l’affiche, de la Samuel Adams, une marque américaine de bière bien connue, et pas pire à mon avis. Il, ou elle préférera peut-être continuer son chemin : il y a tellement de restaurants sur cette route et dans les environs. Le visiteur retiendra que le voyageur d’antan n’avait pas autant d’options : ce voyageur d’antan n’avait qu’une obsession, se rendre à la Plaza…
Upper Crust Pizza, sur Old Santa Fe Trail, à Santa FeInn and Spa at Loretto
Une centaine de pas plus loin, nous traversons le pont sur la rivière/ruisseau Santa Fe, on admirera l’architecture du Inn at Loretto, on résistera à l’envie d’entrer dans les boutiques d’art et d’artisanat de l’autre côté de la rue. On passera devant la chapelle Loretto, on se retrouvera face à l’hôtel La Fonda ; on bifurquera à gauche pour contourner cet hôtel, et enfin, on arrivera à la Plaza.
À l’emplacement du légendaire hôtel La Fonda, qui occupe tout le quadrilatère aujourd’hui, il y avait déjà un hôtel qui accueillait les voyageurs dès le début de la création de la Piste de Santa Fe. Le voyageur d’aujourd’hui aurait beaucoup de difficulté à s’imaginer l’apparence de celui-ci, s’il n’existait pas d’archives photographiques de l’époque de la deuxième moitié du 19è siècle. Le voyageur d’antan n’aurait jamais pu s’imaginer non plus à quel point on modifierait les lieux sur une période de cent ans. Après tout, l’évolution de la ville avait été lent au cours des deux siècles précédents, lorsque Santa Fe était un poste frontalier à la limite nord de la colonie espagnole du Mexique.
La grande dame des hôtels de Santa Fe, l’hôtel La Fonda a acquis une réputation enviable, dès sa fondation. Les voyageurs fortunés, dont un grand nombre de personnalités célèbres, qui débarquaient du train qui arrivait à Santa Fe appréciaient le service qu’on y offrait. Le New Mexico History Museum consacre présentement une salle d’exposition à l’histoire de cet hôtel, à son architecture, ainsi qu’au personnel féminin de cet hôtel.
Tourner à gauche sur Water St, puis à droite pour contourner l’Hôtel La Fonda, et déboucher sur la Plaza de Santa Fe…
Mais ce n’est pas à La Fonda que je me suis dirigé en arrivant à Santa Fe à la mi-juin, après avoir passé une semaine à suivre les traces des voyageurs sur des routes modernes, le long de la vénérable Piste de Santa Fe. Ce n’est pas non plus à la Plaza de Santa Fe.
C’est plutôt au camping du Trailer Ranch RV Resort, sur le boulevard Cerrillos, que nous nous sommes installés pour une dizaine de jours. Un des circuits du transport en commun de la ville passe devant ce camping. Les voyageurs ont plusieurs options aujourd’hui : ils peuvent voyager aujourd’hui en train, en avion, en automobile, et en véhicule récréatif. Ce dernier mode de transport nous convient bien.
On ne découvre pas, on n’apprivoise pas une ville en quelques jours, voire même en quelques semaines. Il en faut du temps pour s’immerger dans ces habitats que sont les villes et les villages que se sont construits les humains au cours des décennies, des siècles… faire connaissance, se livrer, tisser des réseaux… Quand on a si peu de temps, on ne peut qu’en effleurer la surface.
J’aime marcher dans une ville que je visite pour la première fois. Dans le cas de Santa Fe, j’ai bien conscience que ce sera probablement la première et la dernière fois. Je ne crois pas que j’y retournerai. C’est que je termine d’ici peu la septième décennie de mon existence, et qu’étant donné le temps qu’il me reste pour poursuivre mes découvertes du monde, je suis de moins en moins porté à retourner vers les lieux que j’ai déjà explorés.
… parfois dans le café attenant à la libraire Collected Works…
C’est dans cet esprit que j’aurai pris beaucoup plaisir à laisser dérouler ce temps qui me semble passer de plus en plus en vite à mesure que je vieillis, en marchant dans Santa Fe… contemplant ces paysages urbains… et de ponctuer ces marches en me posant, parfois sur un banc dans le parc de la Plaza centrale de la ville, parfois dans le café attenant à la librairie Collected Works… savourant cet instant en tentant de ralentir son inexorable débit… sans illusion…
C’est en parcourant, cet après-midi, une exposition de la photographe Anne Noggle, sur l’autoportrait, dans le New Mexico Museum of Art, que je me suis souvenu m’être livré à cet exercice en visitant un autre musée, le Saint-Louis Art Museum ( SLAM, pour les initiés ), il y a quelques semaines.
En passant d’un étage à un autre, pour passer d’une galerie à une autre, j’ai descendu cet escalier. L’édifice où loge le SLAM est une œuvre d’art en soi, tout comme le New Mexico Museum of Art d’ailleurs, dont vous pouvez admirer des prises de vue extérieures, que j’ai affichées plus tôt cette semaine ( voir ici ).
Autoportrait, au SLAM
New Mexico Museum of Art – Exposition sur l’autoportrait
Nous arriverons à destination demain : la Plaza de Santa Fe, devant le Palais des Gouverneurs..
Quel long voyage ! Deux mois, à marcher à côté des attelages de bœufs sur la Piste de Santa Fe, sous le soleil implacable et dans la poussière depuis la place centrale à Independence, Missouri — 900 miles environ ( 1 400 km ). Nous avons choisi de prendre la voie de la montagne parce que, bien qu’elle soit plus longue que la voie de Cimarron, elle nous semble moins dangereuse.
Hier, nous avons croisé l’ancienne église que les Pueblos viennent d’abandonner, à Pecos, dans le Col de Glorietta, à plus de 2 000 m d’altitude ( 7 500 pieds ).
Nous sommes épuisés, mais heureux d’atteindre enfin notre but.
Je me mets dans la peau des commerçants qui ont voyagé le long de cette piste légendaire, pendant un demi siècle, il y a un siècle et demi et plus.
