Depuis toujours, je consulte de temps en temps mes archives personnelles. Je retrace mes pas, un peu comme le Petit Poucet des Contes de Charles Perrault ; je relis des extraits de mes carnets de notes professionnels, de mes journaux personnels, ainsi que des chroniques que j’ai publiées au cours des quatre dernières décennies.
Il y a un peu plus d’une décennie, l’alliage des systèmes techniques de communication à ceux de l’informatique a suscité une véritable révolution technologique, qui a facilité la constitution d’archives personnelles.
Auparavant, je découpais des articles de journaux et de revues que je rangeais dans des chemises. Au fil des ans, j’ai ainsi collectionné des boîtes d’archives, plus ou moins bien organisées. Depuis un peu plus d’une décennie, j’ai diminué le volume physique de cette collection, au fur et à mesure que je me suis mis à collectionner des marque-pages liés à des documents remisés sur Internet.
De plus, à plusieurs reprises, j’ai tenu une espèce de journal électronique de réflexions, suscitées par des lectures de livres et d’articles, liées parfois à des sources disponibles sur Internet. La nature éphémère de ses archives électroniques est un sujet en soi, sur lequel je reviendrai à une autre occasion.
Pour l’instant, je me contente de révéler ce que j’ai rédigé il y a onze ans et quelques jours, soit un an après le 11 septembre 2001, quelques mois avant l’invasion de l’Irak.
À cette époque, Candide sombrait dans une dépression dont il ne se libérerait que tout récemment. Son point de vue sur la nature humaine n’a pas changé ; il a toutefois appris à s’en détacher, stoïquement.
Journal – Début octobre 2002
Je ne suis plus aussi politiquement candide que je l’ai été déjà, pendant trop longtemps.
Pendant longtemps, j’ai cru qu’il était possible de changer l’humain et de créer un monde différent, égalitaire et pacifique, où chacun participerait à la vie communautaire à la mesure de ses moyens, sans accaparer plus de ressources qu’il ne le fallait pour subvenir à ses besoins personnels les plus élémentaires. Au fond, j’ai cru qu’il était possible de créer une communauté où chacun assumerait ses responsabilités et participerait au bien commun, autant à le créer qu’à en jouir : une communauté idéale, telle que proposée par les utopistes depuis la Renaissance jusqu’à tout récemment.
Je n’en suis plus aussi convaincu aujourd’hui. Une à une, mes illusions se sont effondrées. L’humain est imparfait, violent, et fondamentalement prédateur. C’est une créature faible, dotée de pouvoirs énormes : des pouvoirs qui le fascinent, et qu’il maîtrise difficilement.
La candeur a toujours permis à l’humain de consentir volontairement à sa propre mystification. Il faut beaucoup de courage pour regarder la réalité en face et en accepter les conséquences. Je ne crois plus que l’humain en soit capable. Le petit homme que nous sommes collectivement à l’échelle mondiale, retiendra toujours même le plus grand d’entre nous qu’il pourrait devenir. Et, paradoxalement, ceux qui parviennent à dépasser ce petit homme, savent fort bien que c’est en respectant et en reconnaissant cette limite qu’ils peuvent réussir à maîtriser les plus grands nombres.