Janvier 2013
Il y a quelques semaines, j’ai relu des extraits de La lanterne d’Arthur Buies. Je constate, encore une fois, que les lectures qu’on a faites à 18 ans ne correspondent pas aux relectures qu’on fait plus tard, à chaque étape d’une vie, que ce soit dix, vingt, ou quarante ans plus tard.
J’étais adolescent lorsque j’ai lu une ré-édition d’extraits des textes polémiques de Buies, publiée par les Éditions de l’homme en 1964. J’avais alors découvert un auteur au style alerte, un esprit irrévérencieux, qui bousculait l’autorité et remettait en question l’ordre établi, sans ménagement. De plus, Buies n’avait que 22 ans lorsqu’il se lança dans l’arène politique et sociale… un véritable modèle pour le jeune homme qui ambitionnait lui aussi de s’envoler de ses propres ailes.
Il faut rappeler qu’à la première demie des années 60, la société québécoise, qui se qualifiait toujours de canadienne-française, était en pleine révolution tranquille. On avait ouvert très grandes les portes et les fenêtres, et on sentait la brise rafraîchissante qui traversait les corridors de nos vieilles institutions. Si l’Église était toujours très présente dans nos vies, le contrôle qu’elle avait exercé sur la société québécoise depuis sa fondation commençait à se relâcher. La société québécoise avait décidé de devenir maître chez-elle et se donnait les moyens pour réaliser ce rêve
Tout ne se faisait pas sans heurts, ni tensions : nous trouvions facilement un prétexte pour occuper la rue. Nous avions l’impression de paver une voie vers l’avenir. Ailleurs dans le monde, des peuples entiers se libéraient les uns après les autres du joug des nations colonisatrices… pour se soumettre tout aussitôt parfois, il faut bien l’admettre, au joug de maîtres locaux.
Dès le premier numéro de La Lanterne, Buies annonce qu’il se donne comme programme d’entrer « … en guerre ouverte avec toutes les stupidités, toutes les hypocrisies, toutes les turpitudes ; c’est dire que je me mets à dos les trois quarts des hommes, fardeau lourd ! »
Il n’y avait rien là pour me décourager à poursuivre sa lecture, tout au contraire…
Tout au long des quelque 27 numéros hebdomadaires de la publication, Buies se fait le porte-parole des idéaux libéraux de la démocratie républicaine, de la liberté de pensée et d’expression, de l’instruction gratuite et obligatoire, de la séparation de l’Église et de l’État. Il s’attaque à tout ce qui représente l’ordre établi, non seulement aux journaux qui le soutiennent, mais aussi aux autorités religieuses auxquelles il consacre ses pages les plus virulentes. Il dénonce leur tendance à l’autoritarisme, leur hypocrisie, leur pharisaïsme :
« … À force de chercher le secret de cette confusion, j’ai fini par découvrir qu’elle avait été imaginée exprès pour faire croire que la Lanterne est inspirée directement par l’évêché de Montréal.
Je déclare que c’est là une insigne fausseté, qu’ayant appelé mon journal la Lanterne, je ne l’ai pas appelé l’Éteignoir, et que la dite Lanterne n’est inspirée que par les sottises et les ridicules de la presse dévote, assez nombreux pour l’occuper longtemps avec toutes les variétés désirables. » (No. 4)
Ce qui m’a le plus étonné de ma lecture de La Lanterne, c’est que je me rendais compte que nous étions en train de compléter, au cours de la Révolution tranquille, la mise en œuvre des idéaux politiques proposés par les Patriotes et, dans leur sillage, les membres de l’Institut canadien de Montréal. Que les idées qu’on véhiculait au cours du siècle précédent étaient encore d’actualité, entre autres au sujet de la séparation des religions de l’état.
C’est un débat toujours d’actualité. Aujourd’hui, des groupes tentent d’introduire leur religion dans la société sous couvert de liberté d’expression.




