Ils ont voyagé pendant environ 70 jours. Nous avons pris une semaine pour parcourir essentiellement la même route, en prenant notre temps, en nous arrêtant ici et là, au Fort Larned, à Dodge City, au Vieux Fort Bent, pour nous immerger dans l’atmosphère du temps passé… un passé pas si lointain lorsqu’on y songe.
En 1821, le Mexique obtient son indépendance de l’Espagne. Le pays ouvre ses frontières à son voisin et veut favoriser le commerce. Santa Fe fait toujours partie du Mexique à cette époque. Il n’y a pas de route entre Santa Fe et la ville frontière de Saint-Louis, au Missouri. Plusieurs peuples autochtones dominent toujours le territoire entre ces deux villes.
Un marchand, William Becknell, saisit l’occasion. Il trace une piste et réussit à rejoindre Santa Fe à partir de Saint-Louis, inaugurant ainsi un réseau commercial entre ces deux centres urbains.
Pendant un peu plus d’un demi-siècle, cette piste sera la seule voie de communication entre ces deux villes. Éventuellement, c’est à Independence, au Missouri, qu’on assemblera des caravanes de chariots à bâche de type Conestoga, à destination, soit de l’Oregon, de la Californie ou de Santa Fe. Les chemins de fer remplaceront, dès le troisième quart du 19è siècle, toutes ces pistes.
Au début du 20è siècle, on commencera à redessiner la carte du continent : on tracera d’autres chemins, qui constitueront éventuellement le réseau des routes, de terre d’abord, puis de bitume, à deux voies, et enfin à quatre voies, les autoroutes qui sillonnent l’Amérique du Nord.
Depuis une semaine, nous roulons à bord d’une autocaravane, de Saint-Louis jusqu’à Independence ( en banlieue de Kansas City ) sur l’autoroute I-70, puis sur les routes, 56 et 50, en passant par Dodge City, Colorado, jusqu’à La Junta, poursuivant sur la 350, jusqu’à Trinidad, et enfin l’autoroute I-25, jusqu’à Santa Fe. Chemin faisant, sans s’en rendre compte, nous gagnons graduellement de l’altitude, de 315 m au dessus du niveau de la mer à Independence, jusqu’à plus de 2 000 m dans les cols de Raton ( à la frontière du Nouveau-Mexique et du Colorado ) et de Glorietta, le passage qui mène à Santa Fe.
Les douces collines fertiles du Missouri font place à la plaine aride et sèche du sud du Kansas. Les arbres se font rares et se concentrent principalement le long des rares cours d’eau. Les routes sont rectilignes. Le regard ne perçoit pas les obstacles qui ont dû découragé les voyageurs d’antan ; le moindre ravin a dû représenter un défi que nous ne remarquons même plus en roulant en moyenne à 65 miles à l’heure.
À La Junta, nous avons subi un orage violent en début de soirée, à l’abri dans notre autocaravane étanche ; le vent la bousculait un peu. Nous avons imaginé ce qu’ont pu ressentir ces voyageurs à une autre époque. C’est la saison des tornades ; la propriétaire du camping à Dodge City nous a confié qu’elle se comptait chanceuse d’avoir évité un désastre deux semaines plus tôt, alors que plusieurs tornades avaient touché la plaine dans les environs.
Depuis plusieurs jours, le thermomètre n’était jamais descendu en bas de 21 C la nuit, s’élevant jusqu’à 38 à La Junta en fin d’après-midi. Deux jours plus tard, à Las Vegas ( Nouveau Mexique ), au milieu de la nuit, nous avons dû recouvrir le lit avec les couvertes chaudes que nous avions rangées dans des tiroirs.
Encore aujourd’hui, les distances sont longues entre les villes et villages le long de ces routes. Autrefois, on laissait les bœufs qui tiraient les chariots brouter en fin de journée. Aujourd’hui, nous devons prévoir de remplir nos réservoirs d’essence ; les stations service sont espacées les unes des autres entre les villes et villages. Autrefois, on se réjouissait d’arriver au Vieux Fort Bent. Tous, humains et bêtes se reposaient quelques jours ; on s’y ravitaillait en échangeant des marchandises pour des services ; on pouvait compter sur le forgeron et le menuisier, qui pouvaient soit ferrer nos bœufs, soit réparer nos roues de bois et de métal, malmenées par la traversée d’une plaine moins plane qu’on le croirait.
Jour après jour, il faut beaucoup de résilience, de volonté, pour poursuivre son chemin. Les chariots, qu’on a surnommé les goélettes des plaines ( Prairie Schooner ), sont chargés de deux tonnes de marchandises : des tissus, des ustensiles, des biens domestiques produits dans l’est du continent, qu’on échangera contre de l’argent, du cuivre et d’autres métaux du Mexique. Au chemin du retour de Santa Fe à Saint-Louis, on ramènera du Fort Bent vers l’Est, des tonnes de fourrures ( bison, castors, et autres ) que les chasseurs et trappeurs, tant Indiens que Blancs, y ont échangées contre des fusils, des munitions, des marmites en métal, des tissus…
Il y a deux jours, peu après avoir dépasser le Col de Raton, le tachymètre de l’autocaravane nous a indiqué que nous avions roulé 6 000 km depuis notre départ il y a cinq semaines, alors que notre appareil GPS nous informait que nous étions à 6 000 pieds d’altitude…
Aujourd’hui, je n’aurai rien d’autre que des récits de voyage à offrir, à raconter, au retour de ce long voyage… faire part de mes découvertes, parler des multiples rencontres aussi avec des toutes sortes de gens…
Demain, nous irons à la Plaza de Santa Fe, devant le Palais des Gouverneurs. Santa Fe, une des plus vieilles villes du continent, aussi vieille que la ville de Québec… une ville de rencontres de peuples, une ville qui se targue d’être différente. Dans le dépliant touristique de la ville, on avertit le visiteur : ici, il n’y a rien qui presse, et vous ne devriez pas vous presser non plus ( We don’t rush here. You don’t have too, either. )
On marchait à côté des charriots, sur une vaste prairie semi-aride, sur des plaines désertiques, puis en traversant des montagnes, au rythme d’une vingtaine de km par jour, sur une distance de 1 400 km. Ici, sur la plaine aride et sèche dans les environs de Dodge City, imaginez combien il est préférable de marcher pour guider les attelages de bœufs plutôt que de se laisser brasser les os assis sur le charriot.
Le Fort Bent, un poste de commerce, à quelques km de La Junta, Colorado, fut pendant deux décennies, une étape bienvenue pour ceux qui voyageaient sur la Piste de Santa Fe.
À bien des endroits, la route 350, entre La Junta et Trinidad au Colorado, suit le chemin original de la Piste de Santa Fe. Chemin faisant, on apercevra à l’occasion des antilopes d’Amérique ( proghorn ), qui broutent parfois en compagnie des troupeaux de bœufs. Un aigle foncera au niveau du sol pour ramasser un malheureux lièvre. Il y a peu de circulation sur cette route, surtout un dimanche matin ; ce ne sont que les phares d’une automobile qui nous indique de loin sa présence.
On distingue bien, de loin, sur la I-25, le point de repère de Wagon Mound, entre Watrous et Springer, Nouveau-Mexique. La vue de cette montagne, qui se détache de la plaine aride, a dû réconforté les voyageurs qui arrivaient de Independence. Cela signifiait qu’il ne leur restait plus que quelques jours avant d’atteindre leur destination.
Le Col de Glorietta, à deux jours de distance de Santa Fe, au départ ou à la fin du voyage, selon le cas, à la hauteur du Parc national historique de Pecos.
Traces des charriots sur l’ancienne Piste de Santa Fe, aux environs de Dodge City — US Route 50
Sur les traces des migrants, d’hier et d’aujourd’hui…
Il y a quelques semaines, j’amorçais un autre voyage d’exploration de l’Amérique… ou, puisque l’Amérique est un continent, devrai-je plutôt écrire : les Amériques, mes Amériques.
Depuis quatre jours, nous traversons les grandes plaines immenses du Kansas. Nous avons quitté l’autoroute I-70 un peu à l’ouest de Salina et nous avons piqué vers le Sud-Ouest, pour aller suivre l’ancienne Piste de Santa Fe… sur les traces des commerçants, des militaires et des migrants qui l’ont foulée il y a bientôt deux siècles.
En roulant, à plus de cent à l’heure ( jusqu’à 120 parfois même ) sur les routes qui s’étendent sans fin apparente sur ces grandes prairies, je m’imagine ce que fut le voyage pour ceux qui le traversaient lentement, à raison d’une vingtaine de kilomètres par jour, sur des charriots tirés par des bœufs ou des mules, bravant le soleil implacable, les orages, la foudre et les tornades, le vent incessant, la chaleur ou le froid, les serpents à sonnettes, observant à distance les troupeaux de bisons au loin, sous le regard attentif des premiers habitants du pays… Le territoire était, à cette époque, le domaine des tribus nomades, chasseurs de bisons, les Cheyennes, Kiowas, les Pawnees, les Commanches, les Arapahos… Un peu plus au sud, au sud de la rivière Arkansas, on passait en territoire mexicain.
Les paysages de l’Amérique ont changé ; Pawnee Rock, autrefois un repère sur la Piste de Santa Fe, a été réduit d’une vingtaine de pieds. Ceux qui se sont établis dans les environs avaient besoin de pierre pour construire leurs maisons. Les visages aussi changent ; ils parlent même d’autres langues que l’anglais.
La cavalerie, les cowboys et les Indiens de déjà ne chevauchent plus dans le paysage. Il y a longtemps qu’on a abandonné les forts le long de la Piste de Santa Fe — Fort Dodge, Fort Lyons, et autres ; on a transformé certains d’entre eux en monuments historiques nationaux — Fort Larned, Bent’s Fort. On tourne beaucoup moins de films sur eux. Les millions de bisons ont disparu, remplacés par des troupeaux de vaches. Le blé pousse aujourd’hui là où de l’herbe couvraient les paysages. Les chiens de prairie n’ont plus de place où creuser leurs villages.
Tout au long de ce voyage, je redécouvre les nombreux visages de mon Amérique.
Beaucoup de gens voyagent, comme nous… dans toutes les directions. Les familles sont dispersées aujourd’hui : les grands-parents visitent leurs enfants et leurs petits-enfants dispersés dans toutes les régions du pays, de l’Ohio à l’Oregon, de San Diego à Boston.
Des familles migrent d’une région à une autre à la recherche d’un emploi. De plus, plus nous nous rapprochons du Sud, Sud-Ouest, plus nous communiquons avec des employés dans les commerces qui parlent très peu l’anglais, et qui se parlent entre eux en espagnol.
Il y a quelque chose d’un peu ironique dans cette « invasion » latina. Il y a deux siècles, l’invasion était anglaise, et bienvenue par les Mexicains, qui comptaient sur les migrants pour contrer la pression autochtone. La vague migratoire « civilisatrice » américaine fut telle, que le Texas devint américain, de force, et que le Nouveau-Mexique, l’Arizona et la Californie furent américanisés. On croyait fermement que c’était le destin de l’Amérique que d’apporter les bienfaits de la civilisation et de la démocratie à ces contrées.
Une route rectiligne, qui se fond dans l’horizon
Pawnee Rock –la roche est gravée des signatures de ceux qui y sont passés
La Belle de Louisville : une croisière sur la rivière Ohio, un soir de mai…
Mardi 24 mai 2016
Au téléphone, on m’informe que le bateau à roue à aube Belle de Louisville n’accepte pas de réservation pour la croisière du mardi soir. Toutefois, nous pourrions réserver une place sur l’autre bateau, le Spirit of Jefferson, mais ce serait uniquement une place sur le pont supérieur, sans repas. Toutes les places sur les ponts inférieurs où on sert des repas sont déjà réservées.
Pourquoi pas… on s’arrangera pour prendre le repas avant le départ…
Bal de graduation sur la Belle de Louisville, en croisière sur la rivière Ohio, un soir de mai
Sur place, on apprend que la Belle de Louisville part en croisière ce soir-là, mais que le bateau a été réservé par les étudiants d’une école secondaire locale, pour y tenir leur bal de graduation. Plus d’une centaine de jeunes sont rassemblés sur le quai, surtout des filles dont certaines sont accompagnées d’un garçon ; quelques adultes, leurs enseignants surement, quelques parents pour chaperonner probablement. Nous ne sommes pas malheureux de ne pas être à bord.
Nous apprenons aussi que le Spirit of Jefferson n’est pas un véritable bateau à roue à aube. Il n’en a que l’allure, l’apparence. Qu’importe, nous sommes très heureux de nous embarquer. Nous trouvons une place intéressante, à l’avant, devant le capitaine. La température est douce, frisant le 30 C, presque pas de vent : une belle soirée pour une croisière sur l’Ohio.
À la barre du Spirit of Jefferson, dans le sillage de Belle of Louisville, sur la rivière Ohio
Avant même d’embarquer, en attendant le départ, on remarque qu’il y a beaucoup de circulation sur la rivière : des barges, certaines très longues et larges, qui remontent le courant. La vocation de la rivière a toujours été commerciale. Au cours d’une époque depuis longtemps révolue, il y avait beaucoup de bateaux à roue à aube, comme la Belle de Louisville, qui transportaient non seulement des passagers, mais aussi des marchandises. Le musée de l’histoire de Cincinnati présente une exposition comportant un modèle réduit de bateau à aube accosté au quai, baignant dans une « piscine », où des mannequins déchargent passagers et marchandises. La rivière fut longtemps la principale voie de transport entre les villes tout au long du 19è siècle.
Le vocation commerciale du transport maritime est toujours très importante sur la rivière Ohio
J’ai compté quatre ponts qui traversent l’Ohio à Louisville : un vieux pont pour la circulation automobile, un tout nouveau plus large pour les mêmes fins, un pont réservé exclusivement au piétons et aux cyclistes et enfin, un pont pour le transport ferroviaire.
Au retour, en descendant le courant, au moment de passer sous le pont réservé aux piétons et aux cyclistes…
Le Spirit of Jefferson remonte la rivière calmement pendant un peu plus d’une heure, loin derrière la Belle de Louisville. On est avare de descriptions des lieux… on vogue lentement dans la douceur de la soirée. Puis, on retourne vers notre point de départ. Les gratte-ciel de Louisville se détachent peu à peu de l’horizon, derrière les ponts d’abord, puis on retourne au quai, aux dernières lueurs de la journée
Le centre-ville de Louisville, vu de la rivière, aux dernières lueurs de la journée
Un ami auquel j’avais montré une ébauche de notre itinéraire de voyage, était étonné du niveau de préparation sous-jacent à une telle équipée : il était surpris de constater qu’il y avait peu de place pour l’imprévu.
Nous avons eu beaucoup d’occasions de gérer les imprévus au cours du présent voyage. Quatre exemples, parmi d’autres : une première fois, il y a deux semaines, afin d’insérer une activité dans notre itinéraire ; une deuxième fois, pour s’adapter à une négligence de ma part ; une troisième fois… un des pneus avant de notre véhicule a cueilli un clou sur la chaussée quelque part à Saint-Louis ; une quatrième fois, lorsque le mauvais temps nous force à remettre d’un jour, la participation à une activité à laquelle je tenais beaucoup.
Chaque année depuis des décennies, au début du mois de juin, des centaines de gens de tous les âges, de toutes les conditions, de diverses professions, choisissent de retourner vivre dans une époque lointaine. Ils s’habillent en costume d’époque, font la cuisine sur un feu de bois en plein air, dorment sous une tente de toile, quelle que soit la température, chaude et humide, au soleil ou à la pluie, comme au temps de la Nouvelle-France, au pays des Illinois, vers 1750. Ils se rassemblent lors du Rendez-vous au Fort de Chartres, tout près du Mississippi, à une centaine de kilomètres au sud de Saint-Louis.
Au cours de la première moitié du 18è siècle, à l’époque de la Nouvelle-France, le Fort de Chartres a servi de siège du gouvernement de la région qu’on a appelé le pays des Illinois. Cette région a servi de grenier à blé pour la Louisiane jusqu’à la cession du territoire des Français aux Anglais suite au Traité de Paris en 1763.
Les Français ont construit deux forts en bois entre les années 1720 et 1725. Le premier se dégrade suite à des inondations. Le deuxième ne résiste pas plus aux éléments. Ce n’est que trois décennies plus tard qu’on érige un troisième fort, en pierre, près des deux premiers.
Cette année, les Amis du Fort de Chartres ont décidé de commémorer la prise de possession du Fort de Chartres par les Anglais en 1765, selon les modalités prévues en vertu du Traité de Paris de 1763, qui a mis fin à la Guerre de Sept Ans. On a organisé une scène évoquant la cession du fort, le retrait du Régiment des Compagnies franches de la Marine et la prise en charge par Régiment royal des Highlanders, qui eu lieu il y a 250 ans.
Comme chaque année, les Rendez-vous du Fort de Chartres attirent des milliers de visiteurs, en plus des personnes qui s’y rendent pour revivre le passé. Des artisans y font des démonstrations de leur savoir-faire : forge, travail du bois, courtepointes… beaucoup d’armes — couteaux, tomahawks… On y présente aussi des démonstrations de tirs de canons, de mousquets, de tomahawks. Beaucoup de ceux qu’on nomme des « reenactors », des gens qui revivent comme à l’ancien temps, s’étaient installés depuis presque une semaine, avant l’ouverture officielle au grand public du village. Un jeune homme, jeune trentaine, m’a dit qu’il a assisté à cet événement chaque année depuis qu’il a trois ans, en compagnie de son père.
Il n’y a pas qu’à Montréal et à Québec qu’on se souvient du temps de la Nouvelle-France. On le fait aussi, encore aujourd’hui, au pays des Illinois.
J’ai visité le Musée du Fort de Chartres. On y rappelle le souvenir de cette grande épopée que fut la Nouvelle-France : que Jolliet et Marquette sont passés par là il y trois siècles et demi, que De La Salle et Tonty les ont suivis, les coureurs de bois ont essaimé partout dans ces territoires. Ils se sont fait des alliés avec les peuples qui y vivaient avant leur arrivée.
C’est dommage qu’on ne raconte plus ce récit. C’est un récit qui pourrait inspirer tous les jeunes Québécois : leur rappeler que leurs ancêtres ont accompli de grands exploits… qu’ils peuvent être fiers de leur histoire. Je me souviens que ces récits m’ont inspiré lorsque j’étais plus jeune, enfant et adolescent.
La porte du Fort de Chartres, qui a été reconstitué par l’État de l’Illinois, graduellement, depuis un siècle.
Commémoration de la remise du Fort par les Français aux Anglais en 1765, conformément au Traité de Paris de 1763.
Le Rendez-vous de Fort de Chartres a lieu chaque année, la première fin de semaine de juin.
Démonstration du travail de forge. Cet artisan a appris ces techniques de son grand-père. Il travaille le métal, pour le plaisir, à titre amateur. Ce n’est pas sa profession.
Il a fallu une quarantaine d’années pour que les dirigeants d’une demi-douzaine de compagnies de chemins de fer s’entendent pour construire une gare unique pour les passagers qui débarquaient ou transitaient à Cincinnati.
Cincinnati était, au début du 20è siècle, un centre majeur du réseau interurbain de transport ferroviaire des passagers entre les régions du Nord-Est, du Mid-Ouest et du Sud des États-Unis. Cinq gares différentes accueillaient les passagers et un grand nombre d’entre eux devaient transférer d’une compagnie de chemin de fer à une autre, et se déplacer d’une gare à une autre, pour poursuivre leur voyage.
Finalement, on entame les travaux à la fin des années 20. La nouvelle gare, un bijou d’architecture de style Art Déco, est inaugurée en 1933.
Une des deux fresques qui ornent le grand hall d’entrée de la gare.
Malheureusement, le transport de passagers par les trains commençait déjà à décliner à cette époque. Le déclenchement de la Deuxième grande guerre ralentit le déclin. Mais aussitôt la guerre terminée, le déclin se poursuivit tout au long des années 50 et 60. Enfin, au début des années 70, il ne restait plus que deux trains par jour. Il fallut trouver une autre vocation pour la gare.
Le gouvernement municipal prend les choses en main. Des maires et des échevins ont le souci de préserver leur patrimoine architectural, dont fait partie cet édifice exceptionnel. Après plusieurs échecs, deux décennies plus tard, l’édifice reprend vie : six organismes s’y installent, dont quatre musées, une salle de projection de cinéma Imax, et un club d’amateurs de chemins de fer ; de plus, Amtrak rétablit son service ferroviaire de passagers à Cincinnati.
Toutefois, après des années de négligence, l’édifice a subi l’usure du temps. Au cours des mois qui viennent, on entreprendra des travaux pour le préserver. On fermera des sections entières de l’édifice pendant qu’on procédera aux travaux : on retirera des pièces des musées, on protégera d’autres éléments architecturaux, telle que la salle où on vendait des glaces, que je n’ai pas eu la chance de visiter.
Une vue de l’intérieur de la façade et du toit de la grande rotonde à l’entrée de la gare Union Terminal
Un coup d’œil suffit : on est séduit. La façade impose l’attention et nous invite à s’approcher. L’intérieur ne déçoit pas. On en perd le souffle…
Nous choisissons de visiter un des musées, le musée d’histoire de la ville, et de visionner un film sur le centenaire des parcs nationaux des États-Unis au cinéma Imax.
Plusieurs pièces du musée d’histoire ont été retirées en prévision des travaux. Mais on peut toujours parcourir l’essentiel des expositions permanentes les plus importantes. Dans l’une de ces expositions, une des imposantes mosaïques qui décoraient originalement le passage qui menait aux quais d’embarquement des trains ; on la retirera du musée dans quelques semaines.
Une des mosaïques qui décoraient le passage qui menaient aux quais d’embarquement des passagers dans la gare Union Terminal
Enfin, au moment où nous y sommes passés, nous avons eu le plaisir de parcourir une exposition spéciale temporaire sur les collections d’objets-souvenirs que des citoyens de la ville ont rapportés de leurs voyages à travers le monde et qui ont été remis au musée d’histoire. Certaines de ces pièces sont exceptionnelles.
Ces citoyens ont eu l’occasion d’établir des liens personnels avec les gens dans les pays qu’ils visitaient. Ils ont voyagé dans plusieurs pays à des époques où il était encore possible de collectionner ces pièces. Ils ont légué leurs collections d’objets au Musée d’histoire de la ville.
Le voyageur qui passe à Cincinnati doit insérer quelques heures dans son programme pour visiter cette merveille architecturale… ne serait-ce que pour en retenir le souvenir de l’avoir admirée et de pouvoir le raconter à ses amis à son retour chez-lui.
Imaginez : il y a environ mille ans, dans la région de Saint-Louis, une ville plus imposante et grande que Londres à la même époque !
On estime qu’environ 20 000 personnes habitaient cette ville, Cahokia, et que celle-ci était entourée de plusieurs agglomérations de moindre importance dans un rayon d’une centaine de kilomètres, à l’est du Mississippi, là où le Missouri coule dans le grand fleuve. Cette ville n’est pas imaginaire ; elle a bel et bien existé.
Depuis plus de trois cents ans, les Français d’abord, puis les Anglais et les Américains par la suite, ne cessent de s’interroger sur la présence de centaines, voire de milliers d’ouvrages en terre, dont certains sont de grande magnitude, disséminés sur l’ensemble des territoires de l’Ohio, de l’Indiana et de l’Illinois. Qui a érigé ces ouvrages ? Pour quelles fins ?
Serpent Mound, près de Peebles, Ohio : les sinuosités du Serpent indiquent les temps de l’année astronomique — le rythme annuel des équinoxes et solstices, ainsi que des emplacement des levers et des couchers de la lune au cours des saisons…
… en passant par Cincinnati et Louisville, du 16 au 26 mai
Il y a une dizaine de jours, nous avons levé notre campement, quitté Pittsburgh, afin de poursuivre notre route vers l’Ouest. Deux mille kilomètres plus loin, nous sommes rendus aux portes de Saint-Louis.
Les plus futés de mes lecteurs, ceux qui connaissent leur géographie me corrigeront : la distance entre Pittsburgh et Saint-Louis est beaucoup moindre. C’est vrai… de moitié moindre. Une recherche sur Google vous donnera l’heure juste : ce trajet n’est que de 1 000 km environ, en filant sur l’autoroute I-70 ; de plus, il ne faudrait que neuf heures pour le compléter, sans s’offrir de pause, en contournant les grandes villes, et en respectant les limites de vitesse.
C’est que nous avons viraillé beaucoup en Ohio, afin de visiter une demi-douzaine de sites qui témoignent d’une présence plusieurs fois millénaires de l’humain sur les territoires de l’Ohio, de l’Indiana, et de l’Illinois. Cet itinéraire nous a menés à nous arrêter à Cincinnati et à Louisville en chemin — un grand détour.
Les divers récits de nos pérégrinations à travers ce vaste territoire entre les Appalaches et le fleuve Mississippi viendront plus tard. Pour l’instant, je poursuis ma description des routes.
{=+=}
Toutes sortes de routes…
Le réseau des routes américaines est complexe. J’avoue que je m’y perds souvent, que je parviens difficilement à différencier entre les autoroutes du réseau des Interstate Highways, les autoroutes qu’on nomme les US Routes, ainsi que les State Routes ( routes des divers états de la fédération américaine, pas nécessairement des autoroutes, bien qu’elles soient souvent à quatre voies, avec ou sans séparation, en béton ou en gazon ), les routes de comté, et les routes locales, celles que l’auteur américain William Least-Heat Moon a célébrées dans son Blue Highways ( malheureusement, la référence est en anglais ).
Nous avons circulé sur toutes sortes de routes, surtout en Ohio… même sur les routes les plus secondaires, en terre, dans les replis les plus isolés de ce vieux territoire ( vieux tant sur le plan géologique que géographique ).
{=+=}
En s’éloignant de Pittsburgh, la transition entre les montagnes des Appalaches et les prairies de l’Ohio m’est apparue plus longue que ce à quoi je m’attendais. On traverse d’abord rapidement une petite encoche géographique de la Virginie occidentale, coïncée entre la Pennsylvanie et l’Ohio. Chemin faisant, l’altimètre nous indique que nous descendons progressivement de quelques centaines de mètres jusqu’en Ohio.
L’autoroute I-70, sortie 160, en Ohio
Je ne m’attendais pas non plus de retrouver en Ohio une topographie aussi accidentée. L’exploration de sites témoignant d’une très ancienne occupation du territoire nous a emmenés à parcourir des régions peu fréquentées par les touristes, et encore moins à ce temps-ci de l’année.
Nous avons traversé de nombreuses petites villes, des villages, croisant occasionnellement des tracteurs dont les roues étaient presque aussi grandes que notre véhicule.
À plusieurs reprises, on nous a demandé ce qui nous avait incités à venir nous retrouver là, dans leur restaurant, à la banque, etc.
Les gens sont réservés d’un premier abord. Ils deviennent spontanément accueillants dès que nous leur expliquons ce qui nous attire chez eux et qu’ils saisissent que nous nous intéressons à eux… qu’on visite leur pays, et pas seulement les grandes villes. Beaucoup nous envient ; ils n’ont guère voyagé au-delà leur propre pays, au-delà de leur région ou des villes avoisinantes.
Il faut ralentir, sur la US Route 50, en entrant dans le village de Bainbridge en Ohio
Un arrêt pour bouffer : Carl’s Townhouse, au coin des rues Walnut et 2è, à Chillicothe, en Ohio. Une atmosphère sympathique… comme dans l’ancien temps, avant l’apparition des grandes chaînes de restauration. Celui-ci a conservé son allure des années 50 et 60.
La State Road 41 coupe le village de Peebles en deux. L’ancien édifice de la mairie, qu’on contemple en attendant qu’on nous serve dans le restaurant, a connu de meilleurs jours.
{=+=}
Ohio State Road 23, direction sud
Le réseau routier commence à montrer des signes d’usure. Il y a beaucoup de chantiers où on effectue des travaux d’entretien. Certaines des routes transcontinentales, comme la I-70 par endroit, sont dans un état pitoyable.
La Ohio Route 350 entre et sort plus loin, entre deux tumulus érigés il y a plusieurs centaines d’années, bien avant l’arrivée des Européens, à l’intérieur du site d’interprétation historique et archéologique de Fort Ancient.
Après avoir voyagé à travers plus de plus de deux millénaires et demi dans le temps, nous avons fait une halte de trois jours au siècle présent, à Cincinnati… un arrêt au Marché Findlay, deux fois centenaire ; une après-midi à la magnifique gare Union Terminal, un bijou d’architecture Art Déco ; une avant-midi parmi les papillons des Caraïbes qu’on relâche pendant quelques semaines dans une des serres du Conservatoire Krohn. Puis on traverse la rivière Ohio, pour nous diriger vers Louisville, Kentucky.
La région de l’est du Kentucky, entre Cincinnati et Louisville, se situe au pied des Appalaches. On se retrouve en zone montagneuse pendant quelques heures.
La rivière Ohio, et le Kentucky en arrière-plan, vue du promontoire de Lake Drive dans Eden Park, à Cincinnati
[ On constate une présence discrète, mais tout de même manifeste, de la secte des Amish un peu partout dans l’état de l’Ohio… La signalisation routière nous incite à porter une attention aux calèches dont ils se servent pour se déplacer. On observe aussi les affiches qui indiquent où ils vendent leurs produits. Ils est néanmoins difficile de reconnaître les maisons ou les fermes spécifiquement Amish. ]
Sur la Interstate 64, en Indianna
Distractions
L’observation des panneaux publicitaires le long des routes m’a toujours fasciné. Je ne prétends pas en faire une étude formelle et systématique.
Ce qui surprend, c’est la variété des messages, et ce que ceux-ci nous révèlent sur la vie d’une communauté : les messages religieux côtoient ceux qui promeuvent la vente des armes, le recrutement militaire et la valorisation de ceux-ci succèdent à la vente d’assurances de toutes sortes, les messages politiques font concurrence aux annonces de restaurants et d’hébergement hôtelier. La juxtaposition de certains panneaux fait parfois sourire.
L’autoroute I-64, en Indianna
Ce qui m’étonne aussi, c’est l’absence de panneaux publicitaires le long des grandes autoroutes du réseau des autoroutes « nationales » dans certaines états, comme le New York ou la Pennsylvanie, alors qu’on les essaime en grappes ailleurs, comme en Indiana et en Illinois. Il me semble néanmoins qu’il y a beaucoup moins de pollution commerciale qu’il y en avait il y a quelques décennies. L’attention des chauffeurs est dorénavant concentrée sur la signalisation routière. Chaque sortie d’une autoroute est préfacée de panneaux indiquant quels restaurants, hôtels ou stations d’essence s’y trouvent.
{=+=}
Enfin, une halte routière…
Les plus belles haltes routières qui ponctuent les autoroutes ont été construites il y a longtemps, au cours des années 50, 60, 70.
Au Kentucky, quelques kilomètres après avoir traversé la rivière Ohio en provenance de Cincinnati, nous nous sommes arrêtés à une halte routière qui a été construite il y a plus d’un demi-siècle — un bel aménagement paysager accueille le voyageur de façon agréable. Nous y avons préparé un repas froid dans notre autocaravane et nous nous sommes attablés à l’extérieur sur une table de pique-nique, sous les arbres, à l’heure du midi.
Je me souviens d’une autre halte routière semblable, en Caroline du Sud, à la frontière avec la Géorgie, où nous nous étions arrêtés quelques instants, il y a deux ans, pour nous dégourdir un peu, et pour obtenir des renseignements touristiques. Il y avait du personnel qualifié qui accueillaient les visiteurs dans ce kiosque très bien aménagé.
Il y a de moins en moins de kiosques et de haltes routières semblables. Aujourd’hui, dans la plupart des haltes routières, autant dans la halte routière du Kentucky que je viens de vous décrire ou comme dans la belle halte-routière de l’Illinois ( photo ci-bas ) où nous avons fait une courte pause plus tôt cette semaine, ce sont des étalages de dépliants touristiques commerciaux et des machines distributrices de consommations qui attendent les voyageurs dans le vestibule qui mène aux toilettes des hommes et des femmes. Signe des temps : on n’a plus d’argent pour engager des agents de tourisme dans les haltes routières érigées il y a un demi-siècle.
Halte routière – Autoroute I-64, en Illinois, à l’approche de Saint-Louis.
Imaginez, il y a un peu plus de deux cents cinquante ans, ce que pouvait représenter la traversée de la chaîne des montagnes des Alleghanies ( voir la photo : pas de routes, des sentiers tout au plus, des forêts denses couvrant tout le territoire ). Les colons britanniques de la Virginie, qui étaient en train devenir des Américains, se sentaient à l’étroit dans l’étroite bande de terre, entre l’Océan et la chaîne de montagnes des Appalaches, dont les Alleghanies font partie. Ils ne voulaient pas uniquement commercer avec les habitants des territoires au-delà des Alleghanies. Ils voulaient aussi s’y installer.
Les Français, et ceux qui s’identifiaient déjà comme Canadiens, les avaient précédés. Mais ces Canadiens venaient pour pratiquer la traite des fourrures, non pas pour s’y installer, sinon que pour créer des liens commerciaux avec ceux qui étaient déjà établis sur le territoire de l’Ohio. La géographie avaient favorisé les Canadiens : le fleuve Saint-Laurent donnait directement accès à tout le centre du continent nord-américain.
Les Français avaient commencé à créer des alliances avec les peuples qui habitaient ces territoires ; la Grande Paix de Montréal ( 1701 ) avaient facilité la création de ces liens. Toutefois, il était très difficile, avec les ressources à leur disposition, d’affermir ces alliances et ces réseaux. Les Français avaient établi des forts pour protéger leurs intérêts, sur tout le territoire entre les Appalaches et le Mississipi : le Fort Pontchartrain à Détroit, le Fort Saint-Joseph un peu plus loin vers l’Ouest, le Fort de Chartres sur les berges du Mississipi, et le Fort Duquesne, à la confluence des rivières Alleghany et Monongahela.
Que de beaux noms. Je me souviens de mes cours d’histoire à l’école primaire, puis à l’école secondaire. Prononcer ces noms, Alleghany, Monongahela, attisait des songeries chez le jeune garçon que j’étais. Des rêves d’aventure… l’exploration de grands espaces, posséder d’immenses forêts en compagnie d’une bande de guerriers indiens. Devenu adulte, j’ai retrouvé cet imaginaire dans les bandes dessinées de Hugo Pratt, entre autres — feuilleter Fort Wheeling, par exemple. Trêve de distraction dans les replis de la nostalgie. Je reviens à mon récit.
La tension montait sur la frontière. L’étincelle a éclaté dans la région du Fort Duquesne.
Le Fort Duquesne n’existe plus aujourd’hui : il faut aller à la confluence des rivières Alleghany et Monongahela pour réveiller les fantômes qui ont habité ce lieu il y a deux siècles et demi
Derrière moi, la rivière Monongahela rencontre la rivière Alleghany, devant moi.
Au sud, une falaise surplombe la Monongahela ; au nord, l’Alleghany descend des montagnes du même nom. Deux rivières d’un fort courant d’eau, qui s’unissent pour former celle que les Français ont nommé la Belle Rivière, la rivière Ohio. Aujourd’hui, des ponts surplombent ces rivières, une autoroute surgit d’un tunnel percé dans la falaise pour venir s’entremêler dans un nœud d’autoroutes, qui déversent quotidiennement leur flot de véhicules sur ce qui est devenu le centre-ville de Pittsburgh — Downtown Pittsburgh, une forêt de verre et d’acier qui s’élance vers le ciel.
Downtown Pittsburgh, un samedi matin
C’est là, au Fort Pitt Museum, qu’on raconte le récit d’une période marquante de l’histoire de tout le continent. C’est un récit qui se déroule en deux phases : les premiers épisodes de la Guerre de Sept-Ans dans un premier temps, ce que les Américains appellent la French and Indian War et, subséquemment, la Révolution américaine qui s’enclencha peu après la première.
Tout commence au cours de la première moitié des années 1750. Les Français et les Britanniques rivalisent pour s’assurer du contrôle du territoire de la vallée de l’Ohio. Pour les Français, il ne s’agissait que du contrôle du commerce des fourrures. Les Virginiens, ceux qui deviendront bientôt des Américains exerçaient des pressions sur les autorités britanniques pour intervenir sur le plan militaire. Ceux qui exerceraient le contrôle de la confluence des rivières Alleghany et Monongahela dominerait le territoire que traverse la rivière Ohio.
Plaque installé au point de confluence des rivières qui forment l’Ohio, expliquant l’importance stratégique de ce lieu en 1753.
C’est sur ce site qu’après en avoir délogé les Virginiens, les Français ont construit le Fort Duquesne. Les Anglais tentèrent, à deux reprises, d’y chasser les Français. La première tentative fut un désastre. Il fallait défricher une route à travers une forêt montagneuse pour transporter les troupes et le matériel nécessaire pour assiéger le Fort Duquesne. Au moment d’arriver au Fort Duquesne, un petit groupe de Français et d’Indiens leurs tendirent une embuscade. George Washington, qui n’était encore qu’un lieutenant, faisait partie de cette première expédition ; il faillit y perdre la vie.
Les Anglais apprirent leurs leçons ; la deuxième tentative fut fructueuse. Le commandant français, mis au courant des forces qui venaient l’assiéger, décida de battre en retraite. Il n’avait pas les ressources pour résister. Il mit le feu au fort et quitta les lieux.
Pour les Indiens, ces escarmouches entre les Français et les Anglais à la frontière de l’Ohio ne furent que la continuation d’un long processus de dépossession de leurs territoires, qui était déjà amorcé au cours du siècle précédent et qui se prolongea pendant tout le siècle suivant… C’est dans cette région que les grandes lignes de force de ce processus prirent forme : la haine, le racisme, les promesses brisées et les traités que les Américains ne respectèrent jamais, les nettoyages ethniques et les déplacements forcés de populations, l’établissement du système des réserves sur des territoires considérés comme improductifs. Il y eut de nombreuses tentatives de résistance, de révoltes indiennes : Pontiac, Tecumseh, sur le territoire de l’Ohio, dès la formation de la république américaine à la fin du 18è siècle. Celles de Sitting Bull et Crazy Horse un siècle plus tard au Dakota, et de Geronimo au Sud.
Le Musée du Fort Pitt est en partie recouvert par des autoroutes, à la pointe de confluence entre les rivières Alleghany et Monongahela, au centre-ville de Pittsburgh.
Le visiteur qui entre au Musée du Fort Pitt et qui se promène au premier étage uniquement pourrait être déçu : l’histoire qu’on lui présente est partielle, biaisée, voire raciste, tant à l’égard des Français que des Indiens qui habitaient le territoire avant leur contact avec les Européens.
C’est que ce premier étage a été créé il y a plusieurs décennies et qu’on n’a pas jugé opportun de rectifier ce qu’on y présente. Cette exposition est très représentative des mentalités et des perceptions de l’époque. On justifie cette décision de ne pas investir pour renouveler cette exposition en expliquant que toute la zone où est située le musée est sujette aux inondations et que cela ne vaut pas la peine d’y consacrer les sommes nécessaires.
C’est au deuxième étage qu’on expose un récit complet et détaillé de ce qui est arrivé à Pittsburgh entre 1753 et 1758 et des conséquences à long terme de ces événements.
Une présentation équilibrée qui donne la parole aux diverses parties en cause, à toutes les étapes des conflits qui marquèrent le point de confluence de l’Ohio au 18è siècle.
On le fait d’une façon équilibrée, en présentant les points de vue de chacune des parties, sur chacun des enjeux, à chaque étape : comment les peuples amérindiens ont été pris en tenaille entre deux puissances coloniales, les Français et les Anglais d’abord, puis entre les Anglais et les Américains par la suite¸ comment ils ont perçu leurs intérêts et comment ils ont tenté de manœuvrer dans cette joute où ils étaient perdus d’avance. Moins d’un siècle après la formation des États-Unis, on avait vidé tout le territoire de l’Ohio, des Appalaches jusqu’au Mississippi, de toute présence indienne organisée.
Je constate que le peuple américain a commencé à ajuster ses perceptions quant à leurs relations avec les premiers peuples qui habitaient le territoire avant l’arrivée des Européens. Ils réalignent leurs récits historiques officiels, dans les musées, les parcs nationaux, sur les plaques commémoratives, afin de les conformer un peu mieux à ce qui s’est passé réellement il y a quelques générations.
J’ai été agréablement surpris de ma visite. Après tout, ce n’est pas uniquement leur histoire qu’on y raconte. C’est aussi la mienne.